Comment la formule patient partenaire peut améliorer la médecine familiale ?
Enseignée depuis 2010 dans la plupart des facultés de médecine, la formule patient partenaire commence à se conjuguer sous différentes formes partout dans la province. Comment ce concept, visant à améliorer les soins aux patients, parvient-il à bonifier la pratique des médecins de famille ?
Combien de fois par jour avez-vous l’impression de parler dans le vide à vos patients ? Pourquoi plus de la moitié de vos patients qui souffrent de maladies chroniques ne respectent-ils pas vos ordonnances médicales et encore moins vos conseils santé ? Qu’est-ce qui cloche avec votre message ?
Le Dr Antoine Boivin, qui travaille une journée par semaine au GMF Notre-Dame, à Montréal, n’a plus besoin de se poser toutes ces questions. Depuis un an, le clinicien obtient désormais une bonne partie des réponses à ces interrogations auprès de sa patiente partenaire Ghislaine Rouly. Cette dernière, qui travaille comme formatrice à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, vient rencontrer chaque semaine deux ou trois patients du Dr Boivin qui souffrent d’isolement social et de maladies chroniques. Elle participe notamment à l’évaluation et au suivi de ces derniers. Il s’agit d’un projet pilote au sein de cette clinique auquel participe le Dr Boivin.
« C’est frappant de voir la confiance qui s’instaure entre mes patients et Ghislaine qui a une longue expérience de vie avec la maladie comme patient et comme proche aidante. Plusieurs vont lui confier des détails sur leur état de santé, sur des douleurs ou encore sur un deuil, qu’ils n’ont même pas abordés lorsque je les ai rencontrés », soulève le Dr Boivin, qui est codirecteur du Centre d’excellence sur le partenariat avec les patients et le public (CEPPP).
« Ghislaine observe, écoute. Elle me réapprend à voir des éléments fondamentaux de ma pratique. Elle m’aide à mieux percevoir des symptômes du patient que j’aurais sans doute attribué à du stress ou à une dépression », raconte le Dr Boivin.
Ce lien de compréhension qui subsiste entre sa patiente partenaire et ses patients ne l’étonne pas. « J’ai vu ma mère accompagner un de mes grands-oncles qui souffrait d’un cancer. Comme professionnel, je pouvais expliquer les effets qu’auraient les traitements et les médicaments, comme la morphine. Ma mère, comme proche aidante expérimentée, pouvait conseiller sa famille sur la façon d’accompagner mon grand-oncle aux rendez-vous médicaux. Elle avait développé une sensibilité et une façon de vulgariser le tout pour qu’il soit davantage rassuré. »
« Travailler avec des patients partenaires a considérablement changé ma façon de pratiquer. Ma perception et mes attitudes envers mes patients ne sont plus les mêmes qu’à mes débuts il y a 20 ans », reconnaît, pour sa part, la Dre Catherine Hudon, professeure titulaire et directrice de la recherche au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’Université de Sherbrooke.
Depuis trois ans, la Dre Hudon expérimente la valeur ajoutée du partenariat avec les patients de son programme de recherche. Elle intègre également ce concept dans sa pratique. Cette chercheuse clinicienne tente de mieux comprendre le vécu des patients qu’elle rencontre en clinique, particulièrement s’il s’agit d’une personne plus vulnérable. « Je l’écoute et je prends du recul. Est-ce que je comprends bien les priorités de mon patient ? Où veut-il aller ? Est-ce que mes interventions sont orientées pour répondre à ses besoins ? », se questionne la Dre Hudon.
Avec trois patients partenaires du Saguenay, dont Véronique Sabourin (voir le texte ci-contre), la Dre Hudon travaille justement sur un programme de recherche visant à mieux intervenir auprès des patients qui ont des besoins de santé complexes et qui utilisent fréquemment les services de santé.
« L’expérience m’a fait prendre conscience que la théorie apprise pendant ma formation ne reflétait pas exactement la réalité que je vivais comme médecin de famille au quotidien. Prenons simplement l’exemple de la nutrition. J’aurai beau bombarder un patient de conseils sur les bienfaits d’une saine alimentation, s’il n’a pas de budget pour acheter de la nourriture, sa priorité sera d’abord de manger à sa faim », concède la Dre Hudon.
