Des records pour l’AMOG... mais aussi des inquiétudes
Jamais les taux d’inscription et d’assiduité n’ont été aussi élevés en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine qu’ils le sont actuellement. « Malgré ces records dont nos médecins peuvent être très fiers, plusieurs inquiétudes demeurent quant à la couverture médicale offerte à la population de l’est de la province », soutient le Dr Sylvain Drapeau, président de l’Association des médecins omnipraticiens de la Gaspésie (AMOG).
M.Q. — Avant de nous énumérer vos inquiétudes, pouvez-vous nous en dire plus sur ces taux records d’inscription de patients et d’assiduité ? |
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S.D. – Notre région vient de connaître une des meilleures progressions de la province en matière de couverture médicale. Il y a deux ans, nos taux d’inscription et d’assiduité faisaient piètre figure. Ils étaient bien en deçà de la barre des 70 %. Aujourd’hui, ces taux ont franchi le cap des 80 %. Pour être plus précis, nous avons dépassé la cible des 85 % pour les inscriptions de patients, et notre taux d’assiduité est maintenant de 82 %. Du jamais vu sur notre territoire. |
M.Q. — Comment avez-vous réussi ce tour de force ? |
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S.D. – Nous sommes une petite association de quelque 150 médecins dont le défi est de se partager un des plus vastes territoires de la province. Ce dernier est réparti sur plus de 20 450 km2. Nous avons donc appliqué une stratégie toute simple pour faire participer nos membres. Nous avons multiplié les porteurs d’eau. Les recommandations et les solutions suggérées ne sont pas venues de moi, le président. Elles ont été diffusées par un médecin sélectionné dans chacun de nos six GMF. Ils étaient en quelque sorte des ambassadeurs pour chacun des différents secteurs de la région. |
M.Q. — Comment s’est articulée votre stratégie ? |
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S.D. – D’abord, le conseil de l’Association a privilégié un objectif commun pour l’ensemble des GMF, et non pas des objectifs particuliers pour chacun d’eux. Nous étions convaincus qu’un effort collectif serait beaucoup plus efficace pour augmenter les taux d’inscription et d’assiduité que d’établir des cibles pour chaque GMF. Ainsi, chacun de nos médecins contribuait selon ses capacités et sa situation de vie professionnelle et personnelle. Le processus ne comportait aucune obligation de leur part. |
M.Q. — Quelles ont été les solutions suggérées aux GMF ? |
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S.D. – Il fallait trouver des moyens de modifier notre pratique, de changer nos façons de faire pour ajouter des plages horaires à nos agendas sans perturber les services offerts à la population. Par exemple, il aurait été impensable de demander à nos médecins de famille de réduire leur nombre d’heures en hospitalisation, ne serait-ce que de 10 %. En Gaspésie et aux Îles, les médecins de famille sont appelés à combler un manque d’effectif dans les hôpitaux. Par conséquent, de telles réductions, si minimes soient-elles, auraient entraîné des failles dans la couverture médicale de la population. L’augmentation de notre taux d’inscription provient essentiellement d’une solution toute simple : la révision des suivis réguliers des patients. Que ce soit pour les examens annuels, les suivis de patients diabétiques et souffrant d’autres maladies chroniques, nous avons revu la fréquence des rendez-vous. Nous avons ainsi réduit le nombre de visites pour les patients qui affichaient de meilleurs bilans ou qui affichaient, dans le cas du diabète, une bonne maîtrise de leur glycémie. Remarquez, pour améliorer notre taux d’assiduité, nous avons travaillé conjointement avec la FMOQ. Nous avons bénéficié de la tenue d’ateliers sur le fonctionnement de l’accès adapté. Cette méthode d’amélioration de la planification d’horaire nous a permis d’atteindre un taux d’assiduité historique. |
M.Q. — Et maintenant, pourquoi demeurez-vous inquiet ? |
