Oui, c’est possible en première ligne
L’étude DiRECT, publiée dans le Lancet, vient de le montrer : une importante proportion de patients atteints de diabète de type 2 suivis en première ligne peuvent connaître une rémission. Le traitement ? La perte de poids.
Ils étaient 149 hommes et femmes atteints de diabète de type 2. Ils avaient devant eux un grand défi : perdre au moins 15 kg. Leur but : redevenir normoglycémiques. Presque la moitié d’entre eux ont réussi. Leur glycémie est redevenue normale et l’était toujours un an plus tard. Parmi ceux qui ont perdu 15 kg et plus, le taux de succès atteignait 86 %1.
Âgés de 20 à 65 ans, les sujets ont été pris en charge dans 23 cliniques de médecine familiale en Écosse et en Angleterre. Ils avaient un indice de masse corporelle de 27 kg/m2 à 45 kg/m2 et se savaient diabétiques depuis en moyenne trois ans. Pour pouvoir participer à l’étude, la Diabetes Remission Clinical Trial (DiRECT), ils devaient avoir reçu leur diagnostic au cours des six dernières années et ne pas être insulinodépendants.
Dans 26 autres cliniques de médecine familiale du Royaume-Uni, 149 diabétiques au même profil étaient parallèlement traités selon les normes recommandées. C’était le groupe témoin. Les 49 cliniques participantes avaient été réparties au hasard en deux groupes : celles où allait avoir lieu l’intervention et celles qui serviraient de point de comparaison. Dans les deux cas, les sujets étaient recrutés parmi les patients du centre.
Les auteurs de l’étude, le Dr Michael Lean, de l’Université de Glasgow au Royaume-Uni, et ses collaborateurs visaient deux objectifs : permettre aux participants de perdre un poids important et ramener leur hémoglobine glyquée à moins de 6,5 % après au moins deux mois sans traitement antidiabétique. Et ce, dans un cadre de soins en première ligne.
Le traitement destiné aux sujets du groupe expérimental, le programme de gestion du poids Counterweight-Plus, était radical. Dès le début, les chercheurs ont retiré aux participants tous leurs antidiabétiques et leurs antihypertenseurs. Puis, pendant les trois mois suivants, l’alimentation habituelle des sujets a été totalement remplacée par une diète liquide de 825 kcal à 853 kcal par jour. Les patients qui le désiraient pouvaient prolonger leur régime deux mois de plus.
Ensuite, pendant les deux à huit semaines suivantes, la nourriture solide a été graduellement réintroduite. Puis venait la dernière phase, dans laquelle les patients ont bénéficié d’un soutien structuré comprenant des visites mensuelles pour les aider à conserver leur poids. On leur proposait entre autres des méthodes de changement comportemental. Dans chaque clinique, une infirmière ou une diététiste avait suivi une formation de huit heures sur le programme Counterweight-Plus.
Et l’activité physique ? Quand les participants ont recommencé à manger de la nourriture solide, ils ont reçu un podomètre. Le personnel leur a aussi proposé des stratégies pour les aider à marcher davantage et atteindre, s’ils le pouvaient, 15 000 pas par jour.
Au cours de l’étude, si la pression artérielle ou la glycémie montait, les patients reprenaient leurs antihypertenseurs ou leurs antidiabétiques. « Les antihypertenseurs avaient été retirés parce que la pression artérielle diminue rapidement dès le début d’une diète hypocalorique », indiquent les chercheurs. Le même phénomène se produit pour la glycémie (voir le texte en p. 15).
Les efforts déployés par les participants du groupe expérimental en ont valu la peine. Au bout de douze mois, 68 (46 %) d’entre eux étaient redevenus normoglycémiques. Dans le groupe témoin, ils n’étaient que six (4 %). Sur le plan du poids, presque le quart des patients qui ont suivi le programme Counterweight-Plus avaient perdu au moins 15 kg. Mais dans le groupe témoin, aucun n’était parvenu à une telle perte pondérale.
Fait intéressant, la probabilité d’une rémission du diabète augmentait avec l’importance de l’amaigrissement, peu importe le groupe (tableau I). Ainsi, 86 % des 36 sujets qui avaient maintenu une perte de 15 kg et plus étaient redevenus normoglycémiques. Et parmi ceux qui avaient perdu entre 10 kg et 15 kg, 57 % n’étaient plus diabétiques ; chez ceux qui avaient perdu de 5 kg à 10 kg, c’était 34 %.
Au bout d’un an, 74 % des patients ayant bénéficié de l’intervention, même s’ils n’étaient pas forcément normoglycémiques, ne prenaient toujours aucun antidiabétique par rapport à 18 % dans le groupe témoin. Dans le groupe expérimental, l’HbA1C moyenne était de 6,4 % alors qu’elle atteignait 7,2 % dans l’autre groupe (tableau II).
En ce qui concerne la pression artérielle, 48 % des 80 participants qui recevaient des antihypertenseurs au début n’en prenaient plus au bout de douze mois. Ce qui n’est pas arrivé chez les patients du groupe témoin.
Les effets néfastes du traitement ? Sept des participants du groupe expérimental ont subi de graves réactions. L’un d’eux a eu à la fois une lithiase biliaire et des douleurs abdominales potentiellement liées à l’intervention. Dans le groupe témoin, deux participants ont eu des effets indésirables sérieux.
Le volet activité physique n’a pas été un grand succès. Il n’y a eu aucune hausse de l’exercice dans les deux groupes. « Ce résultat souligne la difficulté, pour cette population, de maintenir une augmentation de l’activité physique », mentionnent les chercheurs.