À l’Université de Montréal, c’est près de 200 patients partenaires souffrant de diverses maladies chroniques qui ont jusqu’ici été recrutés pour participer activement à la formation des étudiants. Et pas seulement à la Faculté de médecine et à son campus en Mauricie, signale le Dr Philippe Karazivan, médecin de famille et codirecteur du CEPPP. « L’approche du patient partenaire est maintenant utilisée dans une quinzaine de disciplines liées à la santé, que ce soient les sciences infirmières, la pharmacie, la nutrition, la médecine dentaire. En tout, ce sont plus de 3000 étudiants qui, dès leur première année de baccalauréat, goûtent à cette formule de soins plus personnalisée », explique-t-il.
C’est d’ailleurs à l’initiative d’un patient atteint d’une maladie chronique, Vincent Dumez, que l’approche du patient partenaire a pris racine à l’Université de Montréal il y a huit ans. Hémophile, Vincent Dumez, une des victimes du scandale du sang contaminé, contractait le VIH, ainsi que les hépatites A, B et C à l’âge de 14 ans. Devenu consultant en management, il a rencontré, en 2010, le doyen de la Faculté de médecine, Jean Rouleau. « Nous partagions la même vision sur ce que la relation médecin-patient devrait être aujourd’hui. Le patient ne doit pas être uniquement pris en charge. Il doit aussi participer au processus de soins », raconte Vincent Dumez. À la suite de cette discussion, ce dernier a décidé de s’engager à mettre sur pied la Direction de collaboration et de partenariat patient à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Cette entité a permis la création du CEPPP en 2015, dont Vincent Dumez est aussi un des codirecteurs.
« Il fut un temps où les facultés de médecine formaient les étudiants à guérir des patients. Toutefois, aujourd’hui, plusieurs patients ne peuvent pas guérir. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, plus d’un Occidental sur deux est atteint d’une maladie chronique. Et plus de la moitié de ces gens ne respectent pas ou peu leurs ordonnances médicales. Désormais, les médecins, tout comme les autres professionnels de la santé, doivent aussi jouer un rôle d’accompagnateur », maintient le Dr Karazivan.
L’objectif, poursuit Vincent Dumez, est de sensibiliser les médecins à la réalité des patients, « Qu’est-ce qu’ils vivent ? Comment réagissent-ils aux médicaments ? Il n’était pas normal que la médecine demeure l’un des rares secteurs à se définir sans sa principale clientèle », soutient-il.
Le pari, tiennent à préciser ces deux codirecteurs du Centre d’excellence sur le partenariat, n’est pas tant de bouleverser l’univers de la médecine, mais d’accompagner les médecins, les gestionnaires d’établissement et les autres professionnels de la santé à devenir plus efficaces dans leur approche avec les patients. « L’essentiel est que chaque région, chaque milieu puisse développer ses propres initiatives de partenariat-patient pour mieux servir la population », ajoute le Dr Philippe Karazivan.
L’Outaouais est justement un bel exemple de région qui emploie la formule du patient partenaire pour trouver des solutions à des besoins précis, notamment en ce qui a trait à la qualité des services de soins. Actuellement, ce sont une trentaine de patients partenaires qui collaborent avec le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO) pour en améliorer les services.
Une des retombées positives de ce partenariat-patient demeure la création du Centre de services ambulatoires en pédiatrie de l’Outaouais en 2015. Cette clinique, que tout le monde en Outaouais appelle affectueusement la « mini-urgence 0-17 ans », a été mise en place pour offrir un service aux enfants qui n’ont pas de médecin de famille ou pour répondre à des patients classés P4 et P5 qui auraient visité l’urgence en milieu hospitalier. Une équipe formée de huit pédiatres, de quatre médecins de famille avec permis restrictif et d’infirmières auxiliaires, assure le service sept jours sur sept.
« Depuis plusieurs années, faute d’avoir des services adéquats de ce côté-ci de la rivière des Outaouais, les parents qui se retrouvaient en situation d’urgence avec leurs enfants avaient systématiquement le réflexe de franchir la frontière ontarienne pour se rendre à l’Hôpital pour enfants d’Ottawa. Afin de réduire ce flux et, du coup, de limiter les frais que ces visites coûtent au gouvernement, le CISSSO a eu l’idée de créer cette clinique », explique Laurence Barraud, directrice de l’enseignement, des relations universitaires et de la recherche au CISSSO.
