Droit au but

Les dossiers médicaux électroniques

au cœur de grandes transformations à venir – I

Christiane Larouche et Serge Dulude  |  2018-03-22

Bien que leur mise en œuvre et leur utilisation ne soient pas encore homogènes, les dossiers médicaux électroniques (DME) représentent déjà l’une des plus intéressantes sources de données sur les soins de santé en première ligne au Québec. Dans une série de deux articles, nous ferons un tour d’horizon de quelques-uns des défis et des enjeux présents et futurs.

Me Christiane Larouche, avocate, travaille au Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Le Dr Serge Dulude, omnipraticien, est directeur de la Planification et de la Régionalisation à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec.

La valeur de ces données, conjuguées aux progrès tech­nologiques, sera sans conteste le moteur le plus puissant de l’évolution des DME afin qu’ils contribuent à la trans­formation des soins primaires au cours des pro­chaines années.

L’intégration et l’interopérabilité des systèmes

L’intégration des divers systèmes d’information au DME et leur interopérabilité sont des enjeux déterminants. Alors qu’on veut avoir accès aux données et en faciliter le partage, l’absence d’interopérabilité entre les DME, le manque d’homogénéité des données dans les divers systèmes et le manque d’intégration des divers systèmes entre eux, notamment dans les DME, y font obstacle.

L’interopérabilité des systèmes et l’intégration dans les DME sont pourtant incontournables pour assurer l’efficacité des professionnels et la qualité des soins. Par exemple, tous les systèmes utilisés dans la prestation des soins et des services pour échanger ou consigner des informations sur un patient doivent s’arrimer au DME sans qu’il soit nécessaire d’entrer plusieurs mots de passe, de changer de plateforme de travail lors d’une séance ou de saisir plus d’une fois la même information dans divers systèmes.

Il faut donc considérer les besoins des cliniciens et leurs processus cliniques, administratifs et collaboratifs dès le début des projets en technologie de l’information. Malheureusement, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) le fait encore beaucoup trop tardivement.

Le DSQ

Toujours en déploiement, le DSQ peut être consulté à par­tir d’un DME. Il est maintenant alimenté par l’ensemble des laboratoires publics et des pharmacies de quartier du Québec et par presque tous les laboratoires d’imagerie médicale diagnostique publics1. On y ajoutera prochainement les médicaments prescrits en établissement, les résultats d’analyses de biologie médicale provenant des laboratoires privés, les résultats des examens d’imagerie médicale diagnostique des cliniques privées et des laboratoires privées, les vaccins reçus au Québec. Suivront les sommaires d’hospitalisation et les renseignements sur les allergies et les intolérances2.

Malgré son utilité en certaines circonstances, le DSQ de­meure un outil complémentaire au DME pour visualiser cer­tains renseignements de santé non accessibles lors de la prestation de soins. Toutefois, il n’est pas conçu pour assurer le suivi des résultats et des rapports. Jusqu’à tout récemment, les données y étaient présentées en format PDF seulement, ce qui en limitait considérablement l’utilisation. Le développement des données granulaires actuellement en cours permettra la création de nouvelles fonctionnalités dans l’avenir.

Dans le but de mieux soutenir les utilisateurs du DSQ, la Direction générale des technologies de l’information (DGTI) du MSSS a publié dernièrement sur son site Internet une série de capsules de formation en ligne et de documents de formation que nous vous invitons à consulter pour plus d’informations3.

Les systèmes d’information de laboratoire

L’arrimage des plateformes régionales au DME pour permettre le dépôt des rapports de laboratoire directement dans les DME (ou le DSQ) révèle un manque d’homogénéité dans les façons de faire4. Par exemple, les résultats de laboratoire ne sont pas toujours déposés dans les DME dans les deux formats attendus (format HL7 ou données granulaires et PDF). De plus, il semblerait y avoir une disparité quant à l’affichage et au mode de transmission. Le dépôt dans les DME de rapports de laboratoire en pièces décomposées (plusieurs catégories) ou en plusieurs copies identiques et la persistance de la transmission sur plusieurs supports (papier, numérique et télécopieur) ou, pire, la transmission dans la mauvaise clinique sont des exemples qui mettent la saine vigilance des cliniciens à rude épreuve et expose ces derniers à des risques d’erreurs.

Nous sommes donc d’avis que les modalités entourant le dé­pôt des résultats dans les DME devraient obéir à des rè­gles et à des normes identiques partout au Québec. Les respon­sa­bi­li­tés de chaque partie devraient être précisées, et les cliniciens ne devraient pas être tenus responsables d’actions hors de leur contrôle et qui relèvent des fournisseurs ou des établissements.

Un portail santé pour les patients

Le MSSS a lancé un vaste chantier de travail pour créer un portail santé à l’intention des citoyens du Québec. Les buts recherchés sont les suivants :

h faciliter l’accès des citoyens aux renseignements de santé les concernant ;

h encourager les citoyens à prendre en charge leur santé et accroître leur autonomie ;

h bonifier les soins cliniques en favorisant l’accès des citoyens à des informations de meilleure qualité sur la santé ;

h faciliter les interactions des citoyens avec leurs médecins ;

h produire une valeur ajoutée perceptible pour les citoyens.

Le MSSS a annoncé qu’il souhaitait déployer les fonctionnalités suivantes au cours des prochains mois :

h l’accès aux résultats de laboratoire ;

h l’accès aux rapports d’examen d’imagerie médicale ;

h la prise de rendez-vous en ligne avec un médecin de fa­mille à l’aide du service Rendez-vous santé Québec ;

h un lien vers le Guichet d’accès à un médecin de famille.