Les abandons ? Ils n’ont pas été très nombreux. Dans le groupe suivant le régime, 32 des 149 sujets se sont retirés du programme à une étape ou à une autre. Entre autres, quinze pendant la phase de la diète liquide et six pendant la réintroduction de la nourriture. « Le désir de participer à l’étude était grand », note l’éditorialiste du Lancet, le Dr Matti Uusitupa, de Finlande, qui a été impressionné par les résultats des chercheurs2.
« Pour certains patients diabétiques diagnostiqués depuis moins de six ans, il peut être stimulant d’entreprendre un programme pour échapper à cette maladie », affirme Mme Michelle Messier, nutritionniste clinicienne spécialisée dans le diabète au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Néanmoins, l’effort demandé aux participants était important. « Je pense que les gens qui veulent vraiment perdre du poids peuvent trouver l’expérience difficile, mais faisable. Toutefois, ce n’est pas évident », reconnaît la diététiste.
Les participants étaient probablement plus motivés que la moyenne des patients atteints de diabète de type 2. Et peut-être pas totalement représentatifs. La répartition aléatoire a d’ailleurs été effectuée non pas sur les patients, mais sur les centres de soins. Et cela peut produire un biais, fait remarquer le Dr André Carpentier, endocrinologue et chercheur au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. « La clinique participait à l’étude, et le patient devait accepter ou non de faire partie du groupe de hasardisation de celle-ci. Ainsi, les sujets savaient très bien s’ils auraient ou non à ingérer un repas liquide pendant trois mois. Comme ils étaient libres de participer au projet, cela a pu créer un biais de sélection. Je connais des patients qui n’accepteraient pas ce genre de régime. »
Par ailleurs, si difficile que puisse être le défi de perdre 15 kg, il semble réalisable dans la vraie vie. L’équipe du Dr Lean semble d’ailleurs particulièrement fière de son protocole. « Cette étude a été faite dans des conditions de vie réelles avec les infirmières et les diététistes locales disponibles plutôt qu’avec du personnel spécialisé », précisent les chercheurs. C’est ce qui différencie cette recherche des autres études, soulignent-ils.
Il y a cependant un prix à payer pour ce succès. « Le programme exige une énergie relativement grande de la part de tout le monde, estime Mme Messier. Il demande une grande disponibilité du personnel étant donné le suivi serré. Je pense par ailleurs qu’il sera nécessaire de suivre les participants plus d’un an. »
Le plus difficile reste à venir, pense la nutritionniste du CHUM. Pendant les douze mois de l’étude, les participants se sont montrés très déterminés. « Mais après, ils devront maintenir les changements durant toute leur vie. Dès qu’on entre dans un programme comme celui de l’étude DiRECT, il faut adopter une forme de restriction calorique pour le reste de ses jours. »
La nutritionniste a vu des patients suivre des programmes semblables à celui de Counterweight-Plus. Ils ont tous repris du poids. Mais leurs efforts n’ont peut-être pas été totalement vains. Parfois, les gens qui suivent un régime ne regagnent pas tous les kilos perdus. C’est ce qu’a montré une nutritionniste américaine, Mme Marion Franz, dans une étude publiée en 20073. « Les chercheurs de DiRECT se sont servis des résultats de cette méta-analyse pour indiquer dans un de leurs articles4 qu’au bout de douze à vingt-quatre mois, même sans programme de maintien du poids à long terme, la perte pondérale entraînée par une diète très hypocalorique reste en moyenne de 3 kg à 6 kg en dessous du poids initial », mentionne Mme Messier.
Néanmoins, pour les patients qui subissent une rechute, l’expérience est difficile. Le Dr Carpentier en a été témoin. « Le problème lié à des programmes comme Counterweight-Plus, c’est qu’il y a une reprise de poids graduelle avec les années. C’est terrible psychologiquement pour ces patients-là. C’est un échec. »
À la lumière des résultats de l’étude DiRECT, une question se pose. Devrait-on modifier le traitement du diabète de type 2 ? C’est ce que se demande l’éditorialiste du Lancet. « Le traitement est actuellement basé sur différents algorithmes pour décider de la prise d’antidiabétiques et d’insuline, et chez les patients gravement obèses, sur le recours à la chirurgie bariatrique quand elle est offerte. Devant les résultats de l’essai DiRECT, l’approche non pharmacologique devrait être relancée. »
C’est ce que pensent aussi le Dr Lean et ses collaborateurs. « Nos résultats devraient ouvrir la voie à ce type d’intervention dans les soins habituels des patients ayant le diabète de type 2 et désirant une rémission de leur maladie », indiquent-ils.
Ainsi, les patients peuvent dorénavant entrevoir la possibilité d’échapper au diabète. « Maintenant, on a un argument supplémentaire pour convaincre ces personnes de perdre du poids et de changer leurs habitudes de vie. Et leur prise en charge peut se faire en première ligne », résume le Dr Carpentier. //
1. Lean ME, Leslie WS, Barnes AC et coll. Primary care-led weight management for remission of type 2 diabetes (DiRECT): an open-label, cluster-randomised trial. Lancet 2018 : 391 (10120) : 541-51.
2. Uusitupa M. Remission of type 2 diabetes: mission not impossible. Lancet 2018 : 391(10120) : 515-16.
3. Franz MJ, VanWormer JJ, Crain AL et coll. Weight-loss outcomes: a systematic review and meta-analysis of weight-loss clinical trials with a minimum 1-year follow-up. J Am Diet Assoc 2007 ; 107 (10) : 1755-67.
4. Lean M, Brosnahan N, McLoone P et. Coll. Feasibility and indicative results from a 12-month low-energy liquid diet treatment and maintenance programme for severe obesity. Br J Gen Pract 2013 : 63 (607) : e115-e124.