Ce n’est pas d’hier que la couverture médicale en CHSLD pose des problèmes. Et ces dernières années, la situation a continué de se détériorer. La lourdeur accrue de la clientèle, combinée à l’adoption de la loi 20 et de la loi 130, ainsi que l’accent sur la prise en charge auront largement contribué à fragiliser les équipes en CHSLD. Ces milieux de pratique, devenus moins attractifs, nécessitaient que les conditions d’exercice soient adaptées.
Mme Marianne Casavant est conseillère en politique de santé à la direction de la Planification et de la Régionalisation de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Pour tenter d’améliorer les choses, le 2 mars dernier, la FMOQ et le MSSS convenaient d’une entente visant à favoriser la prise en charge globale et continue des services médicaux auprès des personnes hébergées dans une installation d’un établissement ayant la mission d’un CHSLD. La lettre d’entente no 327 entrait en vigueur le 1er avril 2018.
Pour le ministre, l’atteinte d’une cible d’inscription de patients constituait la seule voie de passage acceptable pour écarter les menaces découlant de l’application de la loi no 20. L’entente de principe permettant d’accroître l’accessibilité aux services médicaux de première ligne, intervenue en mai 2015 entre la FMOQ et le MSSS, cristallise l’engagement des médecins de famille envers l’atteinte d’un taux d’inscription et d’un taux d’assiduité. C’est dans ce contexte que les omnipraticiens ont dû concentrer leurs efforts en première ligne. Cette véritable course à l’inscription, parfois au détriment d’autres champs de pratique, allait entraîner la suspension de certains pouvoirs, que le ministre Gaétan Barrette s’était octroyés par l’entremise de la loi no 20, dont celui d’appliquer des sanctions financières aux médecins.
Les intrusions répétées et les interférences du ministre ont brouillé la situation encore davantage. Les directives successives aux chefs de DRMG ont amené une confusion qui n’est pas encore dissipée dans certaines régions. Soulignons entre autres l’ingérence du ministre dans la détermination des AMP disponibles dans les régions. Les médecins détenteurs d’un avis de conformité au plan régional d’effectif médical (PREM) 2016 ont dû prendre un engagement de deux ans dans la seule AMP alors disponible pour l’ensemble des régions du Québec, soit la prise en charge. Tout nouvel engagement à l’entente particulière AMP impliquait douze heures de prise en charge, soit un équivalent de 500 patients inscrits au nom du médecin.
Aujourd’hui, force est de constater que l’inscription de clientèle a déséquilibré certains secteurs d’activités. Les médecins de famille ont dû adapter leur pratique en augmentant leur apport en première ligne et en réduisant, par le fait même, certaines activités que le gouvernement jugeait alors moins prioritaires.
Dans ce contexte, la FMOQ devait faire la promotion des activités en CHSLD. La lourdeur accrue de cette clientèle a donc enfin été reconnue. Voici les modalités négociées.
La lettre d’entente 327 a pour objet la mise en place de modalités relatives à une prise en charge globale et à une continuité de services médicaux auprès des personnes hébergées dans une installation d’un établissement ayant la mission d’un CHSLD.
Essentiellement, elle prévoit qu’un groupe de médecin de famille puisse s’organiser, sous la direction d’un médecin responsable, pour offrir des services médicaux aux patients d’une installation ayant la mission de CHSLD. Les services sont offerts pour une durée d’un an à l’ensemble de la clientèle hébergée, y compris la garde 24/7. Cet engagement est renouvelable.
Les lits ainsi attribués au groupe sont ensuite répartis entre les médecins et traduits en nombre de patients pris en charge. Cette conversion du nombre de lits en nombre de patients est comptabilisée dans la clientèle du médecin*, ainsi que dans celle du GMF, le cas échéant, avec une pondération de 1 pour 6.
Les lits de CHSLD sous la responsabilité d’un médecin sont également considérés dans le calcul du nombre de patients donnant accès à la tarification bonifiée de la nouvelle nomenclature en cabinet.
