Entrevues

Entrevue avec le Dr Pierre Martin, président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Mauricie (AMOM)

Partager collectivement notre responsabilité populationnelle

Claudine Hébert  |  2018-03-22

Ce n’est pas parce que les objectifs de la loi 20 ont été atteints en Mauricie que le travail des médecins de famille pour mieux desservir la population est un succès sur toute la ligne. Il serait erroné de dire mission accomplie, soutient le Dr Pierre Martin, président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Mauricie (AMOM).

M.Q. — Que voulez-vous dire au juste ?

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P.M.– Les mesures radicales imposées par le ministre Gaétan Barrette depuis son arrivée en poste ont créé un effet pervers. Bien que les guichets d’accès soient vides et que plus de 85 % de la population ait maintenant un médecin de famille, beaucoup d’omnipraticiens semblent avoir perdu toute motivation à trouver des solutions dans les secteurs d’activité où l’accessibilité demeure encore déficiente. Comme si les objectifs de l’entente sur la loi 20* étaient devenus la cible de prestation de services au-delà de laquelle il est inutile d’aller. Certains d’entre nous semblent désormais s’en contenter.

M.Q. — Que voulez-vous dire ?

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P.M.– Les guichets d’accès ont été vidés. Mais ils se sont remplis de nouveau. Toute la promotion médiatique effectuée par le gouvernement sur l’accès à un médecin de famille a tellement bien fonctionné qu’elle a incité la population à s’inscrire au guichet. Ces patients en attente doivent pouvoir compter sur les mêmes efforts de la part des omnipraticiens pour leur donner l’accès désiré à la médecine de première ligne.

M.Q. — Comment pourrait-on régler ce problème ?

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P.M.– Il faut que les médecins travaillent davantage collectivement. Et la tâche ne s’annonce pas facile pour les motiver. Au lieu de faire la promotion des bienfaits d’offrir davantage de services à la population, la loi 20 et ses mesures punitives ont plutôt considérablement nui à la pratique de la médecine. Par conséquent, il est devenu plus difficile aujourd’hui d’interpeller les médecins au sujet de projets d’équipe. Nous possédons maintenant des outils pour soutenir des actions collectives qui peuvent faire la différence. Par exemple, il suffirait d’inscrire 40 patients par médecin au Réseau local de santé et services sociaux (RLS) de Trois-Rivières pour vider le guichet qui regroupe 5000 patients encore en attente. Pourtant, cet exercice semble être un défi insurmontable.

M.Q. — N’y aurait-il pas une solution pour renverser cette attitude ?

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P.M.– Tout est une question de mobilisation et de culture organisationnelle. Deux facteurs qui s’instaurent peut-être plus facilement dans les secteurs où sont rassemblés moins d’une centaine de médecins. Certains succès collectifs issus de la mobilisation des médecins des RLS de Drummondville et d’Arthabaska en sont de beaux exemples. Dans ces deux régions, des dizaines de médecins ont réussi à unir leurs efforts pour mettre en place des processus d’attribution de patients ayant permis de vider leurs guichets.

M.Q. — Outre ce besoin de mobilisation collective des médecins, l’attribution des activités médicales particulières (AMP)prioritaires vous inquiète également. Pourquoi?

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P.M.– Voilà un autre problème issu du style de gestion centralisée et non consensuelle de l’actuel ministre de la Santé. L’attribution des AMP avait toujours été effectuée par le département régional de médecine générale (DMRG). Le département, qui connaît bien son territoire, veillait ainsi à répartir les médecins de famille de façon à offrir des prestations de services là où c’était requis.
Le ministre Barrette s’est toutefois approprié cette attribution des AMP en décembre 2016. Depuis, tous les médecins ont été systématiquement dirigés vers la prise en charge de patients au détriment des autres secteurs d’activité. En Mauricie, la gestion des AMP imposée par le ministre a engendré et engendre encore de nombreux problèmes. Les différents secteurs d’activité en établissement, tels que les CHSLD, les urgences et les soins aux malades hospitalisés, ont été fragilisés. Certains sont même menacés de rupture de service. Mais un des secteurs les plus touchés par cette mauvaise attribution des effectifs demeure le maintien à domicile.

