Évaluer et traiter dans une autre dimension
En médecine, en psychologie, en réadaptation, la réalité virtuelle ouvre des horizons insoupçonnés. Elle permet d’entrer dans une dimension qui offre de nouveaux moyens d’évaluer et de traiter les patients.
Dans une aile de l’Institut Philippe-Pinel de Montréal, hôpital psychiatrique doté d’une expertise légale, se trouve une curieuse salle : le laboratoire de réalité virtuelle. Une pièce aux murs complètement noirs. Au centre, sur une mezzanine, trône un étrange et grand cube blanc : la voûte immersive de réalité virtuelle. C’est là qu’une centaine de délinquants sexuels, dont des agresseurs d’enfants, sont évalués chaque année.
À l’intérieur du cube, fait de quatre écrans, le sujet, assis, regarde des images de personnages synthétiques nus, debout, bougeant légèrement. Les avatars apparaissent en deux dimensions, mais peuvent être vus en trois grâce à des lunettes de réalité virtuelle.
« L’un des facteurs le plus associés à la récidive est la présence de préférences sexuelles déviantes, comme la pédophilie », explique Mme Sarah Michelle Neveu, coordonnatrice du laboratoire. Cet aspect est important à déterminer chez les agresseurs d’enfants, parce que tous ne sont pas pédophiles. Certains ont pu choisir leur victime, par exemple, par facilité.
La pléthysmographie pénienne à l’aide d’avatars est l’un des tests que ces délinquants sexuels auront à passer. « On va présenter des personnages d’enfants et d’adultes de différents âges, des garçons et des filles, à la personne qui aura un anneau de pléthysmographie pour mesurer les variations de circonférence pénienne », indique Mme Neveu, également étudiante au doctorat.
L’institut Pinel utilise cette méthode depuis 2015. Mais l’idée de recourir à des personnages synthétiques est venue au directeur du laboratoire, le Dr Patrice Renaud, psychologue, il y a une vingtaine d’années. Alors étudiant au doctorat, il a pensé à cette solution quand l’utilisation des photos d’enfants nus, venant des saisies policières, a été interdite. Les avatars se sont révélés efficaces. Ils permettaient de déceler adéquatement l’attirance sexuelle pour les enfants, selon deux thèses de doctorat qu’a supervisées le Dr Renaud, également professeur à l’Université du Québec en Outaouais.
Mais à quoi servent les résultats de pléthysmographie ? Ils constituent des données importantes dans le dossier des agresseurs. Ceux qui sont évalués à l’Institut ont été déclarés coupables, mais leur sentence n’a pas encore été fixée. « On transmet nos résultats au psychiatre qui fait une expertise pour la cour. Il s’en servira pour faire ses recommandations », indique Mme Neveu.
Dans la voûte d’immersion virtuelle, le sujet porte non seulement un anneau pénien, mais aussi un casque muni d’électrodes liées à un électro-encéphalogramme. « On regarde l’activité cérébrale associée à l’excitation sexuelle », indique Mme Neveu.
Pour l’instant, seule la réponse érectile est utilisée dans le rapport remis au psychiatre, mais d’autres mesures sont prises pour confirmer les résultats de la pléthysmographie et recueillir des données de recherche.
Ainsi, la personne testée doit également mettre des lunettes munies d’un système de suivi oculaire. Parce que le mouvement des yeux permet lui aussi de déceler l’intérêt sexuel. « Il y a une façon particulière de scruter les stimulus sexuels qui consiste à regarder tour à tour les caractéristiques sexuelles et non sexuelles. Cela permet à la personne de confirmer son excitation et de la maintenir. On peut détecter ce mode d’exploration chez les pédophiles devant les représentations d’enfants », explique le Pr Renaud.