Ces patients viennent donc s’ajouter aux patients d’autres secteurs de pratique déjà reconnus par le comité paritaire responsable d’évaluer la charge d’inscription pour l’accès à la tarification bonifiée. Selon la pratique d’un médecin, il peut s’avérer difficile d’atteindre le seuil des 500 patients requis pour accéder à la tarification majorée. Cette nouvelle entente considère la charge de travail associée à la lourdeur de la clientèle en CHSLD qui s’ajoute à la clientèle déjà inscrite. C’est le comité paritaire qui établira le seuil d’inscription requis. Dans l’intervalle, le médecin est invité à déposer une demande de dérogation en vue d’avoir accès à la tarification bonifiée.
Enfin, si le médecin est membre d’un GMF, le nombre de lits sera également pris en compte et converti en nombre de patients suivis par les médecins du GMF. Ces patients feront partie de l’évaluation de la clientèle du GMF au moment de la révision annuelle.
La rémunération associée à la lettre d’entente 327 se décline en deux volets : la rémunération des médecins du groupe et celle du médecin responsable. La garde en disponibilité, elle, est rémunérée selon les modalités déjà prévues dans l’entente générale.
Une banque de forfaits est établie selon le nombre de lits associé au permis de l’installation prise en charge par le groupe de médecins. C’est le médecin responsable qui voit à la distribution de ces forfaits, selon l’effort consenti par chacun des médecins. Le tarif du forfait est fixé à 34 $ par lit et est versé sur une base trimestrielle.
Le médecin responsable reçoit également une rémunération établie en fonction du nombre de lits payable chaque trimestre. Le montant du forfait est de 67,65 $. Le médecin responsable se prévaut d’au moins 60 % des forfaits qui s’appliquent comme suit :
h entre 1 et 99 lits : 5 forfaits ;
h entre 100 et 199 lits : 10 forfaits ;
h 200 lits et plus : 20 forfaits.
Ainsi, jusqu’à 40 % des forfaits peuvent être partagés entre les médecins qui assistent le médecin responsable dans l’accomplissement de son mandat.
Le médecin responsable du groupe voit notamment au recrutement des médecins qui formeront le groupe et coordonne la formation du groupe en recueillant les signatures. À la demande du chef du département clinique de médecine générale, il a également pour mandat d’établir les horaires des membres du groupe et de transmettre le tout aux instances de l’établissement, au comité paritaire MSSS-FMOQ et à la RAMQ. Enfin, il collabore, avec l’établissement, le CMDP et le chef du Département clinique de médecine générale, à l’analyse et à l’évaluation de la pertinence des transferts en centre hospitalier des patients hébergés dans le CHSLD en participant au comité, prévu à cette fin, et formé par l’établissement.
L’entente sur la prise en charge et le suivi des patients en CHSLD (lettre d’entente 327) vise tous les médecins omnipraticiens qui exercent déjà ou qui souhaitent exercer dans une installation qui a une mission CHSLD et qui est reconnue par le comité paritaire MSSS-FMOQ. Les médecins membres d’un groupe peuvent provenir de différents milieux.
Les avantages que retirent les médecins de cette entente varient selon trois grands scénarios.
1. Le médecin qui exerce essentiellement en CHSLD
Le médecin qui travaille essentiellement en CHSLD bénéficie des forfaits alloués en fonction du nombre de lits qui lui sont attribués, ainsi que des forfaits prévus pour le médecin responsable, le cas échéant.
2. Le médecin qui exerce à la fois en CHSLD et en cabinet
En plus des forfaits mentionnés précédemment, le médecin se voit reconnaître autant de patients qu’il a de lits à sa charge.
3. Le médecin qui exerce à la fois en CHSLD et en GMF
À ce qui précède s’ajoute la prise en compte du nombre de lits traduit en inscriptions pondérées à raison de 1 pour 6, puis appliquée aux fins du calcul du financement du GMF.
