Gestion pratique

Les plans régionaux d’effectifs médicaux

Tout sauf de la magie !

Julie Lalancette  |  2018-03-02

Depuis l’adoption des plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM), beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Les décideurs, les concepteurs, les exécutants défilent, mais les mêmes questions reviennent. Comment arrive-t-on à ces résultats ? Est-ce équitable ? Comment se fait-il qu’il y ait si peu de postes dans ma région ?

Dre Julie Lalancette, omnipraticienne, est directrice adjointe à la direction de la Planification et de la Régionalisation de la FMOQ.

Historique

Dans le passé, les PREM se sont avérés la solution pour pallier le déficit chronique de main-d’œuvre en région. Force est d’admettre que cette mesure suscite intérêt et envie dans le reste du Canada, malgré les contraintes qu’impose l’entente particulière relative au respect des PREM à l’ensemble des médecins comptant moins de 20 ans de pratique. L’entente sur les PREM, négociée avec le ministère en 2003, s’accompagne d’un guide de gestion qui vient en baliser les modalités d’application. Ces dernières sont révisées périodiquement par le comité d’organisation et de gestion des effectifs médicaux (COGEM), comité bipartite FMOQ/MSSS, responsable notamment de répondre aux demandes de dérogation. Ces de­mandes concernent toute situation parti­culière ne pouvant être réglée par l’entente et son cadre d’application ou par la méthode de calcul de répartition des effectifs. Depuis 2015, la Fédération a accepté de considérer la répartition des effectifs médicaux par territoire pour tenter de pallier les déséquilibres intrarégionaux. Les DRMG disposent d’une marge de manœuvre de 30 % pour répartir les effectifs, 70 % des effectifs étant établis dans les territoires de la région par la méthode de calcul et les directives du ministère (amendement 154).

Méthodologie

L’ancienne méthode de répartition des effectifs, raffinée au fil des ans, a subi une transformation majeure au cours des deux dernières années. En effet, l’évaluation des besoins en première ligne dans le cadre de la loi 20 a fixé des cibles de mobilisation des médecins vers la prise en charge. Les acti­vités en établissement, notamment l’urgence et l’hospitalisation, sont en situation de décroissance relativement à l’attrition (non-remplacement des départs). Par conséquent, on peut affirmer que l’élaboration de la méthode de calcul sert à l’atteinte d’objectifs politiques et organisationnels, d’où l’importance de l’existence du COGEM en ce qui a trait à l’imprévu et au facteur humain que nous aborderons plus loin.

L’imprévu et le facteur humain viennent affaiblir l’efficacité de la méthode, nécessitant une foule de réaménagements dans le respect de l’Entente.

Un des enjeux de la méthode de calcul est de définir précisément ce qu’est un équivalent temps plein (ETP). Étant donné que les données de la RAMQ reposent sur la facturation, des calculs permettent de faire l’adéquation entre le salaire et les heures travaillées. Bien qu’imparfaite, cette méthode est utilisée depuis plusieurs années. S’ajoutent ensuite aux ETP le nombre de médecins installés dans chaque région (médecin ayant exercé plus que 55 % des journées travaillées dans le territoire), l’indice de défavorisation de la population, le ratio médecin/population, la répartition des ETP dans les services de proxi­mité (prise en charge, soins à domicile, urgence, obstétrique, soins de courte et de longue durée), le taux d’inscription de la clientèle et le taux de médecins ayant 65 ans et plus (donc susceptibles de prendre leur retraite). Le nombre de nouveaux médecins entrant en pratique (nouveaux facturants) est par la suite réparti dans chaque région ainsi que le nombre de postes en mobilité (médecin déjà en pratique), selon l’application de modèles mathématiques élaborés par le ministère.

Indicateurs

Nous remarquons, pour la majorité des sous-régions, qu’environ 20 % des effectifs exercent entre 0,3 et 0,7 ETP dans le territoire donné. Différentes hypothèses peuvent être envisagées. Il est possible que ces médecins travaillent sur plus d’un territoire, soient moins productifs par rapport au volume ou au nombre de jours travaillés ou aient été en congé pour différentes raisons pendant une partie de l’année en cours. Malheureusement, nos données ne nous permettent pas d’aller plus loin. De plus, plusieurs régions comportent à la fois des territoires relativement bien nantis et d’autres en état de pauvreté parfois extrême. Il faut comprendre alors la difficulté des DRMG à assurer la couverture adéquate des services de première ligne sans être tenté de prioriser certains milieux de pratique particuliers. Or, l’obtention d’un avis de conformité se limite au territoire. Le choix du lieu de pratique relève du libre marché, déjà fortement modulé par les AMP.