Mais les gens ne peuvent-ils pas cacher leur excitation sexuelle ? « Essayer de contrôler la réponse physiologique donne des schémas de réponses qui sont spécifiques, répond Mme Neveu. Ce sont des signatures très faciles à voir. »
Le Pr Renaud a fait plusieurs études sur ce sujet1-2. « On a observé que lorsqu’un sujet décide de contrôler sa réponse érectile en pensant à autre chose, le mouvement des yeux suit certains schémas. S’il choisit plutôt d’éviter de regarder le contenu sexuel, on le voit aussi. »
Le Pr Renaud et son équipe s’intéressent à un autre élément clé chez les agresseurs : la capacité d’empathie. On peut l’évaluer dans une certaine mesure grâce à l’électro-encéphalogramme. Lorsqu’une personne éprouve ce sentiment, l’activité de certaines zones du cerveau se modifie. « L’empathie est associée à une suppression de l’onde alpha dans le cortex sensorimoteur », précise Mme Neveu.
Ce facteur peut avoir une grande importance. « Le manque d’empathie ajoute au risque de récidive, parce que la personne ne sera pas freinée par l’expression de la détresse de la victime. Ce qui nous intéresse actuellement, c’est de le mesurer de façon objective », affirme le Pr Renaud.
L’empathie peut être déclenchée par la vue d’une personne qui souffre, mais aussi d’un avatar qui semble avoir mal. Le chercheur et ses collaborateurs l’ont montré dans une étude récente où ils présentaient à vingt-quatre sujets un personnage synthétique, assis en face d’eux, en proie à une grande souffrance3.
Peut-on augmenter la capacité d’empathie ? C’est ce que le chercheur et son équipe vont tenter sous peu. Ils présenteront à des volontaires peu doués pour l’empathie un avatar d’eux-mêmes souffrant. Quand le sujet réussira à supprimer l’onde alpha dans son cortex sensorimoteur, donc à ressentir de l’empathie, un signe se produira. L’avatar fera, par exemple, un mouvement. « C’est une forme de neurofeedback. La personne pourrait être informée en temps réel de son activité cérébrale et mettre en place des stratégies cognitives pour la faire varier. Cela se fait déjà avec l’impulsivité », mentionne le Pr Renaud.
Comment rendre le monde virtuel plus envoûtant sur le plan sexuel ? L’étude « Présence sexuelle » du Pr Renaud va explorer cette question. Tant chez les hommes que chez les femmes. Les sujets, équipés d’instruments mesurant leur excitation, se retrouveront plongés dans un scénario sexuel. Ils pourront choisir les personnages, le décor, les couleurs pour le rendre plus stimulant. « On va voir jusqu’où cela modifie ce qu’ils ressentent », explique le chercheur. « On veut comprendre comment les yeux, le cerveau réagissent, comment l’excitation causée par un milieu virtuel se manifeste sur le plan physiologique », indique Mme Neveu, qui collabore à l’étude.
Ce projet vise également à mieux connaître l’effet de la réalité virtuelle en tant que tel. « On altère l’état de conscience du sujet. Il faut connaître les mécanismes en jeu », estime le psychologue. Ces données pourraient permettre une utilisation plus efficace du monde synthétique.
Le domaine de la réadaptation puise lui aussi dans la réalité virtuelle des moyens d’accroître son efficacité. Dans cette autre dimension, il est possible, par exemple, d’effectuer des évaluations plus fines.
À Québec, au Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale, le Pr Bradford McFadyen, qui enseigne à l’Université Laval, s’intéresse aux séquelles résiduelles des traumatismes craniocérébraux. Celles qui ne ressortent dans aucun des tests habituels. « Pour les mettre en évidence, il faut placer la personne dans une situation réelle exigeant toutes ses capacités cognitives, physiques et autres en même temps », explique le chercheur. Et la réalité virtuelle donne cette possibilité.
Le chercheur et ses collaborateurs ont réalisé une étude préliminaire pour les Forces armées canadiennes4. L’objectif : comparer six militaires ayant subi des traumatismes craniocérébraux légers à six autres indemnes. Les chercheurs les ont envoyés à tour de rôle dans un village virtuel pour y effectuer une tâche de plus en plus ardue.
En mettant son casque de réalité virtuelle, le soldat atterrissait sur la place centrale où il devait, fusil à la main, patrouiller en effectuant des rondes en forme de 8. L’espace était entouré de barbelés et correspondait aux dimensions de la pièce dans laquelle le militaire se trouvait vraiment.
