comment modifier le comportement de vos patients ?
L’entretien motivationnel est un outil dont l’efficacité est parfois méconnue. Il a le potentiel d’aider un patient à faire des changements salutaires.
« Aimeriez-vous posséder un outil qui vous permettrait d’influencer votre conjoint, vos enfants, vos collègues de travail, vos amis... et même vos patients ? Est-ce que vous me permettez d’en discuter avec vous ? »
Il suffit que le psychologue Dominique Morneau entame son cours de communication motivationnelle avec ces deux questions ouvertes devant les étudiants de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal pour que ces derniers deviennent instantanément tout ouïe. Et, surtout, très curieux de connaître « l’outil » en question. Après tout, dans un contexte où près de 50 % des personnes qui souffrent de maladies chroniques ne suivent pas les conseils ni les traitements prescrits par les médecins, comment ne pas vouloir influencer son patient ?
Cet outil, poursuit le Dr Morneau, c’est l’entretien motivationnel. Conceptualisée dans les années 1980 par les psychologues William R. Miller et Stephen Rollnick, cette approche de relation d’aide a pour particularité d’utiliser un style de conversation collaboratif. Une conversation qui permet de renforcer la motivation propre d’une personne et son engagement vers le changement. « Le but, dit le psychologue, est simple. Il faut amener le récepteur, en l’occurrence le patient, à verbaliser lui-même le comportement qu’il doit changer en évitant l’argumentation et la résistance. » C’est une méthode, précise-t-il, qui repose essentiellement sur le respect de l’autonomie de l’autre personne et sur la relation que l’on entretient avec elle.
« L’approche motivationnelle place le patient dans le siège du conducteur », explique de son côté le Dr Auguste Fortin, qui enseigne l’entretien motivationnel aux étudiants de médecine interne de la Yale School of Medicine, à New Haven, dans le Connecticut. « C’est lui qui décide si, oui ou non, il est prêt à changer », affirme cet interniste américain en entrevue téléphonique avec Le Médecin du Québec.
Cette approche, poursuit le Dr Fortin, privilégie une discussion avec des questions ouvertes dans laquelle le patient exprime lui-même son désir, sa capacité, ses raisons, son besoin et la manière dont il perçoit les étapes du changement. « Et pour que ça fonctionne, insiste-t-il, il est important de demander, dès le début de la conversation, la permission au patient d’aborder ces sujets. C’est essentiel pour maintenir l’autonomie de ce dernier. »
La psychoéducatrice Danielle Pinsonneault, qui fait partie du réseau international Motivationnal Interviewing Network of Trainers (MINT), suggère de voir la santé du patient comme une maison qui nécessite des rénovations. « C’est au patient de décider quels travaux il veut faire dans sa demeure. L’entrepreneur qui n’écoute pas ou n’en fait qu’à sa tête n’obtiendra pas le contrat », indique cette experte qui travaille au Centre Jean-Pierre Chiasson, un centre de réadaptation et de dépendance, à Sherbrooke. Formatrice en entretien motivationnel depuis une dizaine d’années, elle initie également des résidents en psychiatrie de la Faculté de médecine de Sherbrooke à cette approche depuis un an.
Mme Pinsonneault donne comme exemple le cas d’un patient qui refusait de recevoir son traitement en injection pour ses problèmes de santé mentale. Pourquoi ce refus ?, lui a-t-on demandé. « Le patient devait avoir la piqûre sur une fesse. Un traitement qu’il considérait comme une atteinte à sa dignité. En sachant cela, le personnel soignant lui administre désormais l’injection sur le bras », rapporte la psychoéducatrice.
« C’est l’idée de la fenêtre ouverte », renchérit, pour sa part, le Dr David Michaliszyn, psychologue, qui présente l’atelier d’introduction à l’entretien motivationnel sur le portail de la formation en ligne de la FMOQ. « Un patient dont la fenêtre est fermée aura peu de considération pour les traitements qu’un médecin lui recommande ou lui prescrit », souligne le Dr Michaliszyn, qui est formateur chez PsyMontréal, un groupe de psychologues qui proposent de la formation sur l’entretien motivationnel.
Il faut par ailleurs écouter le patient. La réponse que l’on cherche est parfois dans ses paroles. « Lors de rencontres entre toxicomanes, le psychologue William Miller, à qui on doit le concept de l’entretien motivationnel, a observé que les participants, eux-mêmes, étaient en mesure de prédire à plus de 85 % ce qu’allaient faire les gens en fonction de ce qu’ils disaient », souligne le psychologue.
Mais on peut aussi influencer le patient. En utilisant une approche d’entretien motivationnel ponctuée de reflets et de questions ouvertes, le professionnel augmente ses chances d’influencer le discours-changement du patient, indique le Dr Michaliszyn.
À ce propos, le psychologue Dominique Morneau cite une étude menée en 1986 par des chercheurs de l’Université d’État de l’Ohio. Une étude dont les résultats continuent à être utiles pour les sondeurs de partis politiques en période d’élection1. « Les chercheurs, résume le Dr Morneau, ont conclu qu’ils étaient capables d’augmenter de 25 % les probabilités que les gens aillent voter tout simplement en leur demandant s’ils allaient le faire. Les gens ayant répondu : “Oui, je vais le faire” étaient plus enclins à aller voter. Encore aujourd’hui, les sondeurs nous posent cette question seulement s’ils ont l’impression que nous allons voter pour leur parti... »
Bien que les puristes de l’entretien motivationnel recommandent une rencontre d’au moins 15 à 20 minutes entre le professionnel de la santé et le patient, certains médecins ont mis au point des formules abrégées pour mieux intégrer le concept dans leur pratique quotidienne. C’est le cas du Dr Jacques Bédard qui préconise une formule d’entretien d’une durée de trois minutes. « C’est amplement suffisant pour demander au patient s’il accepte que l’on discute de ses habitudes de vie. Désire-t-il que l’on travaille ensemble pour améliorer sa santé au cours des prochaines semaines, des prochains mois ? Poser cette question ne prend que quelques secondes », indique cet interniste. Professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke, le Dr Bédard enseigne depuis quinze ans l’approche motivationnelle aux médecins et aux étudiants en médecine.
