Dossiers spéciaux

La Women’s Health Initiative avec un recul de dix-huit ans

l’innocuité de l’hormonothérapie

Emmanuèle Garnier  |  2018-02-02

En 2002 et en 2004, les deux essais cliniques de la Women’s Health Initiative étaient interrompus, car les risques de l’hormonothérapie chez les femmes ménopausées dépassaient les avantages. Mais que révèlent maintenant les données sur la mortalité ?

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Dre Shaulov

L’hormonothérapie est sûre. Elle n’a aucun effet sur la mortalité à long terme chez les femmes ménopausées. Elle ne hausse ni le taux de décès global ni le pourcentage de mort due à une cause précise : cancer, maladie cardiovasculaire ou autres. Et cela est vrai autant pour la prise d’œstrogènes seuls qu’associés à la médroxyprogestérone.

Ces faits sécurisants sont issus d’une nouvelle sous-analyse de la Women’s Health Initiative (WHI) qui bénéficie d’un recul de dix-huit ans1. Les auteurs, la Dre JoAnn Manson, de la Harvard Medical School, et son équipe, ont étudié les données des quelque 27 000 femmes qui ont participé aux deux volets de l’étude (voir le texte en p. 13). Le premier essai clinique, qui a duré 5,6 ans, comparaît un placebo à une association d’œstrogènes et de progestérone ; le second a évalué la prise d’œstrogènes seuls par rapport à un placebo pendant 7,2 ans.

Les chercheurs ont recueilli jusqu’en décembre 2014 les données sur les participantes décédées. Résultat : au bout de dix-huit ans, le taux de mortalité dans les groupes sous hormones et les groupes témoins était similaire.

« Ces données sont extrêmement rassurantes. Il s’agit de la plus longue étude qu’on ait eue jusqu’à présent. Elle ne se reproduira probablement plus jamais », estime la Dre Talya Shaulov, gynécologue-obstétricienne spécialisée en ménopause au Centre hospitalier de l’Université de Montréal.

À Toronto, la Dre Wendy Wolfman, directrice de l’unité de ménopause de l’hôpital Mount Sinai, est également emballée. « Je pense que c’est formidable. Cette nouvelle analyse nous rassure au sujet de la prescription à court terme de l’hormonothérapie et nous montre que dix-huit ans après le début de la prise d’hormones, il n’y a pas de différences à long terme concernant les problèmes de santé importants, que ce soit le cancer ou les maladies cardiaques. C’est très rassurant de savoir que la prise d’hormones pendant 5,6 ans ou 7,2 ans n’a pas de répercussion importante sur la longévité », affirme la clinicienne.

Cancer du sein

Qu’en est-il du cancer du sein ? L’essai WHI sur la prise combinée d’œstrogènes et de progestérone a été cessé en 2002, entre autres à cause d’une augmentation du risque de cancer du sein. Après dix-huit ans, les données sont relativement rassurantes : la hausse du nombre de décès liés au cancer du sein n’est pas statistiquement significative, bien qu’elle le soit presque dans le groupe ayant pris à la fois des œstrogènes et de la progestérone (voir le texte en p. 13).

Néanmoins, le risque de tumeur maligne du sein reste quand même accru. Dans l’essai clinique WHI portant sur la prise d’œstrogène et de progestérone, il y avait eu neuf cancers du sein supplémentaires chez 10 000 femmes pour chaque année de thérapie chez les participantes prenant des hormones. Une hausse très faible. Moins d’un cas additionnel de cancer du sein diagnostiqué par 1000 utilisatrices par an.

« Il faut dire à nos patientes qu’à long terme l’hormonothérapie peut augmenter un petit peu le risque de cancer du sein. On doit leur révéler les données, mais mettre les chiffres en perspective », recommande la Dre Shaulov. Le risque lié à l’hormonothérapie est, dans les faits, « légèrement plus grand que celui qui est observé pour un verre de vin par jour, moins élevé que pour deux verres par jour et semblable au risque pour l’obésité, un faible niveau d’activité physique et la prise d’autres médicaments », indique pour sa part la North American Menopause Society dans ses lignes directrices de 20172.