Au cours de sa garde, le soldat avait d’abord à contourner une personne immobile. Un peu plus tard, il devait éviter un second avatar qui se dirigeait vers lui. Puis, il lui fallait en esquiver un troisième qui bougeait en même temps que lui et tentait de lui bloquer le chemin pendant un certain temps. « Il devait donc planifier de plus en plus », explique le Pr McFadyen.
Le militaire devait également surveiller les fenêtres des maisons aux alentours. Parfois, des volets s’ouvraient, et une personne apparaissait. Si elle faisait partie des ennemis qu’il avait vus en photo auparavant, il devait immédiatement déverrouiller son arme. Si c’était un simple citoyen, il devait la verrouiller rapidement. Un exercice qui testait sa mémoire de travail.
En général, peu de différences sont apparues entre les deux groupes de soldats. Sauf en ce qui concerne la fluidité du déplacement. Les sujets sans commotion cérébrale ralentissaient le pas quand l’environnement devenait plus exigeant. Par exemple, quand ils affrontaient un avatar plus actif.
« Les militaires avec un traumatisme crânien, eux, maintenaient leur vitesse », indique le Pr McFadyen. Ils semblaient moins capables de s’adapter. Un signe potentiellement inquiétant. « La raison pour laquelle le groupe avec un traumatisme crânien n’agissait pas de la même façon pourrait être due au fait qu’il lui manquait la prudence normalement nécessaire pour effectuer la tâche », écrivent les chercheurs dans leur article.
Le Pr McFadyen, qui voudrait refaire l’étude à plus grande échelle, était parvenu à des résultats similaires avec des athlètes d’élite victimes d’une commotion cérébrale5. « Ces derniers avaient passé différents examens qui s’étaient tous révélés normaux. » Les chercheurs les ont soumis à un test semblable à celui des militaires, mais sans réalité virtuelle. « On leur a demandé de marcher dans une salle comprenant un obstacle et de porter attention à ce qui se passait sur un écran. Là, on voyait une différence entre ceux qui avaient eu une commotion et les autres. »
Le retour des victimes de traumatismes craniocérébraux à leurs activités est l’une des questions qui intéressent le chercheur. « La personne qui recommence trop tôt s’expose à une autre commotion, peut-être parce qu’elle ne juge pas la situation adéquatement. Sa capacité de planifier n’est pas revenue à la normale. Après une première commotion, bien des gens en ont assez rapidement une seconde. »
La réalité virtuelle peut également être employée pour le travail de réadaptation. Par exemple, pour améliorer la capacité de marcher après un accident vasculaire cérébral (AVC). Elle permet de projeter le patient dans un monde beaucoup plus palpitant qu’un couloir d’hôpital.
Le Pr McFadyen a collaboré à une étude sur un homme de 62 ans qui avait subi un AVC6. Le patient, qui devait marcher sur un tapis roulant, pouvait, grâce à ses lunettes de réalité virtuelle, se promener dans un parc, traverser une rue, aller dans une gare de train ou fouler une plage. L’entraînement se complexifiait graduellement par l’ajout de difficultés qui apparaissaient sur l’écran pendant que le tapis bougeait pour y correspondre.
L’homme a amélioré son équilibre et accru sa marche rapide sur cinq mètres ainsi que la distance parcourue en six minutes par rapport au même entraînement sans réalité virtuelle fait des semaines auparavant.
L’environnement virtuel offre entre autres au thérapeute un pouvoir intéressant : la maîtrise des différents facteurs. Le temps accordé pour traverser une rue, la distance à parcourir, les exigences sur le plan cognitif. « Quand on se promène, certaines aptitudes sont nécessaires, comme la planification et la concentration, explique le chercheur. Dans la simulation, lorsque l’ambulance tourne dans la rue, la personne doit décider : ai-je le temps de traverser ? » Si, dans son environnement synthétique, le patient prend le risque et se trompe, le véhicule fonce sur lui ! Tant pis ! La réalité virtuelle permet ce genre de fantaisie en toute sécurité. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’entraînement peut commencer plus tôt. « Dans la vraie vie, on ne peut pas demander aux patients de sortir et de traverser une rue comme ça. »
Actuellement, la réalité virtuelle n’est pas encore vraiment entrée dans les centres de réadaptation. Seulement 12 % des 1071 physiothérapeutes et ergothérapeutes canadiens qui ont répondu à un sondage publié en 2017 y avaient recours7. Ils s’en servaient surtout chez des patients qui avaient eu un AVC, un traumatisme crânien ou qui présentaient des problèmes musculosquelettiques.
