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Formation universitaire

La délocalisation de la formation en médecine profite aux étudiants, aux résidents... et à la population

Claudine Hébert  |  2018-03-22

Quatre GMF-U hors établissement, bientôt un troisième campus universitaire décentralisé... Depuis quinze ans la formation en médecine délocalisée prend ses aises au Québec. Au bénéfice des étudiants et des résidents. Et surtout de celui de la population.

Dre Annie Lévesque

Qu’un jeune diplômé en médecine décide en 2018 de poursuivre sa résidence dans un des quatre groupes de médecine familiale universitaire hors établissement (GMF-U HE) de la province ne nuit en rien à son apprentissage. Le cadre de formation en médecine se veut le même d’une clinique universitaire à l’autre. Du moins, c’est ce qui est écrit sur papier.

Dans les faits, les médecins qui gèrent le volet pédagogique de ces quatre GMF-U HE ont un autre avis. Selon eux, le bagage acquis dans un GMF hors établissement se veut beaucoup plus adapté à la réalité qui attend les jeunes recrues en cabinet.

« J’aime dire que les lettres HE signifient « haute efficience », indique d’emblée la Dre Yolaine Sauvageau, qui dirige le volet pédagogique du GMF-U Les Eskers, à Amos, depuis sa création en 2004.

Parce que sa clinique ne relève pas d’un Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS), d’où son appellation hors établissement, ce GMF-U HE fonctionne comme un cabinet privé. Comme les trois autres d’ailleurs. « Nous sommes autonomes dans la gestion de la clinique. C’est nous qui veillons à l’embauche du personnel, à la facturation, au paiement des frais de la clinique (loyer, comptes de téléphone et d’hydro-électricité, etc). Notre dizaine de résidents de première et de deuxième année a ainsi maintes occasions de nous observer, de nous voir interagir comme gestionnaire de la clinique. Un précieux atout qui s’ajoute à leur formation », précise la Dre Sauvageau.

Des GMF-U HE populaires

« Notre caractéristique HE devient un important facteur d’attraction pour les résidents qui se destinent à une médecine familiale en cabinet », renchérit la Dre Johanne Frégeau, directrice du GMF-U Jacques-Cartier, à Sherbrooke. La médecin enseignante, qui compte plus de 30 ans de pratique derrière son stéthoscope, souligne qu’elle doit refuser au moins cent demandes chaque année pour pourvoir les trois nouvelles places de résidence offertes par sa clinique.

Dre JOhanne

« Nous aimerions augmenter nos admissions à quatre résidents par année pour accueillir plus d’étudiants. Mais pour y arriver, nous aurions besoin d’un coup de main du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Depuis quatre ans, nous souhaiterions embaucher un autre médecin qui aurait une implication majeure en enseignement », explique la Dre Frégeau.

En attendant, pour mieux répondre à ses six résidents (3 R-1 et 3 R-2) assoiffés de questions et de réponses spécifiques sur la gestion en milieu clinique, ce GMF-U HE a mis sur pied une séance intitulée « cours début de pratique » auquel tout le monde participe. « Cette séance, qui a lieu une fois par année, se traduit par une foule de questions au sujet de la gestion de la clinique, de l’embauche du personnel, de la création d’un cabinet, des assurances, des associations, des GMF... Cette séance dure de 90 minutes à près de deux heures », indique la Dre Frégeau. Un cours consacré à la facturation est également présenté aux résidents dès leur arrivée à la clinique.

Dre Véronique Dallaire

La Dre Véronique Dallaire, une résidente de deuxième an­née originaire de Saint-Georges-de-Beauce, a justement sélec­tionné ce GMF-U sherbrookois pour son côté clinique auto­nome. « Je prévois retourner à Saint-Georges après avoir terminé ma résidence. Je vais d’ailleurs pratiquer dans un GMF fort semblable au GMF-U Jacques-Cartier. C’est donc très apprécié que mes superviseurs puissent me montrer comment se déroulera mon quotidien en clinique », indique la résidente.

Un cadre de formation encore plus polyvalent

Au GMF-U HE Queen-Élizabeth, à Montréal, ils sont également plusieurs étudiants en médecine à vouloir décrocher l’un des quatre nouveaux postes de résidents offerts chaque année. « Depuis deux ans, nous affichons un ratio d’au moins huit demandes par poste disponible. C’est le plus élevé des ratios de toutes les cliniques universitaires liées à l’Université McGill », indique fièrement le Dr Mark Roper, directeur du GMF-U HE Queen-Élizabeth.

