Dix ans à la tête de la Planification et de la Régionalisation
En 2008, le Dr Serge Dulude quittait sa pratique et ses fonctions de chef du Département régional de médecine générale de Montréal pour devenir directeur de la Planification et de la Régionalisation à la FMOQ. Au cours de son mandat, il a eu à relever de nombreux défis.
Le Dr Serge Dulude se souvient encore des regards dubitatifs et des commentaires sceptiques qui l’ont accueilli quand il a présenté pour la première fois officiellement le concept d’accès adapté vers 2009. « Certains médecins me disaient : “On ne va pas venir nous dire comment gérer nos cabinets ! ” »
Maintenant, plus personne ne met en doute l’efficacité de l’accès adapté. Mais sa mise en œuvre dans toute la province n’a pas été facile. Cette réussite constitue l’un des faits marquants des dix dernières années du Dr Dulude, qui vient de prendre sa retraite en tant que directeur de la Planification et de la Régionalisation à la FMOQ.
Quand il était arrivé en poste, en 2008, le médecin s’était donné comme objectif d’améliorer l’organisation des services médicaux à la population. « Il y avait de la pression. Bien des gens n’avaient pas de médecin de famille, et ceux qui en avaient un disaient qu’ils n’arrivaient pas à le voir. Il fallait faire quelque chose. »
Tant aux yeux du Dr Dulude qu’à ceux de ses vis-à-vis du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), la solution résidait dans un concept inédit : l’accès adapté. « On a fait venir des informations, on a discuté avec des médecins de famille de l’Ouest canadien qui l’avaient adopté et avec le Dr Mark Murray, en Californie, à l’origine du concept. » Le principe de base était révolutionnaire : adapter les services qu’offraient les médecins aux besoins de leur clientèle. Et la méthode était complètement nouvelle : travailler en équipe avec la secrétaire et l’infirmière.
Pour permettre aux médecins de toute la province d’apprendre les principes de l’accès adapté, un programme de formation structuré a été mis sur pied avec la collaboration du ministère et de la Direction de la formation professionnelle de la FMOQ. C’est Mme Isabelle Paré, collaboratrice du Dr Dulude, qui est responsable du dossier. « Nous avons regardé comment l’accès adapté a été mis en œuvre ailleurs et nous avons adapté la méthode au Québec », explique le Dr Dulude.
Dans la province, déjà, quelques omnipraticiens avaient commencé à expérimenter d’eux-mêmes l’accès adapté. Ils ont servi de modèles à leurs collègues. Dans les ateliers, les médecins étaient quand même sceptiques : peut-on vraiment accorder des rendez-vous d’urgence à des patients en 48 heures ? Pour les convaincre, les formateurs leur font calculer le nombre de rendez-vous qu’ils accordent déjà et le nombre nécessaire en accès adapté. « Plusieurs médecins nous disaient : “J’ai un tampon de 500 visites. Pourquoi je n’y arrive pas ?” Ça, c’était toujours fascinant. On est dans la magie de la coordination et du service médical offert au bon moment », indique le Dr Dulude.
Après un début difficile, les premières cohortes parviennent à fonctionner en accès adapté. Leur exemple produit un effet boule de neige. « Aujourd’hui, la majorité des omnipraticiens qui suivent une clientèle travaillent en accès adapté. »
Pendant ses deux mandats à la FMOQ, le Dr Dulude a également aidé les omnipraticiens à entrer dans l’ère informatique. « En 2008, tous les médecins de famille aux Pays-Bas et en Angleterre avaient des dossiers médicaux électroniques (DME). Et, ici, personne. C’était gênant. Les transactions bancaires se faisaient déjà par ordinateur. Le simple dossier d’un véhicule Ford Escape était informatisé », rappelle le Dr Dulude.