Pour le médecin qui exerce en CHSLD, la formation d’un groupe est ainsi souhaitable, mais elle n’est pas obligatoire. Si, pour une raison ou une autre, un médecin ne fait pas partie d’un groupe, il pourra quand même maintenir ses activités. Cependant, il n’aura pas droit aux forfaits prévus à la lettre d’entente 327.
Le médecin qui souhaite se prévaloir des modalités de la lettre d’entente 327 doit se regrouper avec des collègues pour assurer les services à l’ensemble de la clientèle d’une installation reconnue ayant une mission CHSLD, y compris la garde en disponibilité, pour une période minimale d’un an.
Dans le cadre des démarches à entreprendre, le groupe de médecins doit d’abord s’adresser au représentant désigné de l’établissement visé. Ce dernier fera ensuite parvenir une demande d’adhésion au comité paritaire MSSS-FMOQ, accompagné des formulaires dûment remplis par chacun des médecins du groupe. La date de début et de fin de la prise en charge ainsi que le nom du médecin responsable du groupe y sont précisés.
Au terme de l’engagement d’un an, si le groupe souhaite maintenir son offre de services l’année subséquente, le médecin responsable du groupe avise le comité paritaire et l’établissement au moins 60 jours avant l’échéance de l’entente.
En cas de non-respect de l’engagement du groupe par rapport au CHSLD, chacun des médecins du groupe s’expose à devoir rembourser la totalité des forfaits reçus au cours du trimestre en cause.
L’adhésion à la lettre d’entente sur la prise en charge et le suivi des patients en CHSLD est d’abord fondée sur la formation d’un groupe de médecins qui acceptent collectivement d’assurer la couverture des soins à l’ensemble de la clientèle hébergée dans un CHSLD. La responsabilité est ainsi partagée entre les membres du groupe même si, dans les faits, l’apport de tout un chacun est susceptible de varier.
La lettre d’entente 327 prévoit les conditions de rémunération et les résultats attendus de l’offre de service. Au-delà de la nécessité pour le groupe de médecins de nommer un médecin responsable, aucune autre balise propre au fonctionnement du groupe n’est précisée. Ce sont les règles du département qui continuent alors de s’appliquer.
Par ailleurs, pour favoriser le bon fonctionnement du groupe, il est suggéré que les médecins précisent, dans une entente dont ils conviennent entre eux, les règles de fonctionnement internes. Cette entente précisera les règles en matière de prise de décision, notamment en ce qui a trait à la nomination du médecin responsable, à la distribution des lits du CHSLD entre les médecins, à la gestion des vacances et des remplacements, ainsi qu’au partage de la couverture les soirs et les fins de semaine. L’entente devrait également exposer la manière dont les forfaits attribués au médecin responsable, ainsi qu’à ceux qui l’assistent, sont répartis. Ces éléments importants devraient être abordés d’entrée de jeu.
Une telle entente n’est certes pas obligatoire pour bénéficier des modalités de la lettre d’entente 327, mais elle est fortement encouragée. Lorsque les règles sont discutées, convenues, écrites et connues de tous, bien des malentendus peuvent être évités !
Les besoins en effectifs médicaux dans les CHSLD sont criants. La lettre d’entente 327 vise à corriger les effets de certaines mesures qui sont venues accroître, au cours des dernières années, les obstacles au recrutement de médecins pour cette pratique.
Les orientations du Ministère, au cours des dernières années, ont valorisé de manière importante les activités de prise en charge en première ligne. Entre autres, la course à l’inscription aura incité les médecins à couvrir leurs arrières en rehaussant leur nombre de patients inscrits, ce qui, par le fait même, a eu pour effet de consolider ou d’augmenter le niveau de financement du GMF.
En sus de l’ajout de forfaits associés à la prise en charge d’un nombre de lits qui vient reconnaître l’effort nécessaire pour effectuer le travail effectué en CHSLD, la lettre d’entente 327 vient compenser le manque à gagner en ce qui a trait aux inscriptions au nom du médecin et aux inscriptions auprès du GMF.
Avec cette ouverture, espérons que l’intérêt pour la pratique en CHSLD permettra au réseau de retrouver un certain équilibre. //