Le Dr Bédard préconise une formule de trois questions ouvertes pour évaluer le degré de conviction et de confiance du patient. Grâce aux réponses obtenues, il peut, dit-il, déterminer le stade de cheminement réel du patient vers un changement de comportement. « Je leur demande d’abord : “Avez-vous l’intention de... ?” Notez que, pour cette première question, près du tiers des patients fourniront une réponse pour se donner bonne conscience ou faire plaisir à leur médecin », prévient le Dr Bédard. D’où la deuxième question qui aide davantage à cerner le degré de conviction, ou de motivation, qui constitue l’image miroir du stade réel : « Quels seraient les avantages pour vous de... ? » La troisième question sert à déterminer le degré de confiance qu’a le patient dans sa faculté de changer : « Pensez-vous être capable de... ? ».
Cette technique, explique le médecin, lui permet de choisir le scénario d’intervention qui s’appliquera le mieux au stade du patient. En aucun temps, insiste-t-il, il ne faut forcer la personne. « Le professionnel peut communiquer ses craintes, ses inquiétudes quant à l’état de santé du patient. Mais c’est celui-ci qui décide s’il est prêt à changer », rappelle le Dr Bédard, qui a présenté plus de 400 conférences sur le sujet dans divers congrès médicaux partout sur la planète.
« L’entretien motivationnel permet, en fait, de semer une graine de changement chez nos patients. Cela peut prendre quelques minutes, quelques heures, quelques mois, avant de voir germer la volonté de changer chez la personne. On appelle ça l’effet du jardinier », explique Dr Jean-Marc Assaad, psychologue expert en entretien motivationnel. « Une plante prend des semaines, voire des années à pousser. Le changement de comportement chez le patient, c’est pareil », indique le directeur des services de formation chez PsyMontréal.
Diabète, hypertension, obésité, maladies pulmonaires, plusieurs patients cumulent également de multiples problèmes de santé chroniques. « Il faut donc demeurer réaliste, avertit, de son côté de la frontière, le Dr Auguste Fortin. Il ne faut pas penser discuter de l’ensemble de ces problèmes lors d’une seule consultation. Il faut accepter que le changement de comportement risque de prendre plusieurs mois, plusieurs années. »
Et si le patient demeure de glace ? S’il ne désire pas prendre part à un entretien motivationnel, comment réagir ? « Parfois, le mieux que nous pouvons faire est tout simplement d’afficher une attitude empathique », répond le Dr Fortin.
De l’avis du Dr Bédard, il faudra sans doute une bonne dizaine d’années, voire même vingt ans avant que les médecins recourent régulièrement à la communication motivationnelle. Pour le moment, observe-t-il dans son entourage, ce sont principalement des médecins qui cumulent déjà quelques années d’expérience qui semblent davantage s’intéresser à cette méthode. « Et ceux qui croient que ce n’est pas de leur responsabilité, qui sont convaincus que cette approche relève plutôt des infirmières, des psychologues et travailleurs sociaux, se trompent. Cette méthode, soutient le Dr Bédard, aura une efficacité redoutable lorsque tous les professionnels de la santé l’appliqueront en équipe. » //
1. Greenwald AG, Carnot CG, Beach R et coll. Increasing voting behavior by asking people if they expect to vote. J Appl Psychol 1987 ; 72 (2) : 315-8.
Depuis le début des années 2000, la plupart des facultés de médecine au Québec ont intégré l’entretien motivationnel sous différentes formes dans leurs programmes d’enseignement. Cette formule, souligne la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, s’ajoute aux autres approches, telles que celle du patient-partenaire.
« C’est tout de même un changement de paradigme », reconnaît le Dr Jacques Bédard, interniste au CHU de Sherbrooke. « Au cours des trente dernières années, les guides de pratique ont mis l’accent sur le POURQUOI intervenir plus efficacement pour changer les habitudes de vie nuisibles des patients. Désormais, il nous faut voir les choses différemment. Le temps est venu de centrer notre attention sur le COMMENT », croit le Dr Bédard.
L’approche motivationnelle, poursuit-il, c’est la base même de la communication entre deux personnes. « Elle va complètement à l’encontre de la méthode paternaliste, centrée sur le professionnel et non sur le patient, que nous avons utilisée intuitivement en médecine », souligne le Dr Bédard.
« Combien de fois, enchaîne pour sa part le Dr Auguste Fortin, de la Yale School of Medicine, abordons-nous les patients avec une attitude autoritaire afin de les éduquer et de corriger leurs perceptions erronées de la médecine ? Est-ce que ça fonctionne ? Rarement. On sent plutôt le patient se refermer sur lui et refuser nos conseils. C’est d’ailleurs cette frustration de voir à répétition les patients rejeter nos traitements qui mène certains d’entre nous à l’épuisement professionnel. Moi le premier. J’étais à considérer ma carrière de médecin comme un échec, incapable de motiver mes patients à adopter de meilleures habitudes de vie. Heureusement, en 1995, je suis tombé dans une librairie sur un livre qui traitait de l’entretien motivationnel. Une lecture qui a complètement changé ma façon de pratiquer la médecine. »