Pour l’élaboration du projet, l’établissement a réuni, à quelques reprises, trois médecins, deux gestionnaires, trois employés (infirmière, commis et professionnel) et une maman de trois enfants autour d’une table au cours de l’automne 2014 et de l’hiver 2015. « Dès la première réunion, la maman a expliqué clairement les attentes des parents. Elle a indiqué aux autres participants que la formule de la clinique proposée ne lui convenait pas du tout : « Si vous ne nous offrez pas un accès direct à des services de radiologie, et de prélèvements de sang et à d’autres services d’urgence, moi, la première, et les autres parents, allons continuer d’aller à Ottawa », raconte Laurence Barraud. Les médecins et les gestionnaires ont écouté les recommandations et ont refait leurs devoirs.
Aujourd’hui, grâce à l’intervention de cette maman, la « mini-urgence 0-17 ans » de l’Outaouais obtient un succès bœuf. Cette clinique reçoit entre 14 000 et 15 000 jeunes patients par année. D’ailleurs, en 2017, la direction de l’Hôpital pour enfants d’Ottawa a enregistré une baisse substantielle d’au moins 3000 visites de jeunes patients provenant du Québec.
Autre situation où le partenariat avec le patient porte actuellement ses fruits, c’est dans la révision des médicaments avec les patients (dont les capacités cognitives le permettent) et leurs proches, au moment de l’admission dans un CHSLD. Il s’agit d’un des projets que pilote la Dre Paule Lebel, professeure agrégée au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence (DMFMU) ainsi qu’à la Direction Collaboration et Partenariat patient (DCPP) de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.
La Dre Paule Lebel cite, entre autres, les expériences qu’elle a coordonnées au CHSLD Drapeau-Deschambault, à Sainte-Thérèse. Au cours de la dernière année, sa collègue (qui est aussi sa sœur) la Dre Suzanne Lebel, enseignante clinicienne au DMFMU, y a effectué une dizaine de révisions de médicaments en partenariat avec les patients et leurs proches. « Très souvent, les médecins, pharmaciens et infirmières vont réviser l’ensemble de la liste des médicaments des patients sans toutefois consulter ces derniers ni tenir compte de l’avis de la famille. Ce projet vise à inclure les patients et leurs proches dans le processus. Pour chaque médicament, on discute avec eux de sa pertinence, de ses effets indésirables et de possibles solutions de remplacement », explique la Dre Paule Lebel.
Si l’un de ces médicaments soulève des questions pendant la rencontre, la Dre Suzanne Lebel indique aux familles comment on peut le retirer ou l’ajuster pour une meilleure optimisation. Elle leur indique aussi les effets possibles de ce retrait sur le comportement ou l’état du patient. « Jusqu’à maintenant, cet exercice s’est traduit par la réduction d’au moins 25 % à 30 % du nombre de médicaments des participants. L’un d’eux a même vu son nombre de médicaments être réduit d’au moins 70 % », signale la Dre Paule Lebel, qui est aussi spécialiste en santé publique et en médecine préventive.
La clé, souligne la Dre Lebel, demeure la préparation des patients et de leur famille à cette révision ainsi que l’attitude du personnel envers ces derniers. « Tous les professionnels de la santé réunis autour de la table, y compris les médecins, doivent ajuster leurs propos afin de s’assurer que les patients et leurs familles comprennent les avantages de cette révision de médicaments sur la santé. Et il va de soi que la participation des patients partenaires doit être volontaire », insiste la Dre Lebel. Peu à peu, ils apprennent à devenir de réels partenaires de leurs soins grâce au soutien de l’équipe.
Pour aider les réseaux locaux de services à instaurer des partenariats gagnants avec les patients dans leur milieu, la Dre Marie-Pascale Pomey participe à la mise en place du programme Collectif pour des meilleures pratiques et améliorations des soins de santé (COMPAS1). Ce programme offre notamment des ateliers de pratiques réflexives avec la participation de patients partenaires en région. « Jusqu’à présent plus d’une dizaine d’ateliers ont été donnés en Abitibi-Témiscamingue, en Mauricie, au Centre-du-Québec, en Montérégie-Est et Centre et Ouest et dans le Bas-Saint-Laurent », signale la Dre Pomey, médecin-conseil à l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS).