Mais, qui sait, le recours aux environnements virtuels pourrait peut-être se répandre plus vite que prévu. Le Pr McFadyen et ses collègues travaillent déjà à un système pour la maison. Les sujets de leur prochaine étude, des patients qui ont subi un AVC et qui doivent améliorer leur capacité de marcher, recevront un casque de réalité virtuelle et un tapis roulant à employer chez eux.
Comment entrer dans l’univers d’un patient schizophrène qui entend des voix ? Comment l’aider à affronter ses hallucinations auditives quand ni les médicaments, ni les thérapies, ni les électrochocs n’ont pu le faire ? Le Dr Alexandre Dumais, psychiatre à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, a trouvé une voie : la réalité virtuelle.
Dans cette autre dimension, le médecin aide son patient à dialoguer avec son démon. À l’apprivoiser. « La thérapie n’a pas nécessairement d’effet sur les causes des hallucinations qui pourraient relever de la neurobiologie du cortex auditif, explique le chercheur. Elle jouerait plutôt sur le vécu hallucinatoire. » Parce que les voix qu’entendent les patients les persécutent, leur donnent des ordres, les plongent dans une grande détresse.
C’est dans une petite salle, derrière un miroir sans tain, que le patient entre dans le monde virtuel. En mettant le casque, il se retrouve dans un autre espace dans lequel va apparaître le personnage qui le hante. Le patient l’a recréé auparavant avec le psychiatre à l’aide d’un logiciel. Il a guidé le médecin : homme ou femme ; jeune ou vieux ; peau rouge, noire, couleur chair. Parfois, il s’agit d’un diable ; parfois, d’un proche (une connaissance, un membre de la famille ou un intervenant).
De l’autre côté du miroir, le psychiatre peut, sur son ordinateur, déplacer l’avatar, le rapprocher du patient, le faire changer d’expression. C’est lui aussi qui le fait parler. Au cours des premières séances, le Dr Dumais prononce les phrases que la personne lui a dit entendre : « Tu ne vaux rien », « Tu es laid ». La voix du médecin est déformée synthétiquement pour ressembler à celle qui tourmente le patient.
Le premier contact avec l’avatar est souvent terrorisant. Le patient est envahi d’émotions intenses. Il apprendra à les apprivoiser au cours des premières séances. Quand le trouble est trop profond, le Dr Dumais remplace le démon par un personnage blanc qui le représente, et il reprend sa vraie voix. Il parle au patient, le rassure, l’encourage à dialoguer avec le personnage.
À mesure que la thérapie avance, l’avatar évolue. « Je le rends plus gentil, explique le psychiatre. Il discute avec le patient, essaie de trouver des terrains d’entente. Tranquillement, la relation devient beaucoup plus saine. » À la cinquième séance, le démon se met même à faire des compliments. Le Dr Dumais répète au patient les qualités que lui a indiquées l’entourage de ce dernier. Progressivement, le sujet apprend à avoir confiance en lui et à ne plus laisser son avatar l’insulter. Il en vient à lui parler plus librement.
Mais de quoi discute-t-on avec son démon ? L’équipe du Dr Dumais a analysé les conversations de douze patients avec leur avatar8. Fait intéressant, elles évoluent au cours de la thérapie. Les patients parlent beaucoup de leurs émotions. Au début, ils expriment la peur, la colère, la tristesse qu’ils ressentent à cause de leur démon. Pendant les premières séances, un sujet dit par exemple au sien : « Mon cœur tremble. » Mais quelques semaines plus tard, il lui lance : « Je n’ai plus peur de toi dorénavant. »
Les patients confient aussi à leur avatar leurs croyances au sujet de leur schizophrénie et des voix qu’ils entendent. Leurs perceptions se transforment. Ainsi, au commencement, un sujet avoue à son démon : « Tu es beaucoup plus fort que moi. Tu es un dieu. » Et quelques semaines plus tard : « Peut-être que cela vient de moi et que tu dis ce que je pense de moi. »
D’autres thèmes émergent spontanément dans le dialogue entre le patient et le personnage virtuel : les perceptions que la personne a d’elle-même (« Je suis toujours négatif envers moi-même »), ses mécanismes d’adaptation (« J’essaie de cesser de croire en toi ») et ses aspirations (« Je veux faire la paix avec toi »). Ces sujets sont importants parce qu’ils seraient liés aux cibles thérapeutiques, estiment les chercheurs.