D’autres fonctionnalités seront offertes aux citoyens sur cette plateforme au fil du temps, dont l’accès à l’ensemble des renseignements du DSQ, la possibilité de demander un renouvellement d’ordonnance de médicament directement à son médecin de famille, l’accès à un sommaire des consultations (date, lieu et médecin consulté) et l’accès à une bibliothèque d’information sur la santé, un genre de Wikipédia, dont Info-Santé sera la deuxième ligne.

La FMOQ a fait part de ses préoccupations au MSSS et à la Régie de l’assurance maladie du Québec concernant le portail permettant l’accès aux renseignements du DSQ et au système de prise de rendez-vous en ligne par les citoyens. L’arrimage nécessaire de ces projets avec les processus cliniques et les DME est sans conteste un enjeu crucial.

Au sujet de Rendez-vous santé Québec, la FMOQ a exprimé des réserves concernant les fonctionnalités proposées à la lumière des besoins informationnels des cliniciens, de leurs processus cliniques et administratifs, de l’importance de prioriser la continuité des suivis et de favoriser le lien du patient avec son médecin et son groupe de pratique, de l’absence d’interopérabilité avec les DME, de l’absence de compatibilité de la plateforme avec l’accès adapté et enfin du caractère possiblement obligatoire de ce système.

Un groupe de travail composé de médecins champions de l’accès adapté a été créé par le ministre de la Santé et des Services sociaux à l’été 2017 pour explorer des avenues d’utilisation d’un tel système de rendez-vous en ligne pour l’accès adapté. Plusieurs commentaires formulés par ce groupe de travail ont mené à des modifications de la plateforme en cours ou à venir.

Le ministre a récemment réaffirmé sa volonté d’offrir une application gratuite, simple et accessible, qui répond en­tiè­rement aux besoins des cliniciens. Dans ce contexte, la FMOQ a demandé la tenue d’expériences terrain pour l’ensemble des fonctionnalités de ce système dans divers milieux de pratique en première ligne, y compris dans les milieux où les médecincs exercent en accès adapté, une fois que le système sera interopérable avec les DME. Il semblerait que les arrimages requis avec les DME seront terminés au printemps.

Le processus de certification des DME

Neuf solutions de DME sont homologuées et certifiées par le MSSS5. Cette cohabitation présente des avantages comme des inconvénients. La présence de divers fournisseurs en­courage ces derniers à se distinguer les uns des autres et stimule l’amélioration des produits, la qualité des services et le maintien de coûts concurrentiels.

Par contre, comme les DME ne sont pas interopérables et que les données qu’ils contiennent ne sont pas homo­gènes, le nombre élevé de DME au Québec multiplie les pro­blèmes associés à l’accès et au partage des données entre professionnels, à la migration des données lors des change­ments de DME et à l’extraction des données à des fins d’ana­lyse comparative.

Malheureusement, la politique de certification des DME en vigueur depuis 20155 ne permet pas en soi de résoudre ces problèmes. La politique d’homologation des DME aurait été remplacée à des fins d’efficacité et de flexibilité pour favoriser un encadrement plus « souple » du libre marché5. Contrairement au processus d’homologation, qui avait lieu pour chaque nouvelle version de DME et nécessitait une vérification de conformité étendue, le processus de certification atteste uniquement de l’interopérabilité des DME ou d’une version de DME avec les actifs informationnels du secteur de la santé et des services sociaux de manière sûre et performante5. De plus, contrairement au processus d’homologation, le processus de certification n’est pas systématique. En effet, il est déclenché uniquement dans certaines circonstances, soit :

h lors de changements législatifs ;

h lorsque des besoins spécifiques sont exprimés par des directions et des organismes du secteur de la santé et des services sociaux ;

h après des changements apportés au DME par les fournisseurs ou lors d’acquisitions d’actifs informationnels ; ou

h lorsque des anomalies sont repérées par les propriétaires de systèmes5.

En bref, le processus de certification est conçu pour satisfaire aux exigences et aux normes de sécurité et d’interopérabilité des DME avec le réseau de la santé, mais il offre moins de garantie de qualité et de protection pour les utilisateurs de DME. Il est regrettable que cette orientation unilatérale du MSSS ait fait fi des besoins des cliniciens. Elle soulève donc de sérieuses questions sur l’évolution des DME dans une perspective d’avenir.

Dans notre prochain article, nous ferons état de l’évo­lution nécessaire des DME au Québec et des autres en­jeux associés. //

Bibliographie

1. MSSS. L’état du déploiement du DSQ au Québec. Québec : Gouvernement du Québec ; 2013.

2. Régie de l’assurance maladie du Québec. Dossier santé Québec. Présentation des projets en cours au Dossier santé Québec. Québec : Direction générale des technologies de l’information du ministère de la Santé et des Services sociaux ; 2017.

3. Régie de l’assurance maladie du Québec. Dossier santé Québec. Documents de soutien. Québec : ministère de la Santé et des Services sociaux ; 2016.

4. Pierson G. Partage de données de laboratoire en contexte régional au Québec : une étude de cas multiple (mémoire). HEC ; Montréal 2016.

5. MSSS. Politique sur la certification des dossiers médicaux électroni­ques(DME). Québec : le Ministère ; 2015.