quand on vous communique vos droits...
Même si vous n’avez rien à vous reprocher, il est possible qu’un inspecteur de la RAMQ arrive à votre clinique et vous fasse savoir que vous avez le droit de garder le silence ou d’appeler un avocat. Pourquoi ? Que faire alors ?
C’était une matinée d’été comme les autres dans l’une des nombreuses cliniques médicales du Québec. Tout à coup, une inspectrice débarque. Chemise noire, lettres R A M Q inscrites en gros dans le dos. Elle se dirige vers la réception et avise la secrétaire qu’elle va prendre des photos de l’affiche indiquant les frais facturés.
Le Dr L’Heureux*, alors en pleine consultation, voit arriver sa secrétaire un peu déstabilisée. « J’ai dit à mon adjointe : “Peux-tu demander à l’inspectrice de prendre rendez-vous pour qu’on puisse lui accorder du temps ?” », raconte le clinicien. L’employée revient quelques minutes plus tard : « L’inspectrice a répondu qu’elle n’avait aucune permission à demander et qu’elle allait faire les photos.” »
Dans la salle d’attente, les patients sont surpris. « Elle avait été assez brusque au comptoir avec la secrétaire, indique le Dr L’Heureux. Cela a même fait rire les gens qui se sont dit : “My God ! On dirait le matricule 728† !” »
* Le nom du médecin a été changé ainsi que certains détails pour préserver l’anonymat de la clinique.
† Référence à une policière de Montréal qui a fait les manchettes pour avoir maltraité et rudoyé des citoyens. Elle a été condamnée pour voies de fait en 2016.
Le Dr L’Heureux propose à l’inspectrice de la rencontrer dans un bureau. « Je lui ai demandé quel était le but de sa visite, et pourquoi elle n’avait pas pris rendez-vous. Elle m’a répondu : “On n’a pas besoin de prendre rendez-vous. On arrive et on fait ce que l’on a à faire”. »
Puis, l’inspectrice tend au médecin deux feuilles à signer. Il lit, éberlué : « Vous n’êtes pas obligé(e) de dire quoi que ce soit. Vous n’avez rien à espérer d’aucune promesse ou faveur, ni rien à craindre d’aucune menace, que vous parliez ou non. Tout ce que vous direz sera mis par écrit et pourra servir de preuve contre vous. »
En dessous de cette mise en garde, un autre paragraphe : « Vous avez le droit d’avoir recours, sans délai, à l’assistance d’un avocat de votre choix et celui de prévenir vos proches. Vous avez également le droit d’avoir accès aux conseils immédiats et gratuits d’un avocat de garde du Barreau du Québec ou d’un avocat de l’Aide juridique (...) ».
Le Dr L’Heureux a l’impression d’être dans un mauvais film policier. « Je lui ai dit : “Madame, on dirait une descente de police ou de l’unité permanente anticorruption. Vous êtes en train de me communiquer mes droits. Qu’est-ce que cela signifie ?” »
L’inspectrice a rétorqué, se souvient le Dr L’Heureux, que la Régie lui permet maintenant de procéder ainsi. « Elle était impolie, irrespectueuse, agressive, un peu trop sûre de son bon droit. » Prudent, le clinicien va appeler un avocat. Celui-ci est interloqué. Il n’a jamais vu une telle manière d’agir. Toutefois, l’inspectrice a le droit de photographier la grille de tarifs. C’est ce qu’elle fait, puis part.
« J’ai trouvé l’expérience humiliante. Je m’attends à être traité avec respect par mon gouvernement ou tout ministère. Tout citoyen vivant dans une société de droits a droit à la présomption d’innocence et mérite qu’on le traite en conséquence », s’indigne le praticien.
Dans la salle d’attente, les patients ont assisté à une partie de la scène. « J’ai eu de la chance : ils ont trouvé ça un peu bizarroïde. Quand les patients ont parlé du matricule 728, j’ai compris ce qu’ils avaient ressenti. Cela a tourné en rigolade, mais les gens ont quand même pu se demander : Qu’est-ce qui se passe concernant mon médecin ? Est-ce qu’il a un problème ? Cela laissait entendre que quelque chose n’allait pas. »
L’incident a aussi perturbé le personnel. « Quand les employés ne savent pas de quoi il s’agit, ils sont inquiets. J’ai été obligé de les rassurer. »
La suite ? Toujours aucune jusqu’ici. Le Dr L’Heureux n’a reçu aucun avis d’infraction au sujet de son affiche. Ni d’ailleurs aucune lettre lui indiquant qu’elle était conforme à la réglementation.