Les progestatifs pourraient peut-être jouer un rôle néfaste dans le cancer du sein. Les femmes de l’étude WHI qui prenaient des œstrogènes seuls avaient même, par ailleurs, un taux de décès dus au cancer du sein statistiquement inférieur à celui du groupe témoin (voir le tableau du texte en p. 13). « La relation entre le cancer du sein et l’hormonothérapie n’est toujours pas claire », indique la Dre Shaulov.

« Même pour les femmes de 60 à 69 ans, les données sont relativement bonnes. Les chiffres sont neutres. Il n’y a pas d’augmentation du risque de mortalité. »

– Dre Wendy Wolfman

De manière générale, d’autres facteurs seraient également susceptibles d’intervenir. Selon la North American Menopause Society, les effets de l’hormonothérapie sur les risques de cancer du sein pourraient dépendre du type d’hormonothérapie, de la dose, de la durée de l’utilisation, du schéma posologique, de la voie d’administration, de la prise antérieure d’hormones et des caractéristiques individuelles de la patiente.

Dre Wolfman

Maladies cardiovasculaires

C’est à cause d’une augmentation du risque d’ac­ci­dents vasculaires cérébraux (AVC) que le volet de l’étude WHI sur les œstrogènes seuls a, de son côté, été cessé précocement. Qu’en est-il alors de ce risque dix-huit ans après le début de la prise d’hormones ? La probabilité de décès à cause d’un AVC n’est statistiquement pas plus élevée chez les femmes qui ont pris des œstrogènes avec ou sans progestérone. De manière plus large, l’hormonothérapie ne hausse pas le risque de décès dû à un trouble cardiovasculaire.

L’effet des hormones pourrait toutefois varier selon l’âge, selon la North American Menopause Society. Chez les femmes plus jeunes, les hormones pourraient même être protectrices. Différentes études et des méta-analyses « semblent indiquer qu’il y a un risque réduit de maladie coronarienne chez les femmes qui ont commencé l’hormonothérapie avant 60 ans ou au cours des dix premières années de leur ménopause », mentionne l’organisme dans ses lignes directrices. Par contre pour les femmes qui commencent à prendre des hormones plus de dix ans et surtout plus de vingt ans après le début de la ménopause, le risque est accru.

Femmes plus jeunes

Chez les femmes les plus jeunes de l’étude WHI, soit le groupe âgé de 50 à 59 ans au début de l’essai clinique, l’hormonothérapie n’a eu aucun effet néfaste sur le plan de la mortalité. Au contraire. Par rapport au groupe témoin, le taux de décès des participantes dans la cinquantaine était significativement réduit de 31 % pendant la période où elles prenaient des hormones. « C’est ce qu’on voit un peu dans d’autres études et méta-analyses. L’hormonothérapie a peut-être un effet protecteur quand elle est prescrite tôt », dit la Dre Shaulov.

Mais au bout de dix-huit ans, soit plus de dix ans après l’arrêt de l’hormonothérapie, cet avantage s’estompe dans l’étude WHI. La diminution du taux global de mortalité n’était alors significative que chez les femmes qui prenaient uniquement des œstrogènes. Leur taux de décès était abaissé de 21 %.

« Des méta-analyses ont montré qu’il y a une fenêtre dans laquelle l’hormonothérapie est sûre : en bas de 60 ans et moins de dix ans depuis la ménopause. On ne peut pas encore dire que les hormones sont protectrices, mais on peut rassurer grandement les femmes en leur disant que, dans cette catégorie d’âge, il n’y a pas d’augmentation du risque », indique la Dre Shaulov.

Dans sa toute dernière analyse, le US Preventive Services Task Force (USPSTF), pour sa part, met en garde pour l’instant contre l’idée d’un effet protecteur des hormones chez les femmes ménopausées dans la cinquantaine3. « Jusqu’à présent, aucun essai clinique de bonne qualité à distribution aléatoire n’a évalué de manière prospective les effets bénéfiques et nuisibles de l’hormonothérapie en fonction du moment où elle est commencée au cours de la ménopause. » L’organisme se prononce d’ailleurs contre le recours à l’hormonothérapie pour la prévention primaire de maladies chroniques chez les femmes ménopausées.