Certes, le volet « gestion autonome » de la clinique, propre aux GMF-U HE, constitue un des principaux éléments de séduction auprès des étudiants, estime le Dr Roper. Il croit aussi que l’emplacement de sa clinique, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, à l’écart des principaux centres hospitaliers de l’Université McGill, représente un autre facteur d’attraction.

Depuis son déménagement dans les anciens locaux de l’Hôpital Queen-Élizabeth en 2008, cette clinique a développé une autonomie en matière de services et de traitements auprès de la population. « Lorsque notre clinique privée était encore sous le toit de l’Hôpital général de Montréal, nous avions le réflexe d’envoyer à l’urgence tous les cas de réduction de fracture, d’installation de plâtre, de petite chirurgie... Aujourd’hui, les médecins, y compris les résidents de notre super clinique, peuvent s’occuper de ces traitements auprès de nos patients », explique le Dr Roper.

De l’avis du Dr Roper, son GMF-U HE, qui regroupe plus de trente médecins et professionnels de la santé, représente un endroit propice pour aider les résidents à travailler en collaboration avec les divers professionnels de la santé. « Nous demandons à tous nos résidents de réaliser un projet de recherche lors de leur passage à la clinique. L’un d’eux a justement choisi comme sujet d’enquête : les avantages pour un médecin d’effectuer sa pratique avec l’aide d’une infirmière adjointe », raconte le médecin enseignant.

Notez que cette clinique est devenue officiellement un GMF-U HE en 2017. Toutefois, elle accueillait déjà au moins deux nouveaux résidents par année depuis 2013. C’est sans compter les quelques stagiaires de 1re, 2e et 3e année de médecine qui visitent la clinique chaque année depuis au moins dix ans.

Dre Safia

Un plongeon plus rapide dans l’action

« Ce n’est pas tant le fait d’être un GMF-U HE que d’être situé en Abitibi qui rend notre clinique d’enseignement parti­culière », soulève pour sa part la Dre Safia Chérif, l’une des deux directrices du volet pédagogique du GMF-U HE des Aurores boréales, à La Sarre. Ici, dit-elle, les résidents ont le privilège de plonger dans la vraie vie d’un médecin de famille dès leur arrivée. L’intégration est instantanée.

La Dre Chérif tient à rappeler que le Centre hospitalier de La Sarre est tenu par des médecins de famille. À l’exception de quelques chirurgiens de base, on n’y trouve aucun spécialiste à temps plein. « La polyvalence et la débrouillardise des résidents dans notre région sont donc rapidement mises à l’épreuve », poursuit-elle.

Même son de cloche au GMF-U Les Eskers, à Amos. « Pas question de réserver uniquement des cas légers à nos résidents lors de leurs premières interventions. Ils voient, dès leur arrivée, ce qu’est pratiquer la médecine de famille en Abitibi. Obstétrique, fractures, points de suture, problèmes cutanés... ils voient de tout dès que ces cas se présentent. Compte tenu du nombre restreint de spécialistes dans la région, ce sont, les médecins de famille qui doivent la plupart du temps, trouver des solutions pour traiter les divers problèmes de leurs patients », explique la Dre Yolaine Sauvageau.

Dr JY Boutet

Les résidents de la clinique Les Eskers sont aussi rapidement sensibilisés à une clientèle des Premières nations avec la proximité de la communauté algonquine Pikogan. Autre avantage, une nouvelle clinique Carrefour Santé, dont les coûts de construction sont estimés à 16 M$, s’ajoutera au paysage dès janvier 2019. Alors que le GMF-U déménagera au rez-de-chaussée, les trois étages supérieurs du bâtiment, transformés en résidences intermédiaires, accueilleront des dizaines de patients en perte d’autonomie. « Ce nouvel aménagement permettra à ces patients de recevoir des soins sans avoir à se déplacer. Nos résidents pourront, du coup, se familiariser davantage avec cette clientèle, dont les consultations s’apparenteront à un service de soins de proximité », indique le Dr Jean-Yves Boutet, qui dirige le volet médical du GMF-U. Le Dr Boutet est également chef du DMRG de l’Abitibi-Témiscamingue et président de l’Association des médecins omnipraticiens de la région.

Essayer, c’est l’adopter

Ces nombreuses initiations à la médecine familiale qui se pré­sentent à l’improviste forment l’élément le plus apprécié des résidents ayant osé choisir l’une de ces deux cliniques d’enseignement, situées à sept heures de route de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Pourtant, chaque année, ces deux cliniques peinent à pourvoir les six places respectives qu’elles accordent à de nouveaux résidents. « Les jeunes étudiants sont plus ouverts à voyager de six mois à un an en Inde qu’ils le sont à venir effectuer leur résidence en Abitibi », concède la Dre Sauvageau. Toutefois, ajoute-t-elle, ceux qui viennent à Amos sont instantanément séduits par l’approche personnalisée et l’esprit de famille qui règnent à la clinique.

