Nous avons déjà traité du volet commercial du transfert de clientèle, mais ce que veulent surtout les médecins qui quittent la pratique est que leurs patients soient pris en charge. Les médecins qui commencent à exercer en première ligne verront sans doute un intérêt à être assurés d’une clientèle. Traitons donc des mesures qui permettent d’obtenir un tel résultat.
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la FMOQ. |
Il y a trois mécanismes pour favoriser la prise en charge de la clientèle, bien qu’un seul vise spécifiquement le transfert d’un bloc de patients d’un médecin à un autre. Chaque approche a ses avantages et ses inconvénients. Avant de les aborder, passons d’abord en revue les préoccupations du médecin qui met fin à sa pratique.
Selon le contexte, le médecin peut organiser son départ à l’avance. Il pourra alors réduire graduellement ses activités ou espérer exercer de la même façon jusqu’à la fin. D’autres peuvent ne rien avoir préparé, mais être obligés de ralentir ou d’arrêter en raison d’un problème de santé ou d’une intervention du Collège des médecins.
Les patients qui apprendront que leur médecin part dans douze mois voudront savoir s’ils doivent se chercher un autre médecin tout de suite ou attendre. Plus les patients font des démarches tôt, plus leurs chances de se trouver un médecin remplaçant sont bonnes. La clientèle du médecin risque aussi de diminuer plus rapidement. Le médecin pourrait donc vivre une retraite progressive plus tôt. Même s’il espérait continuer à travailler jusqu’à la fin, les événements pourraient en décider autrement.
Il faut également être conscient des obligations qui s’imposent au médecin qui cesse d’exercer ou qui laisse une clientèle. Les plus lourdes sont en lien avec la garde des dossiers. Selon sa tenue de dossiers antérieure, le médecin pourra devoir épurer ses dossiers, faire des résumés ou mettre à jour la feuille sommaire pour chaque patient. Il ne faut pas sous-estimer le temps requis. S’y prendre d’avance est donc un avantage. Le fait de réduire progressivement ses activités cliniques peut constituer un moyen de dégager le temps requis. Sur ce sujet, revoyez les articles sur la préparation de la retraite (Question de bonne entente, Le Médecin du Québec, numéros de septembre et octobre 2013).
Des suppléments sont payables pour les patients orphelins pris en charge par un nouveau médecin. Il n’y a aucune garantie qu’un médecin inscrira effectivement de tels patients, mais le supplément est un incitatif à le faire. Le médecin qui prépare son départ peut avoir recours à ce moyen sans être obligé de mettre fin à l’inscription de ses patients. Il n’a qu’à informer la RAMQ de la date projetée de sa retraite à l’aide du formulaire 4205, au plus dans les deux années précédentes. La RAMQ rendra alors l’ensemble de sa clientèle admissible à cette mesure. Cette démarche n’entraîne toutefois pas l’inscription des patients au GAMF. En effet, ces derniers doivent mettre fin eux-mêmes à leur inscription auprès du médecin s’ils veulent s’inscrire au GAMF.
En attendant d’être pris en charge par un nouveau médecin, les patients demeurent inscrits auprès de leur médecin qui reçoit les forfaits associés à leur inscription. L’inscription des patients auprès d’un nouveau médecin mettra fin à l’inscription antérieure et donc au paiement des forfaits. À compter de ce moment, à part ses obligations liées à la gestion du dossier et au suivi des résultats des analyses de laboratoire ou des rapports de consultation qu’il reçoit, le médecin antérieur n’aura plus à offrir des soins de suivi à ces patients.
Bien qu’il s’agisse d’un moyen de favoriser la prise en charge de la clientèle, ce n’est pas un moyen efficace de transférer une clientèle à un nouveau médecin, à moins de conclure une entente avec un ou des médecins particuliers. En supposant que l’orientation des patients vers ces nouveaux médecins se fasse directement entre les médecins, les suppléments payables sont ceux du patient orphelin qui n’est pas attribué par le GAMF. Si le transfert en bloc est envisagé, il existe de meilleurs moyens.
Cette mesure est en vigueur depuis février 2017 (de façon complète depuis avril 2017). Nous avons déjà écrit sur le sujet dans la chronique sur la facturation (« En fin la facturation », juin et juillet 2017). Vous trouverez des informations sur cette mesure dans le site de la Fédération, y compris dans la Foire aux questions (http://bit.ly/2KPYWKL).
Il y a des avantages autant pour celui qui prend sa retraite que pour celui qui accepte la clientèle, mais il y a des contraintes. Il faut donc être conscient de quelques problèmes particuliers qui peuvent survenir (encadré 1).
Le médecin qui prend sa retraite peut placer l’ensemble de sa clientèle (du moins théoriquement) et décider de la date du ou des transferts. C’est rassurant pour la clientèle, et le médecin peut fixer une date de départ et avoir une bonne idée de son volume d’activité jusqu’à la veille de son départ.