Qu’elle est l’efficacité de la thérapie avec avatar ? Le Dr Dumais et ses collaborateurs l’ont mesurée dans une première étude publiée au début de 20189. Elle comprenait dix-neuf patients qui souffraient d’hallucinations auditives résistant aux médicaments. Pendant sept semaines, la moitié du groupe a suivi le traitement par réalité virtuelle et l’autre avait le suivi habituel, avant d’avoir droit lui aussi à la méthode expérimentale.
La thérapie virtuelle a permis de réduire significativement la gravité des hallucinations auditives ainsi que les symptômes dépressifs. La qualité de vie des patients s’est également accrue. Mais si le traitement a réduit la détresse des patients, il n’a pas diminué la fréquence de l’apparition des voix de manière significative. « Plusieurs disaient : “ La voix parle toujours autant, mais ça ne me dérange pas” ou “Maintenant, on a une relation plus saine. On se parle. Je lui donne des rendez-vous” », affirme le psychiatre.
Cette méthode serait plus efficace que la thérapie cognitivo-comportementale. Le chercheur est d’ailleurs en train de le montrer dans un groupe de 80 patients schizophrènes résistants aux médicaments.
Le Dr Dumais aimerait voir sa méthode utilisée dans d’autres centres spécialisés en psychiatrie et même, éventuellement, dans des CLSC ou des cliniques par des équipes de première ligne spécialisées en santé mentale. « On a essayé de rendre notre technique la plus facile possible à utiliser. Elle a par ailleurs déjà été testée sur plus d’une centaine de patients dans le monde. » La méthode demande en outre un équipement limité : un casque de réalité virtuelle et un programme.
La réalité virtuelle permet également de pénétrer dans l’univers des dépendances, des phobies et autres troubles anxieux. Un professionnel peut ainsi immerger son patient dans un environnement artificiel et l’y accompagner.
Le virtuel ne constitue toutefois qu’un outil dans le cadre d’une thérapie cognitivo-comportementale. « Tout se passe comme dans une thérapie ordinaire, précise le Pr Stéphane Bouchard, psychologue et professeur à l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Les mêmes facteurs sont importants. L’élément central contre les troubles anxieux est ce qu’on appelle “l’exposition”. » Et c’est là que le monde synthétique offre tout son potentiel.
Le patient à traiter est, par exemple, arachnophobe. Quand, dans la thérapie, arrive l’étape de l’exposition, le psychologue lui tend des lunettes de réalité virtuelle. La personne se découvre alors dans un appartement où, dans chaque pièce, des arachnides se promènent, vivent, se cachent sous des meubles. « Si le patient a peur des grosses araignées, on ira dans la pièce numéro deux. S’il craint les plus petites, on se rendra dans la chambre à coucher », explique le Pr Bouchard.
Sur son écran, le thérapeute voit ce que le patient regarde. « Quand il tourne la tête, bouge, se lève, les images suivent ses mouvements. Je peux lui dire : “Là, vous êtes à tel endroit. Allons un peu plus près. Êtes-vous prêt à toucher l’araignée ?” »
La personne qui a la phobie de l’avion bénéficie d’un scénario similaire. Elle se retrouve soudain assise dans un appareil, parmi d’autres passagers. « Je peux contrôler ce que je vais lui faire vivre. Quand elle est prête, on peut décoller dans de bonnes ou de mauvaises conditions. Au cours du vol, il peut y avoir de la turbulence ou non », précise le psychologue, également le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en cyberpsychologie clinique.
La réalité virtuelle permet de traiter toute une série de phobies. Les environnements pour les affronter ont été les premiers créés, parce qu’ils sont plus simples. Mais des problèmes plus complexes peuvent aussi être soignés dans la réalité virtuelle, comme le trouble d’anxiété généralisée ou l’anxiété sociale.