« Nous figurons rarement au premier rang des cliniques d’enseignement que choisissent les étudiants en médecine », reconnaît également la Dre Chérif. Mais attention, dit-elle. Une fois qu’ils sont chez nous, ces jeunes médecins ne veulent plus partir. Outre la variété de défis que leur procure la pratique de la médecine en Abitibi, ils tombent sous le charme de la région. Depuis douze ans, notre taux de rétention auprès des résidents frôle les 100 % », affirme haut et fort la Dre Chérif. Son comité d’évaluation des CaRMS, composé de dix médecins, compte même sept anciens résidents.

C’est justement pour la qualité de vie qu’elle a découvert à Amos que la résidente de première année, la Dre Annie Lévesque, songe fortement à s’établir dans la région après sa formation. « Mon conjoint, qui est inhalothérapeute, est du même avis que moi. Il n’y a pas de trafic, tous les services, y compris les écoles, sont situés à proximité et, en plus, ici, c’est le paradis du plein air », souligne la résidente qui est aussi jeune maman.

Les particularités d’un GMF-U lanaudois

Le GMF-U de Saint-Charles-Borromée, à Joliette, dans le nord de Lanaudière, n’est pas un GMF-U HE. Cette clinique retient néanmoins l’attention pour avoir créé des formules singulières au sein de son cadre de formation. À commencer par la distribution des patients aux résidents.

« Chaque résident admis dans notre GMF-U a l’occasion de prendre en charge entre 100 et 200 patients durant ses deux années de formation. À tous ceux qui désirent poursuivre leur carrière dans la région, nous leur offrons d’aller s’établir avec leurs patients dans une nouvelle clinique ou dans un cabinet déjà existant », explique le Dr Mathieu Pelletier, directeur adjoint et responsable du volet clinique du GMF-U de Saint-Charles-Borromée. Le Dr Pelletier est professeur agrégé de clinique à l’Université Laval.

Cette formule, dit-il, agit non seulement comme facteur de rétention–plus de la moitié des résidents demeurent chaque année dans la région– mais elle permet aussi au GMF-U d’accueillir entre 400 et 600 nouveaux patients par année. Cet ajout contribue à renouveler la clientèle du GMF-U et surtout à vider le guichet d’accès à un médecin de famille du secteur.

Autre particularité dont profitent les résidents qui poursuivent leur formation dans ce GMF-U : le partenariat mis sur pied il y a cinq ans entre la clinique et les 2000 habitants de la communauté atikamekw de Manawan, située à plus de 200 km, au nord de Joliette. « Ce partenariat permet à nos résidents de développer une expertise auprès de la clientèle autochtone. Une clientèle qui a la particularité de présenter davantage de cas vulnérables au sein de sa population », soulève le Dr Pelletier. Chaque mois, dit-il, deux médecins de la clinique partent, accompagnés d’un résident, pour une visite de trois jours. Un projet de télémédecine est également en cours d’élaboration.

Encore plus de caméras

La clinique lanaudoise est actuellement dotée de cinq salles avec caméra afin de permettre au personnel enseignant de superviser les consultations résidents-patients. Le GMF-U, souligne le Dr Pelletier, prévoit équiper six autres salles de caméras d’ici la fin de l’année 2018. « Outre nos résidents, nous accueillons plusieurs autres stagiaires provenant d’autres professions de la santé, notamment des infirmières praticiennes spécialisées en soins de première ligne (IPS-IPL), des travailleurs sociaux, des psychologues. Ces salles pourront servir aux enseignants des autres professions pour suivre l’évolution de leurs étudiants en clinique », indique le médecin enseignant de Lanaudière.

Cette collaboration, avec les autres professions, ajoute-t-il, favorise rapidement l’épanouissement des relations de travail interprofessionnelles avec lesquelles les médecins d’aujourd’hui doivent composer au quotidien. À ce propos, le Dr Pelletier précise que le GMF-U bénéficie depuis un an de quatre infirmières cliniciennes, de quatre infirmières auxiliaires et d’une IPS. « De nouvelles ressources qui facilitent non seulement notre travail en clinique, mais qui permettent aussi à nos résidents de réaliser combien ces précieuses collaborations vont leur être utiles dans leur future pratique médicale », conclut-il. //

Des campus décentralisés qui favorisent la rétention de médecins en région

En 2020, la Faculté de médecine de l’Université McGill inaugurera son tout premier campus décentralisé, à Gatineau. Ce sera le troisième campus du genre à voir le jour au Québec après ceux des facultés de médecine de l’Université de Montréal, à Trois-Rivières, en 2004 et de l’Université de Sherbrooke, à Saguenay, en 2006.

