Aider des médecins à améliorer leur compétence
En 2017, 105 médecins de famille on fait un stage ou se sont vu assigner un tuteur parce qu’ils devaient mettre à jour leur pratique. Qui sont ces médecins ? Et qui sont ces collègues qui les supervisent ?
C’est la Direction de l’amélioration de l’exercice du Collège des médecins du Québec qui organise les interventions individualisées de perfectionnement, dont les stages cliniques avec ou sans limitation de l’exercice et les tutorats. Parmi les médecins visés, il y a ceux qui effectuent un retour en médecine après un arrêt de trois ans et plus, ainsi que ceux qui souhaitent modifier leur champ d’exercice.
« La ménopause, la contraception, le dépistage de l’ostéoporose et le suivi médical périodique chez l’enfant, le médecin de famille qui travaille à l’urgence ne voit pas ça, donne en exemple le Dr François Goulet, directeur adjoint à la Direction de l’amélioration de l’exercice. S’il veut faire du suivi de clientèle, il doit se mettre à jour. »
La majorité des médecins concernés par ce processus sont toutefois ceux qui doivent apporter des correctifs à leur pratique à la suite d’une évaluation du comité d’inspection professionnelle du Collège, d’une enquête du syndic ou d’une sanction du conseil de discipline.
Quels sont les problèmes les plus fréquents ? Au premier rang, ceux relatifs à la rédaction et à la tenue de dossiers. Viennent ensuite la fermeture précoce des diagnostics, une mauvaise communication médecin-patient (plus fréquente chez les médecins spécialistes), le suivi inadéquat des maladies chroniques ainsi que les lacunes dans les connaissances cliniques et dans les plans d’évaluation et de traitement. Certains médecins ont aussi du mal à gérer leur stress et leur agressivité.
Habituellement, le médecin qui a besoin d’une mise à jour dans sa tenue de dossiers et dans sa démarche clinique se verra proposer un tutorat. Celui qui doit corriger des faiblesses sur le plan clinique ou acquérir une nouvelle compétence devra plutôt faire un stage. Dans les deux cas, le médecin doit rémunérer le collègue qui assurera sa formation.
Le tutorat comprend de deux à dix rencontres de deux à trois heures chacune. Quant au stage, sa durée varie de cinq à quarante jours, et il se déroule à temps partiel ou complet. « Si les lacunes d’un médecin sont tellement grandes qu’elles mettent en danger la sécurité des patients, le stage se fait avec limitation de l’exercice », précise le Dr Goulet.
« Je vais me faire des ennemis en disant cela, mais les hommes se font recommander du perfectionnement plus souvent que les femmes », indique le Dr Goulet. Pour la période de 2002 à 2017, 72 % des stagiaires et des tutorés étaient en effet des hommes bien qu’ils ne représentent que 52 % des médecins actifs (omnipraticiens et spécialistes).
Cette surreprésentation de la gent masculine doit toutefois être mise en perspective. Il y a beaucoup d’hommes parmi les médecins âgés. Or, les recherches montrent un déclin de la qualité de l’exercice après 70 ans. Pour cette même période de 2002 à 2017, quelque 17 % des médecins soumis à un stage ou à un tutorat avaient 70 ans et plus, alors qu’ils composent 7 % de l’effectif médical.
« Ils exercent longtemps parce qu’ils aiment la médecine et qu’ils ne veulent pas laisser tomber leurs patients, constate le Dr Goulet. Mais ils connaissent tellement leur clientèle qu’ils ont tendance à fonctionner sur le pilote automatique. Cela mène à une approche diagnostique moins large. Plusieurs aussi font peu de formation continue et travaillent en solo, ce qui nuit à la qualité de leur pratique. »
Le plus vieux médecin de famille québécois ayant fait un stage était âgé de 96 ans. Et il l’a échoué. « La capacité d’apprentissage diminue avec l’âge, note le Dr Goulet. Donc, plus le médecin est âgé, plus son risque d’échec est élevé. » Chez les omnipraticiens de 50 à 69 ans, le taux de réussite est de 86 %. Il diminue à 64 % après 70 ans, puis à 57 % vers 80 ans. En comparaison, le taux de réussite des omnipraticiens de moins de 50 ans est de 97 %.
