Redevenir normoglycémique en trois jours
Guérir des patients atteints du diabète de type 2 grâce à une importante perte de poids ? Le Dr André Carpentier, endocrinologue au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, sait que c’est possible. Et pas seulement dans l’étude DiRECT1. « J’ai moi aussi des patients diabétiques qui sont entrés en rémission. Ils ont arrêté tous leurs médicaments. Ils ont eu des pertes de poids semblables à celles des participants de l’essai cliniq ue. »
Ce retour à la normoglycémie peut se faire très rapidement. En quelque 72 heures. C’est le temps qu’il a fallu au spécialiste et à son équipe, dans le cadre d’une étude, pour rendre normoglycémiques des patients diabétiques par une importante restriction calorique. Le régime qu’ils ont testé était semblable à celui de l’essai clinique DiRECT.
« En l’espace de trois jours, on normalise presque complètement la sensibilité hépatique à l’insuline. On améliore également la fonction des cellules bêta et la sécrétion d’insuline à la suite d’un repas », explique le Dr Carpentier qui a publié ces résultats en 2014 dans Obesity2.
Mais qu’arrive-t-il pendant ces premiers jours de régime ? « La restriction calorique agit sur le bilan énergétique. Cela se passe beaucoup dans le foie », précise le chercheur. La diminution de l’apport calorique non seulement augmente rapidement la sensibilité du foie à l’insuline, mais diminue aussi sa production de glucose et sa teneur en lipides. « Le mécanisme est sans doute lié à une réduction rapide de la surabondance des substrats énergétiques au niveau des mitochondries du foie », précise l’endocrinologue.
Le recours à la restriction calorique pour faire chuter la glycémie n’a cependant rien de nouveau. Il s’agit même d’un vieux truc. Le Dr Carpentier se souvient de l’avoir vu utilisé alors qu’il était étudiant en médecine. « À l’époque, on hospitalisait les diabétiques obèses dont la glycémie était mal maîtrisée. Ils étaient très résistants à l’insuline et pouvaient s’injecter 400 ou 500 unités d’insuline quotidiennement. En deux jours, avec un régime hypocalorique, leurs besoins en insuline fondaient à vue d’œil. Une personne consommant habituellement 3000 kcal par jour qui réduisait son apport à 800 kcal ou à 1000 kcal pouvait faire des hypoglycémies si elle continuait à prendre ses médicaments antidiabétiques. »
Le Dr Carpentier se sert par ailleurs de ce mécanisme dans sa pratique. « Je dis depuis des années à mes patients diabétiques que les changements d’habitudes de vie et la perte de poids sont la pierre angulaire de leur traitement. »
Le Dr Carpentier a connu des patients qui ont perdu 80 livres. « Mais il n’est pas nécessaire de maigrir autant pour avoir une rémission du diabète de type 2. Certaines personnes perdent 5 kg et entrent en rémission. » D’ailleurs, dans l’étude DiRECT, 34 % des participants qui avaient perdu de 5 kg à 10 kg sont redevenus normoglycémiques.
Mais les pertes de poids rapides et radicales comme celles qu’ont subies les sujets de l’essai clinique ne sont pas forcément la solution idéale. « Je préfère une perte de poids graduelle, affirme le Dr Carpentier. Le principal problème lié aux diètes liquides, c’est la faim. Les gens sont affamés, et cela devient extrêmement difficile pour eux de ne pas reprendre du poids rapidement lorsqu’ils arrêtent ce genre de régime. »
Une perte de poids rapide demande en outre un suivi serré. Des carences en vitamines et en fer peuvent se produire ou des calculs biliaires, apparaître. Un amaigrissement progressif est moins risqué. « On demeure alors dans le contexte d’une alimentation équilibrée comprenant beaucoup de fruits et de légumes. »
Le diabète réapparaît-il avec le temps ? « Cela dépend toujours du maintien de la perte de poids », répond le Dr Carpentier. Ainsi, parmi ses patients, plusieurs ont réussi à modifier leurs habitudes de vie et à conserver leur normoglycémie.
L’un des outils dont il faut se servir est l’exercice physique. « Pour la perte pondérale, la nutrition est la pierre angulaire. Cependant, pour le maintien à long terme du poids, l’activité physique est un facteur très important. Dans l’étude DiRECT, les chercheurs n’ont pas du tout joué avec cet élément », fait remarquer le spécialiste.
Les sujets de l’essai ont bien reçu un podomètre et des conseils. Mais, dans les deux groupes, les participants ne faisaient pas plus d’exercice à la fin de l’étude qu’au début. D’ailleurs, quelques patients ont eu besoin d’un traitement de sauvetage pour éliminer les kilos repris. « À partir du moment où les gens relâchent un peu leur contrôle nutritionnel, ils reprennent du poids, et souvent très rapidement », précise le Dr Carpentier.
La perte radicale de poids pourrait-elle remplacer la chirurgie bariatrique ? Cette dernière est considérée comme la manière la plus efficace de produire une importante diminution pondérale. Mais elle n’est ni économique, ni exempte de risques, ni une solution universelle. Toutefois, elle donne des résultats sur le plan glycémique : elle permet d’éliminer le diabète dans 40 %, voire 90 % des cas selon le type de chirurgie.
« Le programme Counterweight-Plus donne des résultats s’approchant de ceux des interventions chirurgicales de type restrictif (gastrectomie verticale) à court terme. Le mécanisme principal de ce type de chirurgie est d’ailleurs aussi la restriction calorique », explique le spécialiste, qui l’a montré avec son équipe2-3.
Un régime très hypocalorique permet donc d’obtenir la majorité des effets antidiabétiques de la chirurgie bariatrique à court terme. Toutefois, cette dernière offre un avantage. « Les changements gastro-intestinaux et la modification des hormones gastro-intestinales produites auraient un effet sur l’appétit et pourraient contribuer à maintenir à long terme la perte pondérale. On pense que les remaniements associés à la chirurgie bariatrique pourraient modifier les signaux envoyés au cerveau et l’aider à mieux supporter la perte de poids. » Aux yeux de l’endocrinologue, titulaire de la Chaire de recherche GSK sur le diabète, à l’Université de Sherbrooke, la chirurgie bariatrique demeurera probablement une possibilité intéressante pour une partie des patients.
L’essai DiRECT comporte d’importantes leçons. « Dans notre société, on actionne malheureusement peu le levier de la perte de poids dans le traitement du diabète. On parle beaucoup des changements d’habitudes de vie, mais on ne prend pas les moyens pour obtenir la perte de poids nécessaire. Je pense que la force de l’étude DiRECT, c’est de rappeler à tous que la pathogenèse du diabète de type 2 passe par l’excédent calorique et le surplus de poids chroniques. Une grosse partie de la solution est donc le maintien à perpétuité de meilleures habitudes de vie », estime le Dr Carpentier. //
1. Lean ME, Leslie WS, Barnes AC et coll. Primary care-led weight management for remission of type 2 diabetes (DiRECT): an open-label, cluster-randomised trial. Lancet 2018 : 391 (10120) : 541-51.
2. Plourde CE, Grenier-Larouche T, Caron-Dorval D et coll. Biliopancreatic diversion with duodenal switch improves insulin sensitivity and secretion through caloric restriction. Obesity 2014 : 22 (8) : 1838-46.
3. Michaud A, Grenier-Larouche T, Caron-Dorval D et coll. Biliopancreatic diversion with duodenal switch leads to better postprandial glucose level and beta cell function than sleeve gastrectomy in individuals with type 2 diabetes very early after surgery. Metabolism 2017 : 74 : 10-21.