Priorités en établissement

Cette année, un autre enjeu était présent. En effet, les établis­sements devaient faire parvenir au COGEM un état de situation précis sur les besoins en médecins de famille dans les services de proximité mentionnés précédemment, que l’on nomme ici « priorités » (une priorité pour un bloc de douze heures), au lieu du plan d’effectif en établissement (PEM) anciennement utilisé. Les demandes de priorité sont acheminées au COGEM de façon non standardisée avec des argumentaires se limitant à des énoncés quantitatifs désincarnés de l’exercice global de planification. En effet, nous ne connaissons pas clairement le plan régional d’organisation des services (PROS). Ce plan est nécessaire à la correction des iniquités interrégionales. Certaines régions souffrent encore d’une pénurie relative en raison du nombre d’établissements, des styles de pratique (sectaires, pluriterritoriaux), du nombre de spécialistes, de l’attractivité ou du nombre de cabinets privés. Ces hypothèses sont difficilement vérifiables à l’aide des indicateurs dont nous disposons actuellement.

La littérature n’offre que très peu d’informations sur la méthode optimale de calcul des ressources humaines.

Importance des PROS

Pour comprendre où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient. Les PROS doivent comporter la description concise des territoires, les particularités régionales et sous-régionales, les trajectoires de soins, l’état de la situation en ce qui a trait aux effectifs, aux risques de découverture et aux prévisions d’attrition et de développement. Ces éléments sont très importants, car nous sommes encore en situation de pénurie d’effectifs. Accorder une dérogation signifie, quelle qu’en soit la justification, qu’une région moins attrayante pourrait devenir en difficulté et que des postes pourraient ne pas être pourvus. C’est pourquoi il est primordial d’avoir le portrait global des effectifs dans les régions afin de pouvoir anticiper les effets de nos décisions. Cet exercice doit se faire sans perdre de vue notre engagement collectif en matière de prise en charge.

Enfin, l’imprévu et le facteur humain viennent affaiblir l’efficacité de la méthode, nécessitant une foule de réaménagements dans le respect de l’Entente. Par exemple, un conférencier néo-zélandais avait expliqué avoir dû gérer l’imprévu : après avoir atteint l’équilibre en planification des ressources humaines, il s’était soudainement retrouvé en surplus de chirurgiens généraux à la suite de la découverte d’Helicobacter pylori, l’intervention chirurgicale étant devenue inutile depuis l’existence d’un traitement médical. Au Québec, nous devrions prendre en compte la féminisation de la médecine qui touche peu la répartition, mais qui influence tout de même le besoin absolu de médecins, particulièrement en établissement. À titre d’exemple, le départ de plusieurs médecins en congé de maternité dans les équipes d’hospitalisation suffit pour surcharger les collègues de travail qui décident alors de quitter leur poste tour à tour. C’est ce qu’on appelle un effet domino. Malgré l’augmentation des cohortes de nouveaux étudiants dans les dernières années, l’ajout de places dans les programmes de médecine ne permet pas pour l’instant de remédier aux risques incessants de découverture de service.

L’estimation du nombre de finissants prêts à exercer constitue aussi un défi à relever. Nombre de finissants, en attendant d’obtenir le poste désiré, passent leur tour et suivent des formations partielles supplémentaires ou d’autres formations complémentaires ou encore vont pratiquer dans le secteur privé, quittent la province, etc. Ce phénomène entraîne une sous- ou surestimation du nombre de postes au moment de la planification, qui nécessite des ajustements aux calculs initiaux.

Conclusion

Tous s’entendent pour dire que la méthode de calcul des PREM n’est pas parfaite. La littérature n’offre que très peu d’informations sur la méthode optimale de calcul des ressources humaines, si ce n’est que certains modèles utilisés sur de petits échantillons sont à développer et à étudier. Dans ce contexte, pour chaque demande, nous tentons de faire preuve de cohérence, de souplesse et d’équité. //