Ces ateliers, explique la Dre Pomey, nécessitent généralement trois mois de préparation. Actuellement, ces rencontres d’une journée traitent des bonnes pratiques cliniques sur le diabète et la bronchopneumopathie chronique obstructive. De nouvelles thématiques, telles que l’insuffisance cardiaque et la santé mentale, seront prochainement à l’agenda.
En moyenne, ces ateliers réunissent de 15 à 25 personnes. Les participants sont pour la plupart des professionnels de la santé (pharmaciens de quartier, infirmières, nutritionnistes, etc.) et des gestionnaires, y compris des médecins de famille. « Plus du quart de nos auditoires sont d’ailleurs composés d’omnipraticiens qui veulent en savoir davantage sur leurs pratiques et sur l’état de santé de leur population », soulève la Dre Marie-Pascale Pomey. Cette dernière sera justement présente lors du prochain congrès syndical de la FMOQ, les 31 mai et 1er juin prochains à Québec, pour venir présenter le programme COMPAS1. //
Lorsqu’il est question de patient partenaire, le nom de Vincent Dumez est régulièrement cité. Au Saguenay, c’est Véronique Sabourin qui vole la vedette. Asthme grave, BPCO, déficit d’IGA, déficit des voies digestives, sinusite chronique, arthrite psoriasique depuis sa naissance il y a 42 ans, cette femme soutient avoir passé plus de temps dans les hôpitaux que sous son propre toit. « Enfant, plusieurs médecins m’accordaient une espérance de vie qui ne franchirait pas mon 18e anniversaire. Mon désir de vivre a fait mentir leur prévision », indique Véronique Sabourin toute souriante.
Cette patiente aux multiples maladies chroniques collabore depuis une dizaine d’années avec le réseau local de services de santé du Saguenay. On la convoque régulièrement pour obtenir son avis sur la qualité des services et des soins offerts. La teneur des opinions et commentaires de cette patiente ébranle, certains jours, les colonnes du temple.
« Je ne me suis jamais gênée pour questionner les médecins et débattre avec eux de la pertinence de recevoir tel ou tel médicament et traitement. Aucun d’eux n’a étudié pour être malade. Moi, je le vis à temps plein. Je suis d’ailleurs convaincue que ma participation à tous les soins et traitements que j’ai reçus contribue à ce que je sois toujours en vie et maman de deux ados adoptés », soutient Véronique Sabourin.
Actuellement, cette patiente partenaire participe au projet de recherche dirigé par la Dre Catherine Hudon. Ce projet vise à aider les patients atteints de maladies chroniques qui fréquentent régulièrement les urgences. Elle participe activement à l’élaboration des questionnaires et aux appels effectués auprès de ces grands utilisateurs du système de santé afin de connaître leurs besoins. « Je me rends compte que plusieurs de ces patients ont tout simplement peur de discuter de leur réalité avec leur médecin. Le fait que ce soit moi, une autre patiente qui fréquente régulièrement les couloirs d’un hôpital qui leur parle favorise la quête d’informations pour mieux les aider. »
Divers outils ont été mis au point au cours des trois dernières années pour aider les patients à s’engager dans l’autogestion de leur santé. L’un d’eux, le site DiscutonsSanté.ca, aide à mieux préparer tous les patients, particulièrement ceux qui souffrent d’un cancer, de diabète, de maladies cardiaques ou d’AVC, afin d’optimiser leur visite chez le médecin. « Nous ajouterons au cours des prochains mois un volet sur la santé mentale », fait savoir la Dre Marie-Thérèse Lussier qui a conçu le site en collaboration avec le Dr Claude Richard et Capsana. Les Drs Lussier et Richard font partie de l’Équipe de recherche en soins de première ligne du CISSS de Laval.
Annoncé par le ministre Gaétan Barrette en décembre dernier, le nouveau Carnet santé Québec permettra aux patients de consulter la liste de leurs médicaments des cinq dernières années, les résultats de leurs prélèvements et leurs rapports d’examens d’imagerie médicale (radiologie, résonance magnétique, échographie, mammographie et autres). Depuis le mois de janvier, cet outil est en rodage auprès de patients de la clinique Lebourgneuf, à Québec, et de tous les patients de Laval qui ont un médecin de famille. Le Carnet santé Québec devrait être accessible à l’ensemble des patients du Québec dès cet été.