La RAMQ informe chaque patient par la poste, avant la date du transfert, du nom et du lieu de pratique du nouveau médecin.
Pour le médecin qui prend sa retraite durant l’année (plutôt qu’au début de l’année), cette façon de faire maximise le versement des forfaits annuels d’inscription. En effet, la RAMQ verse normalement ce forfait au médecin auprès duquel le patient est inscrit à la fin de l’année. Lorsqu’il y a un changement de médecin en cours d’année, la RAMQ établit le montant dû à chaque médecin au prorata. Toutefois, si le patient n’est inscrit auprès d’aucun médecin à la fin de l’année, la RAMQ ne verse rien au médecin auprès duquel le patient était inscrit en début d’année.
|
Le fait de rendre la clientèle admissible aux modalités des orphelins peut favoriser la prise en charge de la clientèle, mais ne comporte aucune garantie. Il existe de meilleurs moyens de transférer une clientèle. |
Le transfert peut se faire par blocs successifs durant les deux ans qui précèdent la retraite, tant que le premier bloc d’un médecin (ou d’un groupe de médecins) acceptant le transfert est d’au moins 250 patients.
Le transfert en bloc peut donc faciliter le recrutement d’un nouveau médecin (pour prendre la clientèle ou pour prendre la pratique) et jouer dans la balance lorsque vient le temps de parler de la cession de dossiers. La RAMQ se charge d’informer par écrit les patients du transfert.
Le cadre est assez rigide. Au moins 250 patients doivent faire l’objet du transfert. De plus, au plus 1000 patients de toutes sources peuvent être transférés en bloc à un médecin par année civile. Le médecin qui compte une grande clientèle pourrait donc devoir transférer ses patients à plus d’un médecin. Le médecin qui accepte le transfert doit avoir un certain taux d’assiduité. Il faut aviser la RAMQ au moins un mois avant la date du transfert (plus est préférable). Il faut aussi utiliser le formulaire préétabli de la RAMQ (no 4381) (encadré 2).
Par ailleurs, en dehors du transfert à un groupe de médecins, rien n’empêche de cumuler, pour des patients différents, les lettres d’entente 304 et 321 dont nous allons parler subséquemment.
h La RAMQ informe la clientèle, avant la date du transfert, du nom du nouveau médecin et de son lieu de pratique.
h La clientèle transférée est comptabilisée à partir de la date du transfert aux fins de la tarification bonifiée pour le médecin qui a 500 patients inscrits. La RAMQ effectue un décompte hors cycle le jour du transfert.
h La clientèle transférée est comptabilisée aux fins de détermination du financement du GMF, le cas échéant. Si le renouvellement est en octobre, le transfert doit avoir lieu avant le 15 juillet précédent. S’il est en janvier, avant le 15 octobre précédent.
Le nouveau médecin pourra se prévaloir des suppléments pour patients orphelins, comme s’il s’agissait d’un patient attribué par le GAMF, pour chaque patient lors de la première visite (le montant du supplément pour un vulnérable orphelin varie en fonction de la limite annuelle).
Il recevra les forfaits annuels de vulnérabilité à compter du début du mois suivant la date du transfert pour les patients dont l’inscription auprès du médecin transférant était active.
Tant pour l’inscription générale que pour celle des patients vulnérables, la date de la dernière évaluation par le médecin antérieur devient, pour le nouveau médecin, la date qui détermine si l’inscription d’un patient transféré est active ou non, du moins tant que le nouveau médecin n’aura pas vu le patient en cause.
Si la première visite se fait sans rendez-vous, le médecin pourra quand même se prévaloir de la visite de prise en charge lors de la première visite avec rendez-vous ou en accès adapté.
h L’ensemble des médecins du groupe doivent exercer dans le même milieu (ou même GMF) que le médecin qui part.
h Le groupe doit prendre l’ensemble de la clientèle du médecin qui part.
h Chaque médecin du groupe doit atteindre le seuil du taux de fidélisation, à défaut de quoi l’ensemble du transfert sera rejeté par la RAMQ.
h Le médecin qui accepte le transfert doit offrir aux patients transférés les mêmes services qu’à sa clientèle (rendez-vous ou accès adapté et accès au service de consultation sans rendez-vous).
h Le nouveau médecin doit faire signer le formulaire de consentement (4096) lors de la première visite du patient, y compris si elle a lieu en consultation sans rendez-vous.
h Ces patients sont tenus en compte à partir de la date du transfert dans le calcul du taux d’assiduité du médecin.
h La première année, le médecin recevra le forfait annuel d’inscription au prorata du nombre de mois postérieurs à la date de transfert*.