Le Dr L’Heureux n’est pas le seul médecin à avoir été ébranlé par la visite d’un inspecteur de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). D’autres cliniciens se sont plaints.
Depuis l’adoption de la loi 92‡, en décembre 2016, la Régie est dotée de nouveaux pouvoirs. Dorénavant, ses inspecteurs peuvent « pénétrer, à toute heure raisonnable, dans tout endroit où un professionnel de la santé (...) exerce ses fonctions ou ses activités. » Ils peuvent « exiger des personnes présentes tout renseignement relatif aux fonctions ou activités exercées par les personnes visées (...) ainsi que, pour examen ou reproduction, la communication de tout document s’y rapportant », indique la loi.
Mais pourquoi procéder de manière aussi théâtrale simplement pour photographier une affiche ? Pourquoi avertir le médecin de son droit de garder le silence et de recourir à un avocat ?
‡ Nom exact de la loi : Loi visant à accroître les pouvoirs de la Régie de l’assurance maladie du Québec, à encadrer les pratiques commerciales en matière de médicaments ainsi qu’à protéger l’accès aux services d’interruption volontaire de grossesse.
En fait, quand un représentant de la RAMQ procède de cette manière, c’est que son inspection est non pas administrative, mais pénale (voir le texte suivant). Et les règles sont alors différentes. « Dans le cas d’une inspection à caractère pénal, si la personne rencontrée est celle qui aurait commis l’infraction, il est obligatoire de lui faire connaître ses droits », indique la Régie, qui a décliné notre demande d’entrevue, mais a répondu par écrit à nos questions.
Mais pourquoi cette obligation ? « Il y a un principe en droit criminel et pénal selon lequel une personne ne doit pas être appelée à s’incriminer elle-même, explique le Dr Michel Desrosiers, directeur des Affaires professionnelles à la FMOQ, qui est à la fois médecin et avocat. La RAMQ veut probablement éviter de se faire reprocher d’avoir obtenu des informations d’un médecin qui ignorait à quoi il s’exposait. »
Il faut savoir que dans le cadre d’une inspection pénale, si l’inspecteur constate une infraction, il rédige un rapport qui est transmis au directeur des poursuites criminelles et pénales. « Ce dernier décidera s’il porte des accusations dans le but de l’imposition d’une amende par le tribunal », précise la Régie. Tout, par conséquent, doit être fait dans les règles de l’art. La RAMQ semble donc souvent préférer recueillir elle-même des éléments de preuve objectifs. Par exemple, en photographiant la grille de tarifs.
Le Dr Desrosiers reproche à la RAMQ sa prudence démesurée. « Lorsqu’un policier arrête un automobiliste pour excès de vitesse, il ne lui communique pas ses droits. Il lui donne simplement une amende. On informe les gens qu’ils ont droit à un avocat généralement dans des situations où on va les priver de leur liberté, c’est-à-dire quand on va les amener au poste de police ou lorsqu’ils risquent la prison. » Dans le cas de l’affiche des frais accessoires, les contrevenants ne s’exposent qu’à une amende.
Les avocats de la Fédération ont discuté du problème avec des représentants de la RAMQ. « Nous leur avons indiqué qu’en adoptant une attitude de prudence excessive, ils ne tenaient pas compte de l’effet possible de leurs méthodes sur le médecin et sa clientèle. Elles peuvent avoir des répercussions sur la réputation du clinicien. Ils nous ont répondu qu’ils allaient regarder la question avec leurs avocats. »
Quelles sont les règles à respecter au sujet de la grille de tarifs des services assurés ? En fait, le médecin doit afficher, à la vue du public, dans la salle d’attente de sa clinique, les frais qu’il peut facturer aux patients ainsi que le tarif des services médicaux non assurés.
Les médecins qui ne se conforment pas entre autres à cette règle s’exposent à une amende particulièrement importante depuis l’adoption de la loi 92. « Toute infraction en matière d’affichage est passible d’une amende de 2500 $ à 25 000 $, et ces amendes sont doublées en cas de récidive », nous a précisé la RAMQ.
