Entrevues

Entrevue avec le Dr Sylvain Dion, président de l’AMCLSCQ

La transformation des CLSC en GMF ? Un virage à ne pas rater

Emmanuèle Garnier  |  2018-03-01

Quel est l’avenir des CLSC maintenant que les GMF disposent d’équipes interdisciplinaires et de plus de ressources qu’eux ? Le président de l’Association des médecins de CLSC du Québec, le Dr Sylvain Dion, estime que le moment est venu pour tous les CLSC de devenir des GMF.

M.Q. – Quelle est la situation dans les CLSC ?

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S.D.– Le recrutement y devient de plus en plus difficile. Au printemps dernier, notre conseil d’administration, nos représentants régionaux et nos délégués ont effectué une première réflexion. Ils ont conclu qu’il fallait sortir des sentiers battus et aller dans la direction que certains CLSC ont déjà prise : l’adoption du modèle GMF.

M.Q. — Pourquoi le recrutement est-il si ardu ?

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S.D.– Cela est dû entre autres au contexte politique et législatif : la loi 20*, le fait que seuls les GMF peuvent embaucher de nouveaux facturants en première ligne et l’intégration des CLSC dans les établissements de soins, ce qui a entraîné la perte de leur identité. En outre, le ministère de la Santé est clair : la pratique médicale en première ligne sera en GMF. Il y a donc une directive officieuse.
Il faut également dire que l’attractivité des CLSC est bien moindre qu’elle ne l’a déjà été. Ce qui faisait à l’époque la singularité des CLSC, soit est le groupe, la collaboration interprofessionnelle, l’environnement de travail intéressant, on le trouve maintenant en cabinet dans les GMF.
Le statu quo n’est ainsi plus possible. L’avenir passe par les GMF. Si nos équipes médicales en CLSC veulent survivre, et surtout avoir du sang neuf dans les prochaines années, elles doivent adhérer au modèle GMF.

M.Q. — Est-ce que tous les CLSC peuvent devenir des GMF ?

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S.D.– Certains n’ont pas besoin de s’associer à une clinique et peuvent devenir un GMF de façon autonome. Mais pour d’autres, ce n’est pas possible pour différentes raisons : soit à cause du nombre de médecins, de la taille de la clientèle ou encore du type de pratique. Certains CLSC, par exemple, offrent principalement des programmes. Pour eux, devenir GMF de façon autonome s’avère impossible. Il est donc urgent que ces équipes regardent comment elles peuvent s’associer à des GMF existants dans leur environnement. Elles pourront ainsi préserver l’expertise qu’elles ont acquise et augmenter leurs chances de recrutement.

M.Q. — Que peuvent apporter à un GMF les médecins de CLSC qui pratiquent dans des programmes, par exemple dans le maintien à domicile ?

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S.D.– Du côté des soins à domicile, il y a un bon nombre de médecins en cabinet qui orientent le patient vers le programme de maintien à domicile du CLSC lorsqu’il ne peut plus se déplacer. S’il y a une intégration des équipes de soutien à domicile dans les GMF, le transfert se fera plus harmonieusement, parce qu’il s’agira du même groupe.
En ce qui concerne la santé mentale, c’est la même chose. Mais dans ce domaine, ce qui est encore plus intéressant, c’est que les médecins du programme ont acquis une expertise qu’ils peuvent partager avec leurs collègues du GMF, permettant à ces derniers de suivre leurs patients eux-mêmes.

M.Q. — Et pour les médecins qui pratiquent dans les cliniques jeunesse ?

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S.D.– Dans les cliniques jeunesse, il y a le volet contraception et dépistage, dont s’occupent désormais les infirmières, mais il y a aussi des programmes en santé mentale jeunesse : TDAH, dépression, anxiété chez les ados, notamment. Encore là, les médecins de CLSC peuvent partager leur expertise avec leurs collègues du GMF et prendre en charge les cas complexes.