h En GMF, le médecin n’a pas droit au forfait d’inscription ni au forfait annuel d’inscription en GMF si le médecin antérieur l’a déjà réclamé durant l’année*.
|
La RAMQ doit recevoir les documents de transfert en bloc au moins un mois avant la date prévue du transfert, question d’aviser les patients et de faire les démarches qui lui reviennent. Un délai plus long vous donne le temps de trouver une solution de rechange en cas de refus. |
h Il doit réclamer le forfait annuel d’inscription en GMF, car le versement n’est pas automatique*.
h Les patients transférés ne sont pas comptabilisés comme des inscriptions actives aux fins du supplément selon le volume de patients inscrits, à moins que le nouveau médecin n’ait effectué un examen entre la date du transfert et le 31 décembre de la même année*.
Pour différentes raisons, il se peut que vous ne trouviez pas de médecin pour prendre un bloc de vos patients. Vous devrez donc informer la RAMQ que vous mettez fin à vos activités de prise en charge et de suivi ou lui indiquer la date à laquelle vous prendrez votre retraite. La RAMQ mettra alors fin aux inscriptions de vos patients. Les patients qui n’ont pas réussi à se trouver un nouveau médecin devront s’inscrire au GAMF. Pour ces derniers, une autre mesure peut favoriser la prise en charge.
La lettre d’entente 321 ne vise pas à faciliter le transfert de patients. Nous allons nous en tenir à un traitement général. Elle vise plutôt à inciter le nouveau médecin qui s’en prévaut à prendre un lot de patients, dont le nombre est prédéterminé, durant sa première année de pratique. Dans la mesure où elle réduit le nombre de patients inscrits au guichet, elle peut donc atténuer les craintes du médecin qui prend sa retraite, sans toutefois lui garantir que ses patients seront pris en charge. Elle n’offre pas d’avantages directs au médecin qui quitte la pratique.
Durant la première année d’obtention de son permis de pratique, le nouveau médecin peut demander un lot de patients au coordonnateur du GAMF. Le nombre de patients, de même que la proportion de patients vulnérables, est prédéterminé, bien que le nombre puisse être modulé pour tenir compte d’autres activités du médecin (ex. : à l’hospitalisation ou en CHSLD). Au cours de cette première année, le nouveau médecin peut se prévaloir des modalités une seule fois et ne pourra pas se prévaloir des modalités de la lettre d’entente avant l’année suivante.
Les médecins « moins nouveaux » peuvent aussi se prévaloir de cette lettre d’entente. Les conditions d’application sont alors beaucoup plus souples. Il n’y a pas de nombre prédéterminé de patients à accepter, et il est possible de prendre des patients plusieurs fois durant une année.
Dans les deux cas, le coordonnateur transmettra une liste de patients au médecin et lui donnera 72 heures pour indiquer les patients qu’il ne peut pas accepter (membre de sa famille, voisin ou autre incompatibilité – on parle ici de situations très exceptionnelles). Il remplacera ces patients au besoin. Par la suite, la RAMQ informera les patients par la poste du nom et du lieu de pratique de leur nouveau médecin. Les patients auront alors trente jours pour remplir un formulaire de consentement de transfert et le transmettre à leur nouveau médecin, faute de quoi ils retourneront dans le GAMF. Le médecin doit aviser la RAMQ dans les sept jours qui suivent la réception du consentement de l’acceptation du patient. Enfin, 37 jours après l’attribution, le médecin doit informer le coordonnateur des patients qui n’ont pas accepté l’attribution, de façon à ce que ce dernier les réintègre au GAMF.
|
Le transfert en bloc exige que le médecin (ou tous les médecins, lorsqu’il s’agit d’un transfert de groupe) ait un taux d’assiduité qui dépasse le seuil, faute de quoi la RAMQ refusera votre projet de transfert. |
Pour le reste, le fonctionnement ressemble à celui de la lettre d’entente 304 à quelques exceptions près. Ces patients ne donnent pas droit au versement du forfait annuel d’inscription générale ni au forfait annuel de responsabilité pour un patient vulnérable tant que le nouveau médecin n’aura pas effectué une visite de prise en charge sur rendez-vous. De plus, ces patients sont retirés de la liste du médecin après un certain délai s’ils n’ont pas fait l’objet d’une visite de prise en charge sur rendez-vous. Pour les patients cotés A, B ou C dans le GAMF, ce délai est de douze mois après l’attribution. Pour les patients cotés D et E, il est de 36 mois.
Si vous envisagez de mettre fin à votre pratique, espérons que ces informations vous aideront à planifier votre départ. Si vous comptez entrer prochainement en pratique de prise en charge, vous devriez être mieux outillés pour évaluer les différentes façons de procéder.
À la prochaine ! //
* Il ne s’agit pas de désavantages, car le résultat serait le même sans la lettre d’entente 304.