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S.D. – La situation en Gaspésie est beaucoup mieux. Non seulement nous affichons de meilleurs taux, nous avons même réussi à diminuer considérablement nos besoins en médecins dépanneurs. Toutefois, l’équilibre demeure encore fragile. Pour plusieurs raisons. D’abord, la première, il suffit d’un départ à la retraite, d’un congé de maternité ou d’un incident qui force un médecin à un arrêt de travail pour perturber la couverture médicale. Par conséquent, le soutien des médecins dépanneurs est encore nécessaire dans chacun de nos réseaux locaux de services (RLS). |
M.Q. — Quelles sont vos autres inquiétudes ? |
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S.D. – Au cours des dix dernières années, la FMOQ a multiplié les efforts afin de redorer la profession de la médecine familiale dans les facultés de médecine, ce qu’elle a d’ailleurs réussi avec brio. Malheureusement, depuis 2015, l’ère du ministre Barrette a nui à l’image de notre profession. À un point tel que les résidents hésitent de nouveau à opter pour la médecine familiale. On compte déjà par dizaines des places qui n’ont toujours pas de candidat. Dans l’immédiat, la Gaspésie n’est pas encore touchée. Mais ce manque d’intérêt pour la profession se fera inévitablement ressentir d’ici trois ans. Chaque année, la région doit composer avec le départ de dix à quinze médecins qu’il faut remplacer. Il faudra donc redoubler d’ardeur pour recruter des résidents en médecine familiale. Et parce que la Gaspésie ne sera pas la seule région à être touchée par cette éventuelle pénurie, il faudra déployer de nouvelles tactiques pour mieux vendre la qualité de vie et les autres avantages qu’offre notre région comme lieu de travail. |
M.Q. — Un défi d’attraction qui ne se limite pas qu’aux seuls médecins de famille, n’est-ce pas ? |
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S.D. – En effet, la Gaspésie fait toujours face à un manque d’accès dans certaines spécialités, notamment en médecine interne, en pneumologie, en psychiatrie, en physiatrie et en clinique de la douleur, un facteur qui contribue à augmenter nos inquiétudes à l’AMOG. Certes, nos médecins de famille peuvent consulter ces experts à l’aide du téléphone et de courriels, mais l’accès à ces spécialistes demeure néanmoins limité. Par conséquent, nos patients vont généralement attendre plus d’un an, voire deux ans avant de pouvoir consulter certains médecins spécialistes. Malheureusement, ce manque d’accès incite même certains patients à quitter la région. L’accès déficient aux équipes de soutien ne laisse présager rien de bon non plus. Il y a actuellement une volonté des RLS à déléguer davantage de services aux GMF. Or, l’offre de services ne suit pas cette volonté. Les GMF gaspésiens ne disposent pas de suffisamment de moyens pour offrir un service de maintien à domicile ou encore de pédiatrie sociale, notamment pour des suivis d’enfants atteints d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Les accès en orthophonie, en psychoéducation et en pédopsychiatrie sont également très difficiles dans notre région, qui se trouve parmi les MRC les plus défavorisées. |
M.Q. — Comment ferez-vous pour trouver des solutions ? |
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S.D. – L’AMOG souhaite mettre sur pied une table des GMF, un concept déjà existant à la FMOQ. Nous nous rencontrons déjà de façon officieuse, mais en créant cette table, nous officialiserions la formule. Nous voulons ainsi augmenter le nombre de rencontres entre les responsables de GMF afin d’échanger davantage de trucs et de conseils sur nos méthodes et de faire connaître les différentes solutions que nous appliquons au quotidien. Nous souhaitons organiser la première rencontre dès cet automne. Nous n’avons pas encore fixé de types de formule ni de calendrier précis. Idéalement, ce serait bien d’avoir une rencontre physique ou virtuelle au moins une fois par saison. Par la suite, nous pourrons nous ajuster selon les situations, les défis ou les urgences qui se présenteront. // |