la réalité virtuelle pour traiter le stress post-traumatique
Le trouble de stress post-traumatique des soldats est souvent grave et difficile à traiter. Les militaires atteints ont généralement été exposés de manière prolongée et répétée à des événements traumatisants1,2. Pour les aider, les Forces armées canadiennes n’hésitent pas recourir à la réalité virtuelle.
Dr Rakesh Jetly
Les militaires et leurs thérapeutes ont ainsi, parmi les outils à leur disposition, des lunettes de réalité virtuelle. Le soldat qui est allé en mission en Afghanistan peut, de cette façon, se retrouver plongé en Asie centrale. « Nous avons pris des scènes de l’Afghanistan et de l’Irak virtuels que l’armée américaine a créés et y avons ajouté des véhicules et des uniformes canadiens. Cela permet de ramener les militaires émotivement et mentalement en Afghanistan », explique le colonel Rakesh Jetly, psychiatre dans les Forces armées canadiennes.
Grâce à ce monde synthétique, le soldat peut ainsi, dans le cadre d’une thérapie cognitivo-comportementale, être mis en contact avec des éléments de son traumatisme pour se désensibiliser.
La réalité virtuelle a un autre avantage : rendre le traitement plus stimulant. Un point important, car les vétérans souffrant de stress post-traumatique sont nombreux à abandonner leur thérapie1,2. « Utiliser cette technologie peut être plus attrayant pour les militaires que de seulement s’asseoir et de parler », explique le spécialiste.
L’armée est par ailleurs en train de tester une nouvelle technique prometteuse : le traitement 3MDR (multimodular motion-assisted memory desensitization and reprocessing). Elle est destinée aux patients atteints d’un syndrome de stress post-traumatique chez qui les autres thérapies n’ont pas fonctionné. Mise au point par l’armée néerlandaise3, cette méthode encore expérimentale consiste à faire marcher un sujet sur un tapis roulant placé devant un grand écran de réalité virtuelle de 180 degrés. Le dispositif utilisé s’appelle CAREN (computer assisted rehabilitation environment).
Le soldat choisit d’abord des photos liées à son traumatisme. « Ce ne sont pas nécessairement des images horribles d’amis mourants ou de parties de corps. Ce sont plutôt des photos qui ramènent le militaire sur les lieux du déploiement, comme des images d’un véhicule, d’un village ou d’un aéroport. » Le militaire sélectionne ensuite une musique qui va lui rappeler sa mission.
Le patient va marcher sur le tapis roulant en regardant la photo qui apparaîtra au loin sur l’écran, au bout d’un couloir. L’image s’agrandira au fur et à mesure que le soldat avancera dans l’environnement virtuel. « Il va marcher vers l’image et commencer à comprendre, à se souvenir. Il va littéralement aller vers son traumatisme », explique le chercheur.
Quand la photo aura atteint sa pleine taille, le thérapeute, qui est à côté du patient, va intervenir. « Il peut lui demander : “À quoi pensez-vous quand vous voyez l’image ? Que ressentez-vous physiquement ?” Le soldat peut se sentir effrayé, avoir mal à la tête, se sentir nauséeux. Le principe est de désensibiliser le patient, de l’habituer pendant qu’il marche. »
Le côté physique de la thérapie constitue un grand avantage pour les militaires, habitués à être actifs. « Un soldat qui doit s’asseoir pendant une heure pour sa thérapie finit toujours par se lever et marcher dans le bureau », indique le Dr Jetly.
À l’étape suivante, une balle apparaît sur l’écran. Elle se déplace de gauche à droite, et le militaire doit la suivre des yeux. Le traitement 3MDR repose non seulement sur la réalité virtuelle, mais aussi sur la thérapie EMDR (eye movement desensitization and reprocessing), soit l’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires. Il s’agit d’une méthode reconnue dans le traitement du syndrome de stress post-traumatique.
Est-ce que le traitement 3MDR fonctionne bien ? En 2016, l’armée canadienne a fait une étude pilote sur huit soldats, dont cinq ont terminé la thérapie. « Nous avons obtenu de très bons résultats chez des personnes très atteintes chez qui les traitements habituels ne fonctionnaient pas », affirme le Dr Jetly.
Aux Pays-Bas, ses collègues, qui ont mis au point la technique, ont publié depuis 2013 des articles sur divers cas cliniques2,4. Les chercheurs néerlandais voient par ailleurs la possibilité d’élargir l’utilisation de leur thérapie. « Même s’il a été créé pour des vétérans atteints du trouble de stress post-traumatique qui ne répondent pas de manière optimale aux traitements standard, ce cadre novateur a aussi le potentiel d’être utilisé dans d’autres populations de patients et à des stades de traitements plus précoces », indiquent les auteurs4. Une étude internationale à laquelle le Canada participera commencera bientôt.
1. Van der Meer R. Recent developments in computer assisted rehabilitation environments. Mil Med Res 2014 ; 1 : 22.
2. Van Gelderen M, Nijdam M, Vermetten E. An innovative framework for delivering psychotherapy to patients with treatment-resistant posttraumatic stress disorder: Rationale for interactive motion-assisted therapy. Front Psychiatry 2018 ; 9 :176.
3. Vermetten E, Meijer L, van der Wurff P et coll. The effect of military motion-assisted memory desensitization and reprocessing treatment on the symptoms of combat-related post traumatic stress disorder: first preliminary results. Stud Health Technol Inform 2013 ; 191 : 125-7.
4. Nijdam M, Vermetten E. Moving forward in treatment of posttraumatic stress disorder: innovations to exposure-based therapy. Eur J Psychotraumatol 2018 ; 9 (1) : 1 458568.