On reproche souvent aux politiciens leur manque de vision et leurs décisions prises à courte vue. L’histoire du réseau de la santé est parsemée d’exemples éloquents à cet égard. Et les patients, ainsi que les professionnels qui y travaillent, en ont souvent fait les frais.
Le premier exemple nous venant rapidement à l’esprit, pour n’en citer qu’un, reste bien gravé dans l’imaginaire collectif. Je parle bien sûr des programmes de départs massifs à la retraite d’infirmières et de médecins dans la seconde partie des années 1990, jumelés à une réduction des admissions dans les quatre facultés de médecine de la province, le tout dans un contexte de vieillissement de la population ne pouvant qu’accentuer la demande de soins.
Inutile de s’attarder sur toutes les répercussions malheureuses qui ont découlé de cette décision dénuée de vision. Toutefois, une de ces répercussions mérite qu’on s’y arrête : une importante pénurie de médecins de famille, qui avait atteint, il faut le rappeler, le millier en 2010, selon les données gouvernementales. Cette pénurie serait par contre presque chose du passé, n’eût été les nombreux efforts de la classe politique québécoise au cours des dernières années pour anéantir la valorisation de la médecine familiale qui a eu cours au Québec de 2008 à 2014. Les lois 20 et 130, la multiplication des contraintes coercitives liées à l’installation en pratique des omnipraticiens, le discours dénigrant et accusateur souvent entendu à l’Assemblée nationale sur tout ce qui a trait à la médecine de famille, la surenchère politique pour exiger toujours plus des omnipraticiens déjà surchargés et le refus de bon nombre d’élus de simplement prendre acte de l’amélioration constante et incontestable de l’accès aux soins médicaux de première ligne ont manifestement eu une conséquence grave : le peu d’attrait pour la médecine familiale chez la relève médicale.
En effet, alors qu’en 2014, au moment où les efforts de valorisation commençaient à payer, 22 postes n’avaient pas été pourvus en médecine familiale au Québec. Ce chiffre a augmenté à 43 en 2015 (l’année suivant le dépôt de la loi 20), à 56 l’an dernier et à 65 cette année ! Voilà autant de médecins omnipraticiens potentiels qui auraient pu prendre en charge des dizaines et des dizaines de milliers de patients qui ne seront jamais au rendez-vous. C’est une situation dramatique, mais le gouvernement préfère banaliser le problème de la faible attractivité de la médecine familiale, tandis que les partis d’opposition, si on se fie à leur silence sur cet enjeu, semblent carrément ignorer ce problème typiquement québécois. Pourtant, quand dans l’ensemble du Canada, 65 des 75 postes de résidence (toutes spécialités confondues) qui sont restés vacants sont en médecine de famille au Québec (aucun poste vacant en médecine de famille dans les autres provinces) et qu’il manque encore des centaines de médecins omnipraticiens au Québec, ne serions-nous pas en droit de voir nos dirigeants et nos élus prendre la situation au sérieux plutôt que de se mettre la tête dans le sable ?
L’absence de vision du gouvernement aura grandement affaibli la médecine familiale au Québec au cours des vingt dernières années. La multiplication des contraintes législatives, réglementaires et bureaucratiques touchant les médecins de famille y est pour beaucoup. L’écart de rémunération croissant et inéquitable entre les médecins omnipraticiens et les médecins spécialistes y est aussi pour quelque chose. Nier l’effet décourageant et démobilisateur de la surenchère médiatique et politique par rapport à ce qu’on peut exiger des médecins de famille équivaut à vivre dans le déni. Un changement de cap est nécessaire et de nouveaux discours doivent être entendus. À l’aube d’une campagne électorale où l’accès aux soins sera encore un enjeu important, la valorisation de la médecine familiale devrait donc être une priorité absolue pour tous. Agir autrement serait carrément irresponsable et contraire au bien commun.
Le 20 avril 2018 //
Le président, Dr Louis Godin |