Au cours d’une inspection, outre l’affiche, les inspecteurs peuvent aussi vérifier :
h la facturation des frais pour des médicaments ;
h les factures ou les reçus destinés aux patients ;
h la mention, sur les factures ou les reçus, du recours qu’ont les patients auprès de la RAMQ.
La RAMQ affirme avoir inspecté, au cours des dernières années, des centaines de cliniques et y avoir expliqué les règles sur l’affichage, l’importance des factures détaillées et la nécessité de mentionner le recours qu’a la personne assurée. Cependant, tous ces efforts ne semblent pas avoir porté leurs fruits.
« Malgré cette volonté de bien informer, indique-t-elle, la Régie a constaté lors des visites d’inspection dans les cliniques et à des médecins depuis le 7 décembre 2016, que :
h plus de 75 % présentent encore une problématique d’affichage et ne mentionnent pas le droit de la personne assurée au recours prévu par la Loi sur l’assurance maladie ;
h 43 % ne produisent pas de factures détaillées ;
h 15 % facturent encore des frais inappropriés aux personnes assurées », déplore-t-elle en mars 2018 dans son infolettre.
Ces faits pourraient expliquer le changement de stratégie de la RAMQ. Et ses pouvoirs récents lui donnent de nouveaux moyens d’agir.
La Régie dispose maintenant de plus de personnel. Une cinquantaine de personnes supplémentaires depuis novembre 2016. Elle compte dorénavant 25 inspecteurs et 12 enquêteurs pour son travail auprès des différents professionnels de la santé.
Quand un inspecteur arrive dans une clinique, que peut-il faire ? Et que ne peut-il pas faire ? « Il peut prendre des photos, demander d’avoir accès aux documents pertinents à son inspection et en faire des copies. Ce qui est prévu par la loi, c’est que l’inspecteur ait accès aux documents, mais pas que la clinique fasse les copies. Elle n’a pas l’obligation de mettre à ses frais la photocopieuse à la disposition de ce dernier. L’inspecteur peut prendre lui-même des photos », précise le Dr Desrosiers.
Toutefois, si la Régie demande, en vue d’une inspection annoncée, des copies de documents, la clinique doit les lui fournir. « Par exemple, des copies de dossiers ou de l’ensemble des factures transmises à des patients pour un service précis », indique le directeur des Affaires professionnelles.
Les inspecteurs peuvent par ailleurs se présenter au moment qui leur convient. À une période de grande affluence ou non. À l’improviste ou non. « Quand ils viennent simplement pour vérifier les frais ou prendre des photos, cela va. Quand leur démarche est plus complexe et qu’ils ont besoin de nombreux documents, s’ils n’ont pas pris rendez-vous, ils doivent tenir compte du fait que le personnel a d’autres activités. Le médecin ne peut pas fermer la clinique pour répondre à l’inspecteur. Il va lui donner ce qu’il peut dans les circonstances », dit le Dr Desrosiers.
Si l’inspecteur s’intéresse à des documents confidentiels qui ne semblent pas vraiment liés à son inspection, que faire ? « Si les pièces sont en rapport avec ses activités médicales, le médecin devrait appeler un avocat à l’Association canadienne de protection médicale. Il pourra ainsi prendre les moyens pour protéger la confidentialité des documents et, au besoin, les faire mettre sous scellés. Ce sera alors à la Cour de décider si le document est visé, ou non, par l’enquête ou l’inspection. »
Le clinicien doit-il absolument garder le silence lors des inspections pénales ? « De façon générale, les inspecteurs ne désirent pas parler au médecin, affirme le Dr Desrosiers. Ils veulent surtout avoir accès aux documents ou photographier la grille de tarifs. » Si un représentant de la Régie a besoin d’une entrevue avec un praticien, il prendra rendez-vous avec lui.
En 2017-2018, la RAMQ a fait 213 inspections et douze enquêtes. Il peut donc être prudent de se préparer à une éventuelle visite. Le médecin et son personnel devraient savoir quelles mesures prendre si un inspecteur ou un enquêteur se présente. « Il faut au moins désigner une personne qui note ce que fait le représentant de la RAMQ. On peut avertir ce dernier qu’une de nos adjointes va le suivre sans interférer avec son travail. On doit savoir ce qu’il a consulté et copié pour connaître ce avec quoi il est parti. » //