M.Q. — Qu’est-ce qui se passe avec ce type de soins ?

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P.M.– Il y a plusieurs années, cinq médecins travaillant dans une équipe en CLSC veillaient à offrir des services de soins à domicile à la clientèle trifluvienne. Presque toutes sont parties, ne recevant pas un soutien suffisant dans leur pratique. Et elles n’ont pas été remplacées. Seule une d’entre elles demeure en poste. La situation est désormais critique. Il faudra envisager d’autres modèles d’organisation, y compris la participation des GMF, pour répondre à la demande de service des patients confinés à domicile. D’ailleurs, ironie du sort, la situation est devenue si préoccupante partout dans la province que le ministre Barrette veut en faire sa nouvelle priorité. Reste à voir comment il va gérer cette crise.

M.Q. — Quelle serait votre solution ?

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P.M.– Bien que je connaisse l’origine des AMP, je crois qu’il est maintenant temps de les remettre en question. Aucune tâche médicale ne devrait être considérée comme une corvée qu’il faut absolument attribuer à quelqu’un pour qu’elle soit exécutée. Les ententes actuelles prévoient la disparition progressive des AMP. Toutefois, une réflexion collective s’impose. Les médecins de famille auraient beaucoup à perdre en crédibilité si des ruptures de services devaient survenir à la suite de leur retrait. Les médecins de famille devront donc réfléchir à une façon de mieux assurer collectivement une responsabilité populationnelle.

M.Q. — Comment expliquez-vous les problèmes de couverture qui persistent encore ?

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P.M.– Nous exerçons une profession libérale. Nous sommes en principe de libres entrepreneurs et nous pouvons choisir individuellement la prestation de services que nous désirons faire. De 2000 à 2008, les médecins omnipraticiens avaient raison d’invoquer la pénurie de médecins pour expliquer les problèmes de rupture de services. On pouvait même dire à cette époque que l’on faisait ce qu’on pouvait pour pallier ces ruptures. Aujourd’hui, ce discours ne tient plus. Nous devons remettre en question notre liberté professionnelle et la mettre en perspective des attentes de la population et de l’ensemble des besoins existant au sein de nos structures médicales.

M.Q. — Qu’attendez-vous maintenant de la part de vos pairs ?

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P.M.– À titre d’individus, les médecins donnent d’excellents services. Toutefois, nous avons désormais les moyens et les effectifs pour mieux desservir la population.

h Nous voulions davantage d’aide de la part des professionnels de la santé, nous l’avons obtenue grâce au nouveau cadre des GMF.

h Nous avons demandé un accès à des dossiers médicaux électroniques (DME) performants, c’est fait.

h Nous souhaitions plus de médecins pour répondre à la demande de services, c’est presque réglé. Les ajouts nets de médecins au cours des dernières années ont quasi satisfait tous nos besoins d’effectifs. La Mauricie n’est plus le parent pauvre du système de santé québécois.

h Nous avons demandé des revenus comparables aux médecins de famille du Canada ainsi qu’une réduction de l’écart entre les omnipraticiens et médecins spécialistes québécois, on y est presque. La récente entente nous a donné des mécanismes qui devraient nous permettre de bien quantifier les corrections à apporter à notre rémunération actuelle.

h Nous avons demandé une meilleure valorisation de la médecine familiale dans les facultés de médecine, nous avons été entendus. Le choix de la carrière de médecin de famille n’est plus un second choix imposé par un contingentement des postes en médecine spécialisée.

En échange de toutes ces améliorations de nos conditions de pratique, c’est à notre tour maintenant de donner. Nous devons nous assurer collectivement de bien répondre à la demande de services de la population. La liberté professionnelle des médecins ne doit pas nous empêcher d’adopter des comportements organisationnels grâce auxquels nous pourrons regagner le respect et la confiance de la population. //

*Le nom exact de la loi 20 : Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée et modifiant diverses dispositions législatives en matière de procréation assistée.