Il fallait faire quelque chose. Le Bureau de la FMOQ et le ministère étaient d’accord. Un comité a donc été mis sur pied. « En 2012, on s’est entendu avec le MSSS pour créer le Programme québécois d’adoption du dossier médical électronique pour la première ligne. Cela a été un grand succès. On a mis sur pied des ateliers de formation. En quatre ans, on est passé de la position de cancres à celle de champions. » Aujourd’hui, près de 6000 médecins de famille ont un DME.
Les dossiers électroniques peuvent maintenant ouvrir de nouvelles portes. « Ce que les médecins font actuellement avec leur DME n’est que la pointe de l’iceberg. » Ces dossiers peuvent permettre aux cliniciens entre autres d’obtenir des données pour analyser leur pratique et d’atteindre des objectifs cliniques.
Au cours de ses dix ans à la tête de la Direction de la planification et de la régionalisation, le Dr Dulude s’est également occupé de différents éléments de la première ligne. À son arrivée, la province comptait déjà 180 GMF. Aujourd’hui, il y a 332 GMF.
Aidé par Mme Marianne Casavant, sa collaboratrice responsable du dossier, le Dr Dulude a travaillé à développer les GMF. Ces groupes sont ainsi devenus plus importants, plus informatisés, mieux financés et plus interdisciplinaires. Aux infirmières se sont ajoutés toute une gamme de professionnels de la santé allant du pharmacien au travailleur social. « Pour améliorer l’offre de services à la population, les médecins doivent avoir un environnement adéquat », soutient le Dr Dulude.
À l’échelle provinciale, le Dr Dulude a siégé au comité de gestion des effectifs médicaux qui veille à la répartition des nouveaux omnipraticiens et évalue les besoins de chaque région. Ce groupe détermine annuellement les plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM) de tous les territoires. « On utilise une trentaine de paramètres. Depuis 2008, de nouveaux critères se sont ajoutés, comme la pénurie de spécialistes et le grand roulement des nouveaux médecins. »
En 2008, les nouvelles cohortes pouvaient compter quelque 200 omnipraticiens. Aujourd’hui, elles atteignent 450. Le Dr Dulude pensait que la répartition des effectifs allait être plus facile. Mais ce n’est pas le cas. L’appétit des régions pour les recrues croît proportionnellement aux cohortes.
Le premier programme de mentorat au Canada a été mis sur pied en 2012, et c’est la FMOQ qui l’a créé. Plus précisément, la direction du Dr Dulude. Une cinquantaine de jeunes médecins en ont bénéficié jusqu’à présent. Il s’agissait d’une idée de la Dre Lise Dauphin, qui a demandé à la Pre Nathalie Lafranchise, de l’UQAM, de structurer le programme.
Le service permet à des résidents en médecine familiale ainsi qu’à de jeunes omnipraticiens de bénéficier pendant un an du soutien d’un clinicien expérimenté dans un cadre structuré. Le mentor fait plus que donner des conseils à un jeune collègue, indique le Dr Dulude. « Il permet à ce dernier de se révéler à lui-même. »
Le programme, qui a une employée à temps plein, Mme Kelly Cadec, possède par ailleurs un volet de recherche. « Déjà, on a des statistiques très intéressantes. »
Le Dr Dulude a atteint les objectifs qu’il s’était donnés : accroître les services médicaux offerts à la population et mieux outiller les médecins de famille. Quel est le prochain défi du réseau de la santé ? Assainir le climat actuel, estime le nouveau retraité.
« Les contraintes qui pèsent sur les médecins sont très lourdes. Certains sont désabusés, d’autres ont lancé la serviette. Depuis deux ans, plusieurs ont pris une retraite prématurée à cause du contexte. » Il faut que les médecins et le ministère réussissent à rétablir leurs liens et à travailler davantage en partenariat.
Tous doivent être conscients que la première ligne vit actuellement un moment privilégié, souligne le Dr Dulude. « On a de grandes cohortes de jeunes omnipraticiens bien formés. On dispose d’outils comme le DSQ et le DME, on a les GMF avec du soutien et du personnel. C’est du jamais vu. On doit profiter de ce beau moment et le prolonger. Il faut qu’un climat plus serein soit rétabli. » //