Femmes dans la soixantaine

Qu’en est-il du taux de mortalité chez les participantes d’âge intermédiaire dans l’étude WHI ? « Même pour les femmes de 60 à 69 ans, les données sont relativement bonnes. Les chiffres sont neutres. Il n’y a pas d’augmentation du risque de mortalité », précise la Dre Wolfman. L’hormonothérapie est maintenant prescrite aux femmes dont la ménopause date de moins de 10 ans, mais certaines peuvent avoir atteint la soixantaine. Les données de l’étude WHI les concernant sont donc rassurantes. « Le risque resterait encore très petit », précise la spécialiste.

Femmes plus âgées

Chez les femmes les plus âgées, soit celles qui avaient de 70 à 79 ans au début de l’essai clinique, le risque de mortalité augmente un peu, mais n’est pas statistiquement significatif en général. Globalement, l’hormonothérapie semble quand même moins sûre.

La prise d’hormones à un âge avancé serait par ailleurs plus hasardeuse sur le plan de la morbidité. « Les femmes qui commencent l’hormonothérapie après l’âge de 60 ans ou encore dix ans, et surtout plus de 20 ans, après le début de leur mé­nopause présentent un risque absolu plus élevé de mala­dies coronariennes, de thrombo-embolie veineuse (risque d’em­bolie pulmonaire) et d’AVC que celles qui commencent à prendre des hormones au début de la ménopause », précise la North American Menopause Society.

Pourquoi cette hausse du risque ? « Probablement parce que, dans cette tranche d’âge, les femmes ont beaucoup de facteurs de risque déjà établis. Elles ont probablement une maladie cardiovasculaire qui s’installe. Et on sait que l’hormonothérapie peut probablement accroître d’une certaine façon les maladies cardiovasculaires quand on la commence plus tard », mentionne la Dre Shaulov.

« Des méta-analyses ont montré qu’il y a une fenêtre dans laquelle l’hormonothérapie est sûre pour les patientes : en bas de 60 ans et moins de dix ans après la ménopause. »

– Dre Talya Shaulov

L’étude WHI, comme les autres, laisse une question en sus­pens : que faire si la patiente qui a entrepris une hormonothérapie dans la cinquantaine veut la poursuivre après 70 ans à cause de la persistance de ses symptômes ménopausiques ? « On ne sait pas grand-chose sur ces cas. Ce que nous essayons de faire est de leur donner la plus faible dose possible de manière transdermique pour diminuer les risques thrombotiques », indique la Dre Wolfman.

Avec un recul de dix-huit ans, on sait ce­pen­dant que l’hormonothérapie est sûre de ma­nière générale. « On peut dire à nos pa­tientes, en s’appuyant sur des données très impor­tantes, que la prise d’hormones n’augmente pas le taux de mortalité. Peut-être qu’elle peut accroître le risque de cancer du sein, mais il faut voir si c’est encore le cas avec tous les types d’hormonothérapie dont on dispose aujourd’hui », affirme la Dre Shaulov. Pour la Dre Wolfman, les patientes ne doivent plus hésiter. « Elles ne doivent pas avoir peur de prendre des hormones si elles en ont besoin pour améliorer leur qualité de vie lorsqu’elles n’ont pas de contre-indications comme la grossesse, des saignements utérins anormaux non diagnostiqués, un AVC ou un infarctus du myocarde récents ou encore des antécédents de cancer du sein, de thrombose veineuse profonde ou d’embole pulmonaire. » //

Bibliographie

1. Manson JE, Aragaki AK, Rossouw JE et coll. Menopausal hormone therapy and long-term all-cause and cause-specific mortality: The Women’s Health Initiative Randomized Trials. JAMA 2017 ; 318 (10) : 927-38.

2. The NAMS 2017 Hormone Therapy Position Statement Advisory Panel. The 2017 hormone therapy position statement of The North American Menopause Society. Menopause 2017 ; 24 (7) : 728-53.

3. US Preventive Services Task Force, Grossman DC, Curry S et coll. Hormone therapy for the primary prevention of chronic conditions in postmenopausal women: US Preventive Services Task Force Recommendation Statement. JAMA 2017 ; 318 (22) : 2224-33.