M.Q. — De quelle manière l’adoption du modèle GMF favorisera-t-elle le recrutement dans les CLSC ?

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S.D.– Les jeunes médecins veulent maintenant être polyvalents. Ils ne désirent pas nécessairement une pratique uniquement en santé mentale ou dans le maintien à domicile. Donc, le fait d’être intégrées à un GMF permettra aux équipes médicales de CLSC d’offrir aux nouveaux omnipraticiens des programmes dans lesquels ils peuvent développer une expertise, mais aussi la possibilité de faire de la prise en charge générale.

M.Q. — Comment s’en sortent les CLSC qui sont devenus des GMF ?

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S.D.– Les CLSC qui sont maintenant des GMF sont habituellement ceux qui offrent des soins de santé courants. Certaines équipes sont solides et capables d’attirer de nouveaux médecins. À Montréal, par exemple, il y a une équipe qui compte déjà une quinzaine d’omnipraticiens et en attend deux ou trois autres au cours de l’année. La majorité des CLSC qui prennent en charge une clientèle sont déjà des GMF ou sont en voie de le devenir.
Pour ce qui est des CLSC qui ont des pratiques de type programmes, quelques-uns ont pu s’associer à des cliniques médicales pour maintenir leur activité programme. Par exemple, dans la périphérie de Montréal, il y a un CLSC où les médecins collaborent avec des cliniques privées pour le volet « maintien à domicile ».

M.Q. — Est-ce difficile pour un CLSC de s’associer à une clinique pour former un GMF ?

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S.D.– C’est devenu plus compliqué. Quand un GMF est mixte, c’est-à-dire avec des médecins de cabinet et de CLSC, son financement passe par les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS). Les cabinets n’aiment pas cette situation, parce qu’ils ne contrôlent plus complètement la part du budget qui leur revient. Dans un GMF uniquement constitué d’un ou de plusieurs cabinets, le budget de fonctionnement pour le secrétariat, l’adjoint administratif et autres arrive directement du ministère. Dans le cas des GMF mixtes, le CISSS a un droit de regard sur le partage, parce qu’une partie est liée à ses médecins. Les cabinets craignent donc de ne pas avoir leur juste part.

M.Q. — Que faudrait-il faire ?

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S.D.– Quand le ministère a refait le programme GMF, il a changé les règles du jeu. Il faudrait reve­nir à l’ancienne formule. Le budget était alors versé au GMF, et là, les médecins s’entendaient pour fixer la somme allouée au soutien des omnipraticiens du CLSC. Cette méthode fonctionnait relativement bien.

M.Q. — Est-ce la fin des CLSC ?

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S.D.– Les CLSC sont une structure à laquelle j’ai beaucoup cru. Malheureusement, avec les réformes des dix ou quinze dernières années, ils ont été mis de côté. La fusion des CLSC et des CHSLD a été un moindre mal. Mais quand on a intégré les CLSC aux CISSS, là, on leur a donné le coup de grâce. Les CLSC ont perdu leur côté local. Avant, il fallait que les services soient liés aux besoins de la population locale. Dorénavant, tout arrive d’en haut. Les décisions sont prises par le ministère de la Santé.
On peut rester accroché longtemps à un rêve. Ce qui est important maintenant, c’est de préserver les services à la population donnés par les équipes de CLSC et de conserver l’expertise de ces dernières. Oui, peut-être que lorsque toutes nos équipes de CLSC seront fusionnées à des équipes GMF, le modèle ne s’appellera plus CLSC, mais GMF. Le jour où, en GMF, on retrouvera une équipe de quinze à vingt médecins, dont quelques-uns pratiqueront en santé mentale, dans le maintien à domicile, en soins palliatifs, et qui offrira une gamme de services à la population de son territoire, eh bien, ce sera le modèle CLSC qu’on a créé dans les années 1970, mais qui s’appellera GMF. //