Fonds FMOQ

Économie et finance... comportementales

2018-11-27

La connaissance des êtres, l’étude de leur comportement est le commencement de la sagesse. »- Madeleine Ferron

Homo œconomicus

C’est une représentation abstraite de l’être humain qui sert à faciliter l’élaboration de modèles en économie. La notion a été conçue par les théoriciens dits « néoclassiques » pour qui l’économie est constituée de données chiffrées, de variables et, par le fait même, mathématisable. En plus de développer des outils mathématiques, comme des courbes d’offre et de demande, ces penseurs ont élaboré le concept d’équilibre entre plusieurs variables.

L’équilibre général, par exemple, réfère à une économie stable dépourvue de chômage, où l’offre égale la demande sur tous les marchés, et où chaque individu maximise sa satisfaction en fonction des contraintes. Conséquemment, chaque variation de celles-ci se traduit par un ajustement permettant au système économique de recouvrer l’équilibre.

Aux yeux des « utilitaristes », l’Homo œconomicus est un être parfaitement rationnel qui calcule son intérêt afin d’optimiser sa satisfaction économique sur le marché avec un minimum d’efforts et de moyens. Efficace et dénué de passion, cet individu cartésien ordonne ses préférences et évalue les avantages et les inconvénients de ses choix économiques (par exemple, produire, acheter ou vendre). Il se trouve au cœur de la conception théorique (paradigme) dominante sur laquelle se construit l’économie telle que nous la connaissons depuis des décennies.

Selon ce modèle, comme les ressources sont disponibles en quantités restreintes, il faut les employer de façon à en tirer la satisfaction la plus élevée possible et, par le fait même, considérer leur utilité. L’Homo œconomicus se sert donc de son intelligence pour faire des échanges librement consentis et motivés uniquement par son propre intérêt ou par son profit personnel.

Vraiment rationnel ?

Au fil des décennies, des réflexions et des travaux d’autres penseurs ont démontré que le choix rationnel n’est pas forcément celui ayant la plus forte probabilité de gain et que la rationalité humaine est tributaire de la capacité de l’individu de traiter les informations en un temps limité. L’humain étant ce qu’il est, ses habitudes influencent, voire dictent son comportement devant des choix complexes. Ses décisions ne représentent pas tant l’expression de « meilleurs choix » à des moments privilégiés que les résultats d’une suite d’événements.

Ces remises en question, voire ces critiques de l’Homo œconomicus ont mis à mal la théorie de l’utilité et ouvert la voie à l’économie dite « comportementale » (behavioral economics).

Le prix Nobel d’économie décerné en 2017 a couronné les travaux de Richard Thaler, « le pape de l’économie comportementale » qui s’intéresse aux biais du cerveau humain. Selon lui, on peut corriger les failles des mécanismes du raisonnement humain en changeant l’architecture des choix devant lesquels les gens sont placés.

Dans un article intitulé « Pour en finir avec l’Homo œconomicus », paru dans l’édition du 21 octobre 2017 du journal Le Devoir, le chroniqueur Éric Desrosiers, rapportait une expérience fascinante réalisée par Thaler pour améliorer le taux d’épargne-retraite de travailleurs américains.

Puisque peu de gens peuvent s’imposer une discipline d’épargne, il a proposé d’inscrire d’emblée tous les employés aux prélèvements automatiques en leur laissant le droit d’y mettre fin. De plus, comme les gens acceptent plus facilement une hausse salariale moindre qu’une baisse de revenu, il a aussi offert de diriger une portion des futures augmentations de salaire vers l’épargne-retraite. L’expérience a permis de passer d’une majorité d’employés qui n’épargnaient pas pour leur retraite à 90 % de travailleurs qui ne réclamaient pas l’arrêt des prélèvements automatiques.

Si, en moins de quatre ans, les employés consentants ont presque quadruplé la part de leur salaire consacré à l’épargne-retraite, c’est parce que le régime a bénéficié d’une structure facilitant l’acquisition des comportements souhaités.

Ces résultats donnent en quelque sorte raison à une note d’information produite dans le cadre d’un projet de recherche sur les politiques du gouvernement du Canada qui avançait que la compréhension du comportement individuel est essentielle pour les personnes chargées d’élaborer la réglementation et les politiques, car elle permet de mettre en place des politiques efficaces.

Tableau

Finance comportementale

S’il s’est avéré possible d’appliquer la psychologie à l’économie, il en a été de même pour la finance afin d’expliquer les habitudes des investisseurs ou des anomalies du marché boursier (par exemple, les bulles spéculatives ou les krachs).

Depuis une cinquantaine d’années maintenant, la théorie financière s’est élaborée sur la rationalité des individus et l’efficience des marchés : totalement réfléchis et cohérents, les investisseurs comprennent les données et les renseignements, et agissent en conséquence.

Ce concept a été bousculé, lui aussi, par la démonstration que l’Homo œconomicus investisseur demeure « sous influence » et que ses décisions financières restent loin d’être totalement rationnelles. Ses choix dépendent d’incitations monétaires, certes, mais son jugement se trouve faussé par des biais, en particulier dans un contexte d’incertitude. Non seulement ne traite-t-il pas l’information de manière cartésienne, mais il apprécie différemment les gains et les pertes. En fait, il base ses décisions sur des probabilités de gains plutôt que sur des éventualités de pertes, même lorsqu’il en tire des résultats économiques identiques. En d’autres mots, les pertes ont un impact psychologique plus important qu’une quantité équivalente de bénéfices. Ainsi, le fait de perdre 1 000 $ ne pourra être compensé qu’en gagnant 2 000 $ ou 3 000 $. C’est ce qui explique l’effet de disposition, une anomalie observée couramment chez les investisseurs (tableau).

C’est en s’employant à évaluer les comportements des manieurs d’argent, individuels ou professionnels, et à déterminer s’ils agissent ou non de façon rationnelle que la finance comportementale en est venue à conclure à l’existence de plusieurs biais et d’attitudes complexes face au risque.

Conclusion

Les praticiens des marchés s’intéressent de plus en plus à la finance comportementale, car elle permet de tenir compte de la dimension psychologique des cycles de marché, d’analyser le comportement des individus, de reconnaître les situations à risque et de mettre en place des stratégies visant à limiter les répercussions des biais.

L’histoire démontre que chaque crise économique ou financière (le krach d’octobre 1987, la bulle technologique, la bulle immobilière, etc.) donne raison à l’économie comportementale. Il faut sans doute y voir un rappel essentiel d’une réalité implacable, à savoir que derrière l’argent, il y a - et il y aura toujours - les gens. //

Note de la rédaction. Ce texte a été écrit, révisé et mis en pages par Conseil et Investissement Fonds FMOQ inc. et ses mandataires. Il n’engage que ses auteurs.