Monstre ou enfant en détresse ?
« Un énorme merci d’avoir pris soin de moi […] Vous m’avez aidée avec tous vos moyens […] Ces dernières années n’ont pas été faciles, mais sans vous rien ne serait pareil […] ». Quand le Dr Yves Lambert, médecin au Centre jeunesse de la Montérégie, a reçu ce mot d’une ancienne patiente, son « cœur de médecin a fondu », dit-il. Et pour cause. Cette jeune femme revenait de loin.
Adoptée à l’international à 3 ans, elle est entrée en Centre jeunesse à 11 ans. Elle pesait alors 16,3 kilos et mesurait 1,09 mètre. Elle était sous-alimentée… et ne savait pas faire de vélo. « Elle a appris sur l’asphalte du centre, se souvient l’omnipraticien. De la fenêtre de mon bureau, je la voyais s’exercer. »
Décrite par sa mère adoptive comme un monstre, l’enfant — appelons-la Delphine* — souffrait d’un trouble de l’attachement et d’un TDAH. « En centre d’accueil, pourtant, elle fonctionnait plutôt bien, dit le Dr Lambert. Même si la gestion des émotions demeurait difficile, elle ne correspondait en rien au portrait négatif brossé par sa mère. »
D’ailleurs, le médecin a rapidement constaté que quelque chose clochait chez cette dernière. « Je ne veux pas aller dans les détails, mais la mère avait eu des conflits avec plusieurs médecins spécialistes concernant sa fille. Notamment, elle niait le trouble d’attachement. Elle prétendait plutôt que sa fille était inapte. Ce n’était pas le cas, mais elle n’en démordait pas. » Au contraire, Delphine faisait de grands progrès. Si bien qu’à l’adolescence, le Centre Jeunesse a voulu la transférer dans un appartement supervisé, mais la mère a refusé. L’adolescente est donc restée en centre d’accueil jusqu’à ses 18 ans.
Depuis longtemps, le Dr Lambert soupçonnait Delphine d’être victime d’un syndrome de Münchhausen par procuration. Ce n’est que lorsque sa sœur, pourtant saine d’esprit, est abandonnée par sa famille adoptive dans une ressource en santé mentale qu’il a enfin pu poser son diagnostic.
Âgée aujourd’hui de 20 ans, Delphine va bien, même si elle est encore fragile. « Comme médecin, je n’ai pas fait grand-chose, estime le Dr Lambert. Mais je l’ai traitée avec bienveillance et j’ai essayé de comprendre ce qu’elle vivait. Pour les écorchés vifs de la vie comme elle, c’est très important. » //
*Prénom fictif.