« Dans les cas d’anxiété, le but de l’exposition est d’amener le patient à assimiler le fait qu’il n’y a pas de danger », explique le Pr Bouchard. Si une personne redoute pathologiquement, par exemple, de parler en public, le thérapeute peut la plonger dans une salle de classe. « On peut lui dire : “Vous allez vous entraîner à parler devant une audience et apprendre à faire de petites erreurs et à passer par-dessus. Êtes-vous prêt ?” »
La réalité virtuelle ouvre aussi les portes des mondes de la dépendance, comme celui du jeu pathologique. Le patient se trouve soudain dans un casino ou dans un bar avec des appareils de loterie vidéo. Il peut y circuler, regarder les autres personnes jouer. Rapidement, il sent monter en lui une excitation. Il peut même s’asseoir physiquement sur une chaise, mettre ses mains sur des boutons et jouer virtuellement.
« L’objectif de l’exposition est, cette fois, de susciter le désir de jouer pour que le professionnel puisse mettre en place avec son client des stratégies de prévention de la rechute pendant que celui-ci est activé émotionnellement, explique le psychologue. On va dire à la personne : “Que peux-tu faire pour t’en aller ? Que peux-tu te dire ?” »
À mesure que le patient évolue dans la salle de jeux, il peut expliquer à son thérapeute ce qu’il ressent. Les pensées qui émergent en lui10. Notamment les idées erronées et les distorsions cognitives. Tout à coup, par exemple, le patient voit un client quitter son appareil de loterie vidéo. « Le joueur peut se dire : “Cette machine va être est payante, parce que l’homme a dû perdre tout son argent”. Ses croyances s’activent devant nous, et on peut intervenir. »
L’exposition virtuelle donnerait des résultats semblables à ceux de l’exposition in vivo, selon les études11. Et cela même si l’environnement synthétique ne constitue pas une copie parfaite de la réalité. « Nos travaux montrent qu’il faut simplement un degré de réalisme suffisant. Quand il est assez élevé pour susciter la réponse émotionnelle, il est adéquat pour la thérapie », explique le Pr Bouchard.
Mais le virtuel pourrait-il devenir plus efficace que la réalité ? Peut-être. Parce qu’il permet d’aller dans des extrêmes impossibles dans la vraie vie. « Des travaux des années 1980 ont montré que si l’exposition va plus loin, elle est plus efficace. Le virtuel pourrait ainsi avoir le potentiel de convaincre le système limbique, centre des émotions, mieux que la réalité qu’il n’y a pas de danger. Des recherches sur ce sujet sont en cours un peu partout dans le monde, dont ici dans notre laboratoire. »
Le Pr Bouchard effectue actuellement une étude sur la phobie des hauteurs. « On amène les patients à plonger dans le vide. Au début, ils paniquent un peu. Après ça, ils trouvent ça drôle et, finalement, ils arrivent à une conclusion : ils ne sont pas happés par le vide. Ils tombent seulement s’ils le veulent. Et s’ils ne le veulent pas, ils peuvent simplement danser sur place au-dessus d’un clocher d’église, par exemple. »
Le Laboratoire de cyberpsychologie de l’UQO, fondé par le Pr Bouchard en 1999, a mis au point de nombreux environnements virtuels. « On les crée du début à la fin, explique le chercheur. On conçoit les idées, puis on les réalise avec notre équipe, qui comprend des artistes. Ensuite, on fait des études sur leur efficacité et les mécanismes en jeu. »
Des hôpitaux, des cliniques et des psychologues ont acheté des logiciels créés par le Laboratoire qui incluent une vingtaine d’environnements virtuels. « Ces produits fonctionnent avec des casques qu’on peut se procurer dans les magasins à grande surface. » Grâce à une entente avec l’UQO, les programmes sont vendus par In Virtuo, entreprise dont le Pr Bouchard est le président.
Seule ou associée à d’autres techniques, la réalité virtuelle offre donc maintenant aux thérapeutes, soignants et chercheurs la possibilité d’élargir le champ des possibilités pour évaluer, traiter et explorer. Ils peuvent désormais intervenir dans une dimension où n’existent plus les contraintes du réel. //
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