La Dre Caroline Noory exerce dans un GMF de Rigaud. Elle est membre du conseil de discipline et chargée d’enseignement clinique auprès des résidents des universités McGill et de Montréal. À l’occasion, elle est aussi maître de stage. Qu’est-ce qui la motive ? « La qualité de la médecine me tient beaucoup à cœur. J’ai un grand désir de collégialité, d’aider des collègues en partageant mes connaissances. Et puis, ce n’est pas à sens unique. J’apprends des médecins que j’accompagne. Cela m’oblige aussi à valider des données. C’est une façon de me tenir à jour. »
Pour être maître de stage ou tuteur, il faut au moins cinq ans d’expérience en médecine et un dossier disciplinaire vierge. Il faut aussi manifester de l’intérêt pour l’enseignement et être prêt à y consacrer du temps. « Le plus grand défi, c’est d’être disponible au quotidien », dit la Dre Noory.
Comment ça se déroule concrètement ? « Les stagiaires sont considérés comme des résidents. Ils voient des patients de ma clinique et s’ils ont besoin de discuter d’une situation particulière, ils peuvent cogner à ma porte. Je n’ai pas eu à le faire, mais je pourrais aussi les superviser directement pour certains actes. En fin de journée, je revois avec eux les cas de la journée pour valider leur démarche clinique. Je fais aussi une mise au point hebdomadaire et je leur propose des lectures pour aller plus loin. » Le médecin superviseur adapte son enseignement aux objectifs d’apprentissage que le Collège a déterminés lors de l’évaluation du stagiaire ou du tutoré.
Médecin de famille à Montréal et tutrice, la Dre Martine Johnson aime pour sa part proposer des activités variées aux médecins qu’elle conseille. « Je fais des mises en situation. Par exemple, je feins d’être une femme de 34 ans qui a des céphalées intenses. Et j’attends qu’ils me questionnent. Je peux aussi leur demander de pratiquer sur moi un examen avec lequel ils ont de la difficulté, comme celui de l’épaule. J’ai également tout un cartable de questions-réponses. À partir d’un cas, les médecins doivent établir un diagnostic probable et des plans d’évaluation et de traitement. C’est très populaire ! »
Ce n’est pas évident cependant pour les médecins de passer par un tel processus, surtout s’ils ont été pris en défaut. « Souvent, ils se sentent humiliés, constate la Dre Johnson, qui a douze tutorats à son actif. Ils sont stressés, car l’enjeu est important. Plusieurs aussi sont méfiants au début. »
D’où l’importance de la première rencontre. « Pour les mettre à l’aise, je les fais parler de leur parcours professionnel, de ce qu’ils aiment en médecine, poursuit-elle. Au besoin, je les laisse aussi ventiler. Quand ils me disent que l’inspecteur a été trop sévère, qu’il a écrit une fausseté dans son rapport, je les écoute sans les contredire. Je ne suis pas là pour les juger, mais pour les aider. »
Collaborent-ils ? « La plupart du temps, ils prennent conscience de leurs failles et ils finissent par aimer nos échanges, affirme la Dre Johnson. Par exemple, le médecin âgé qui pratique en solo est content de pouvoir enfin discuter des dossiers qui l’embêtaient. »
Tuteurs et maîtres de stage doivent néanmoins savoir faire preuve de fermeté. « L’objectif, ce n’est pas de devenir amis, dit la Dre Noory. Le Collège nous donne le mandat d’encadrer un collègue pour qu’il améliore sa compétence. Il faut donc être capable d’évaluer de façon objective l’atteinte de ses objectifs d’apprentissage. »
Et s’il échoue, comme 13 % des médecins de famille ? Il peut recommencer son activité de perfectionnement autant de fois que nécessaire. Sauf dans le cas d’un stage avec limitation de l’exercice où la limite est de deux.
Avant d’en arriver là, certains médecins, surtout parmi les plus âgés, se résignent à cesser leur pratique. « C’est difficile pour un médecin d’accrocher son stéthoscope, observe la Dre Johnson. Mais il faut penser aux patients qui ont le droit d’être bien soignés. » //