Droit au but

Le nouveau cadre d’exercice de l’infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne

Julie Lalancette et Christiane Larouche  |  2018-07-31

Le nouveau règlement sur les infirmières praticiennes spécialisées, en vigueur depuis mars 2018, a redéfini le cadre d’exercice de l’infirmière praticienne spécialisée au Québec. De nouvelles classes de spécialité ont été reconnues, et l’étendue des activités médicales autorisées a été modifiée, selon les spécialités.

Connaissez-vous les changements apportés au cadre d’exercice de l’infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne (IPSPL) ? Si vous exercez en partenariat avec une IPSPL, il est essentiel de vous familiariser avec ces modifications, car les modalités de votre partenariat avec votre IPSPL devraient être revues en conséquence.

La clientèle et les lieux de pratique

La clientèle de l’IPSPL vise désormais toute personne qui a besoin de soins de première ligne et tout endroit où il est possible d’offrir ces soins1.

Les soins de première ligne présentent les caractéristiques suivantes selon le nouveau règlement1 :

h ils s’adressent aux personnes (particulièrement celles vivant à domicile) ayant des besoins ou des problèmes communs de santé ;

h ils comprennent un ensemble de services courants qui s’appuient sur une infrastructure simple en matière de moyens diagnostiques et thérapeutiques.

Outre les CLSC et les cabinets, l’IPSPL peut donc exercer dans les milieux suivants1:

h les centres d’hébergement de soins de longue durée publics et privés exploités par un établissement ;

h les centres de protection de l’enfance et de la jeunesse ;

h les centres de détention ; et

h tout autre endroit assimilé au domicile d’une personne2.

En toute circonstance, l’IPSPL doit suivre la clientèle en partenariat avec un médecin de famille pratiquant dans le même domaine de soins. Les nouvelles lignes directrices soulignent que l’IPSPL peut prendre en charge des patients sans médecin de famille si les modalités de prise en charge et de suivi sont prévues dans l’entente de partenariat2.

Les activités médicales de l’IPSPL

Rappelons que l’offre de services de l’IPSPL combine une pratique infirmière avancée et certaines activités médicales.

En plus des activités infirmières, le nouveau règlement du Collège autorise l’IPSPL à exercer les cinq activités médicales déjà prévues dans le règlement précédent, soit1 :

h prescrire des examens diagnostiques ;

h utiliser des techniques diagnostiques effractives ou présentant des risques de préjudice ;

h prescrire des médicaments et d’autres substances ;

h prescrire des traitements médicaux ;

h utiliser des techniques ou appliquer des traitements médicaux effractifs ou présentant des risques de préjudice.

Suivant les lignes directrices, le rôle de l’IPSPL est de procéder à l’évaluation avancée de l’état de santé d’une personne, d’établir des hypothèses et des impressions cliniques et de déterminer les interventions thérapeutiques appropriées dans sa classe de spécialité2.

En conséquence, le diagnostic des maladies et la surveillance clinique des personnes dont l’état de santé présente des risques demeurent réservés au médecin3.

États de santé visés

Le nouveau règlement élargit le champ d’exercice de l’IPSPL en l’autorisant à exercer auprès des personnes présentant de nouveaux états de santé. Dorénavant, l’IPSPL peut exercer les activités médicales autorisées par le règlement auprès des personnes qui présentent l’un ou l’autre des états suivants1 :

h problème de santé courant ;

h maladie chronique ;

h grossesse normale ou à faible risque ;

h besoin de soins palliatifs et d’hébergement dans un CHSLD exploité par un établissement du réseau ;

h symptômes de l’un des six problèmes de santé chroniques indiqués au règlement.

Dans l’ensemble des cas qui précèdent, les personnes ne doivent toutefois pas présenter des états critiques ni de complications, conformément aux lignes directrices2.

Problèmes de santé courants

Suivant le nouveau règlement, l’IPSPL peut « identifier et traiter » un problème de santé courant si les caractéristiques suivantes sont présentes1.

h une incidence relativement élevée dans la collectivité ;

h des symptômes et des signes cliniques touchant habituellement un seul système ;

h une absence de détérioration de l’état général de la personne ;

h une évolution habituellement rapide et favorable.

Même si l’IPSPL peut détecter des symptômes ou des signes de troubles mentaux, les nouvelles lignes directrices rappellent qu’elle n’est pas autorisée à les évaluer en vue de porter un jugement clinique sur l’existence ou non d’un trouble mental2.

Suivi des maladies chroniques

Le nouveau règlement permet à l’IPSPL de suivre une maladie chronique lorsque les caractéristiques suivantes sont présentes :

h la maladie a été diagnostiquée par un médecin ;

h elle a donné lieu à un plan de traitement médical qui donne les résultats attendus1.