Premier constat : ces campus se sont traduits, jusqu’à maintenant, par d’importantes rétentions de médecins dans les régions concernées. À Trois-Rivières, c’est plus d’un diplômé sur cinq qui exerce aujourd’hui dans la région. À Saguenay, c’est encore mieux.

« Depuis nos premiers diplômés en 2010, près de 40 % de ceux qui pratiquent sont demeurés dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Notre territoire est même parvenu à combler sa pénurie de médecins spécialistes. Et plus de 85 % de notre population dispose désormais d’un médecin de famille », souligne fièrement la Dre Sharon Hatcher, doyenne associée et directrice du Programme de formation médicale à Saguenay. Elle est aussi directrice de l’enseignement du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Sentiment d’appartenance

La création du campus, ajoute la Dre Hatcher, a entraîné un fort sentiment d’appartenance auprès des médecins de la région. Chaque année, ce sont une centaine de médecins qui participent activement à divers degrés au programme d’enseignement du doctorat. À ce propos, près de 70 % des 650 médecins de la région ont pris part à différentes activités d’enseignement depuis la création du programme. « Il y a deux ans, un sondage mené auprès de nos médecins nous a clairement démontré que d’avoir le privilège de jouer un rôle de formateur constituait pour eux un énorme facteur de rétention dans la région », indique la doyenne Hatcher.

Il y a douze ans, seulement le quart des 24 étudiants de la toute première cohorte avaient choisi Saguenay comme premier choix. « Aujourd’hui, c’est plus de la moitié des 32 étudiants que nous accueillons. Et, de ce nombre, un étudiant sur deux provient du Grand Montréal », signale fièrement la Dre Hatcher.

Une formation personnalisée

« La qualité de la formation offerte est la même qu’à Montréal et nous sommes en mesure d’offrir une expérience plus personnalisée en raison de la petite taille de la cohorte », enchaîne la Dre Marie-Hélène Girouard, vice-doyenne associée du campus de l’Université de Montréal en Mauricie. « Nos cohortes accueillent 40 étudiants à la fois. C’est six fois moins d’étudiants que la faculté mère à Montréal, qui en accueille 260 », précise-t-elle.

Au départ, près de 200 médecins figuraient au sein de l’équipe d’enseignement au campus de la Mauricie. Aujourd’hui, c’est le double. « J’aime dire que nous avons formé jusqu’à présent plus de médecins dans la région (soit 298) que nous en avions au départ », souligne la vice-doyenne associée Girouard.

Un campus en Outaouais

Ce sont 24 étudiants de la Faculté de médecine de l’Université McGill qui seront délocalisés à Gatineau lors de l’inauguration du Campus médical en Outaouais. Ce nouveau campus sera aménagé au-dessus de l’actuelle urgence de l’Hôpital de Gatineau du CISSS de l’Outaouais. Construite au coût de 26,3 M$, l’infrastructure accueillera également le GMF-U de Gatineau. « Il s’agira d’un campus axé sur la formation interprofessionnelle. Les étudiants auront tous les services sous un même toit », soutient le Dr Gilles Brousseau, vice-doyen adjoint à l’enseignement de la médecine – région de l’Outaouais – à l’Université McGill.

Depuis déjà 1988 que l’Outaouais accueille des stagiaires et forme des médecins de famille. Aujourd’hui, le GMF-U accueille une quinzaine de nouveaux résidents chaque année. Au fil des ans, se sont ajoutés des visites et des stages d’étudiants de 1re, 2e, 3e et 4e année ainsi que des médecins résidents de différentes spécialités. « Au total, c’est plus de 350 étudiants et résidents de différentes universités qui viennent chaque année effectuer une partie de leur formation dans la région. En moyenne, 80 % de nos résidents formés en médecine familiale poursuivent leur pratique en Outaouais », indique le Dr Brousseau.

En principe, l’équipe du campus devrait présenter l’ensemble du contenu localement et en français. « À moins de situations exceptionnelles, la visioconférence ne devrait pas être utilisée à Gatineau », mentionne le Dr Brousseau. Actuellement, cette formule est encore utilisée pour certains cours au campus de la Mauricie. « Chez nous, au campus de Saguenay, ce n’est plus le cas depuis septembre dernier », affirme la doyenne Hatcher. //