Les nouvelles lignes directrices précisent qu’il n’est pas nécessaire que le diagnostic émane du médecin partenaire pour que l’IPSPL soit autorisée à prendre en charge le suivi d’une personne atteinte d’une maladie chronique2. Ici encore, les modalités de prise en charge et de suivi des nouveaux patients devraient cependant être inscrites dans l’entente de partenariat2.

Suivi des grossesses

Le nouveau règlement autorise l’IPSPL à suivre une grossesse normale ou à faible risque, même au-delà de la 32e semaine de grossesse1. Il exige toutefois que les modalités de suivi soient préalablement convenues avec le médecin partenaire et détaillées dans l’entente de partenariat1. Les partenaires doivent donc discuter de l’étendue de la participation du médecin partenaire au suivi. Selon le Collège des médecins, le médecin partenaire devrait minimalement rencontrer et évaluer la femme enceinte à sa deuxième visite et à la visite prévue à la 32e semaine de grossesse2.

Soins palliatifs

Suivant les lignes directrices, les conditions suivantes doivent être réunies pour qu’une IPSPL puisse exercer les activités médicales autorisées auprès de personnes qui ont besoin de soins palliatifs2 :

h la personne doit être hébergée dans un centre de soins de longue durée exploitée par un établissement du réseau ;

h le diagnostic de l’état terminal doit avoir été confirmé par le médecin ;

h le médecin a estimé que le pronostic de la personne était réservé ;

h un plan de traitement médical précisant les objectifs souhaités a été établi par le médecin partenaire.

Amorce de traitement pour un problème de santé chronique

L’un des changements les plus importants du nouveau règlement est qu’il autorise l’IPSPL à amorcer le traitement pour six problèmes de santé chronique, soit :

h le diabète ;

h l’hypertension ;

h l’hypercholestérolémie ;

h l’asthme ;

h les bronchopneumopathies chroniques obstructives ;

h l’hypothyroïdie1.

Dès qu’elle amorce un traitement, l’IPSPL doit en informer le médecin partenaire, selon des modalités à convenir dans l’entente de partenariat. Le médecin doit alors rapidement prévoir une rencontre avec le patient concerné pour l’évaluer en vue d’établir le diagnostic. En effet, suivant les nouvelles lignes directrices, le médecin devrait être en mesure d’avoir posé le diagnostic au plus tard un mois après le début du traitement par l’IPSPL2. Il devra donc agir rapidement.

Avant d’amorcer un traitement, l’IPSPL devra pouvoir répondre par l’affirmative à l’ensemble des cinq questions qui suivent2 :

h la personne présentait-elle l’un des problèmes de santé chronique mentionnés par le règlement ?

h l’IPSPL possède-t-elle les compétences nécessaires pour amorcer le traitement et assurer le suivi de ce problème de santé chronique ?

h le type de problème concorde-t-il avec le domaine d’activités du médecin partenaire ?

h la personne est-elle dans un état critique ou compliqué qui exige l’intervention du médecin partenaire ?

h la personne présente-t-elle un faible risque que son état se détériore et un faible risque de mortalité à court ou à moyen terme ?

Une fois le diagnostic posé, le médecin doit établir le plan de traitement médical en collaboration avec l’IPSPL afin de lui permettre d’assurer le suivi2.

Abolition des listes

Le nouveau règlement ne limite plus l’exercice des activités médicales de l’IPSPL par des listes de médicaments, d’examens diagnostiques ou de traitements. Suivant les lignes directrices, l’IPSPL doit cependant respecter certaines balises avant d’exercer une activité médicale autorisée2. L’activité médicale doit :

h concorder avec sa classe de spécialité en soins de première ligne ;

h concorder avec le domaine d’activité du médecin partenaire ;

h être requise par l’état de santé de la personne ;

h être conforme aux résultats probants.

Les lignes directrices précisent que l’activité médicale qui nécessite un diagnostic ne peut être effectuée par l’IPSPL2.

Conditions d’exercice

Entente de partenariat

L’entente de partenariat est désormais obligatoire pour toutes les IPS, quel que soit leur spécialité ou leur lieu d’exercice. Dans ce contexte, un partenariat peut être établi avec plus d’un médecin pour couvrir l’ensemble de ses activités. Il est à noter que l’entente de partenariat n’est plus requise pour la candidate.

Malgré de nombreuses objections à cet égard, notamment par la FMOQ, le nouveau règlement permet l’existence de deux situations1 :

h le partenariat de l’IPSPL avec un ou des départements ainsi qu’avec un ou des services cliniques d’un centre hospitalier ;

h le partenariat entre le médecin partenaire et l’IPSPL qui exercent dans des lieux physiques distincts, à la condition d’avoir mis en place des mécanismes assurant la continuité des soins et permettant une pratique de proximité.

Suivant les lignes directrices, l’IPSPL et le médecin partenaire partagent le plus souvent le même lieu d’exercice. Néanmoins, en présence de circonstances particulières, le partenariat pourrait s’établir à distance si certaines conditions prévues dans les lignes directrices pour assurer la continuité des soins sont respectées.

Le nouveau règlement précise le contenu obligatoire de l’entente de partenariat, soit les éléments suivants1 :

h les membres de l’équipe ;

h le type de clientèle (dans tous les cas, le médecin partenaire deviendra médecin traitant) ;

h les services ou soins offerts par l’IPSPL ;

h la procédure à suivre pour les demandes d’intervention du médecin partenaire ;

h la procédure à suivre pour les demandes de consultations médicales ;

h les moyens de communication entre l’IPSPL et le médecin partenaire ;

h les mécanismes de surveillance générale du médecin partenaire ;

h les modalités applicables à la révision ou à la modification de l’entente ;

h la durée de l’entente et la procédure de résiliation et de renouvellement ;

h les règles relatives à la conservation et au transfert des dossiers lorsque l’entente de partenariat prend fin.

Nous avons été informés que certaines IPSPL, certaines di­rec­trices des soins infirmiers ou d’autres représentants d’établissements ont transmis pour signature de nouvelles ententes de partenariat à des médecins partenaires, sans qu’ils aient participé au processus de rédaction. Dans certains cas, on leur aurait même indiqué que l’entente de partenariat devait être signée telle quelle à la suite du nouveau règlement. C’est non seulement faux1, mais c’est inacceptable. L’entente de partenariat doit toujours émaner des partenaires eux-mêmes et reposer sur leur libre volonté de convenir des modalités de leur collaboration. Tout en favorisant la pleine utilisation de l’IPSPL, l’entente de partenariat doit assurer une intégration cohérente de l’IPSPL au sein d’une équipe où chacun a également un rôle et des responsabilités.

Demandes d’intervention obligatoires

Le nouveau règlement limite considérablement l’étendue des demandes d’intervention obligatoires de l’IPSPL au médecin partenaire1. L’IPSPL est désormais tenue de le faire dans les cas suivants :

h les soins requis par le patient dépassent ses compétences, son domaine de soins ou s’adressent à une clientèle d’une autre spécialité ;

h les signes, les symptômes ou les résultats des examens diagnostiques indiquent que l’état de santé du patient s’est détérioré, et elle n’est plus en mesure d’en assurer le suivi ;

h les résultats escomptés du traitement ne se sont pas réalisés ou la cible thérapeutique n’est pas atteinte, selon le cas, et le patient ne répond pas au traitement habituel.

Dans sa demande d’intervention adressée au médecin partenaire, elle énonce le motif de la demande et en précise le degré d’urgence ainsi que le type d’intervention souhaitée. À la suite de l’intervention du médecin partenaire, elle exerce ses activités dans les limites du plan de traitement médical déterminé par ce médecin.

Surveillance de la pratique

Le nouveau règlement impose désormais à chaque médecin partenaire l’obligation d’assurer la surveillance générale de la qualité et de la pertinence des activités médicales de l’IPS quel que soit le lieu d’exercice (public ou privé)1. Cette surveillance comporte notamment les éléments suivants :

h des rencontres pour discuter des mécanismes de collaboration ;

h des discussions de cas choisis par le médecin partenaire ou par l’IPS ;

h la sélection et la révision des dossiers de l’IPS par le médecin partenaire ;

h L’évaluation de la prescription de médicaments, d’analyses et d’examens diagnostiques.

Des rencontres devraient avoir lieu sur une base régulière et périodique selon les lignes directrices2. Les rencontres en présence physique et celles qui s’in­tègrent fluidement à la routine de travail sont égale­ment à privilégier2.

Outils

L’OIIQ propose un modèle d’entente de partenariat sur son site Internet. Nous avons reproduit ce modèle pour qu’il puisse être utilisé par nos membres (http://bit.ly/GabaritOIIQ). Nous sommes également en train de mettre au point une version intégrant les commentaires de l’OIIQ et ceux de la FMOQ.

Pour plus d’information sur les récentes modifications au cadre de pratique de l’IPSPL, nous avons conçu trois tableaux résumant les trois grands thèmes des lignes directrices : 1) l’offre de services de l’IPSPL ; 2) le partenariat et la collaboration avec l’IPSPL et 3) l’encadrement de la pratique de l’IPSPL4. //

Bibliographie

1. Québec. Règlement sur les infirmières praticiennes spécialisées. Québec : La Gazette Officielle du Québec 2018 ; 150 (8) : 900-6.

2. Ordre des infirmières et infirmiers du Québec et Collège des médecins du Québec. Lignes directrices, Pratique de l’infirmière praticienne spécialisée en soins de première ligne. Montréal : l’Ordre et le Collège ; 2018. 65 p.

3. Québec. Loi médicale. RLRQ, chap. M-9, art. 31, à jour au 1er avril 2018. Québec : Éditeur officiel du Québec ; 2018.

4. FMOQ. Modifications au cadre de pratique de l’IPSPL. Montréal : la Fé­dé­ration ; 2018.