Jeunes... et désireux de trouver des solutions !
Lieu de travail parfois imposé en première ligne, prise en charge de patients, facturation complexe, frais de clinique élevés... les défis sont nombreux pour le médecin de famille qui entame sa carrière. Des problèmes pour lesquels de jeunes médecins trouvent des solutions.
Cela durait depuis des années. Plusieurs jeunes médecins se plaignaient. Ils estimaient qu’on limitait leur liberté de s’installer dans la clinique de leur choix. Le cœur du problème ? Certains départements régionaux de médecine générale (DRMG) donnaient l’impression d’outrepasser l’entente particulière sur les plans régionaux d’effectifs médicaux (PREM) parce qu’ils ciblaient des cliniques pour le recrutement de nouveaux médecins dans leur territoire.
Un grand mécontentement sourdait. De nouveaux facturants avaient même entrepris des démarches pour mettre fin à cette pratique. Devant la situation, la FMOQ et le ministère de la Santé et des Services sociaux ont décidé de s’attaquer au problème. Ils négocient actuellement pour en venir à un nouveau processus d’octroi des avis de conformité en 2020. Entre-temps, pour les postes des PREM de 2019, des améliorations sont en cours pour permettre équité et transparence.
Les jeunes médecins sont satisfaits que l’on se soit occupé du problème qu’ils soulevaient. « Depuis au moins cinq ans, nous discutons et tentons de trouver une solution pour régler cette situation qui représente un non-sens à nos yeux. Les jeunes médecins doivent avoir la liberté de choisir une clinique qui leur ressemble et qui a les mêmes valeurs qu’eux », explique le Dr Philippe Smith, président du Comité des jeunes médecins (CJM) de la FMOQ.
Pour le Dr Smith, le changement prévu constituera une im-portante avancée pour les jeunes médecins de famille. Les modifications pourraient d’ailleurs avoir des répercussions sur plusieurs plans. « Les conditions de travail ne sont pas toujours évidentes dans certains milieux et les nouvelles règles concernant les PREM pourraient permettre de créer une saine concurrence entre les cliniques. Ces dernières devront utiliser leurs outils de séduction et d’attraction pour recruter et retenir les médecins de famille. C’est comme cela que ça se passe dans tous les autres secteurs du privé. Il est temps que ce le soit aussi pour nous », estime l’omnipraticien, qui pratique à la clinique médicale Le Trait-d’Union, à Delson, en Montérégie.
« Ce serait profitable et très avantageux de bonifier la formation médicale par des cours en droit du travail, en gestion et en facturation pour que les jeunes médecins soient mieux préparés aux réalités d’aujourd’hui. » – Dr Philippe Smith |
Les nouvelles règles pourraient éventuellement inciter certaines cliniques à revoir les frais qu’elles imposent aux jeunes omnipraticiens, dit le Dr Smith. « Les nouveaux facturants pourront ainsi “magasiner” leur clinique et négocier les frais de cabinet qui, à certains endroits, peuvent atteindre jusqu’à 30 % du revenu annuel du médecin. » Les cliniques réfractaires aux changements, notamment celles qui tardent à adopter un modèle d’organisation qui a fait ses preuves, comme l’accès adapté, devront aussi modifier leurs façons de faire, soutient l’omnipraticien.
C’est justement pour évoluer dans un environnement dynamique, comme ils le souhaitaient, que la Dre Sarah Bédard et ses trois collègues, les Drs Catherine Cournoyer, Laurence Brossard-Charbonneau et Jocelyn Normandin, ont créé en 2014 leur propre lieu de travail, à Saint-Bruno-de-Montarville. Plutôt que de se buter à des méthodes traditionnelles qui ne leur plaisaient pas, ils ont ouvert une toute nouvelle clinique médicale : Le Sentier. Résultat : cette adresse montérégienne dégage une ambiance d’efficacité et de simplicité avec un grand S.
Ne cherchez pas dans ce centre, qui fait partie du groupe de médecine de famille Marguerite D’Youville, une hiérarchie entre les médecins et le reste du personnel. « Que ce soit les infirmières auxiliaires, les adjointes administratives, la travailleuse sociale, personne au sein de la clinique ne m’appelle Dre Bédard. Je suis Sarah pour tous les membres de l’équipe, sans exception », indique d’emblée la Dre Sarah Bédard.
Les quatre jeunes médecins entrepreneurs ont aménagé une clinique à leur goût. Une clinique moderne qui répond à leur vision de la pratique de la médecine générale d’aujourd’hui. Et cette modernité ne se traduit pas seulement dans le décor. « Nous avons instauré dès le départ la formule de l’accès adapté. Nous voulions également que la clinique soit complètement informatisée, qu’elle dispose d’un système de dossiers médicaux électroniques. Nous désirions aussi travailler avec une équipe interdisciplinaire partageant nos valeurs et notre culture d’entreprise en clinique. En résumé, nous nous sommes offert une belle pratique. »
Les fondateurs de la clinique médicale Le Sentier ont connu de multiples expériences lors des deux années de leur résidence respective. Ils ont vu des choses qu’ils ont aimées... et d’autres qu’ils voulaient éviter. « Autant dans les facultés de médecine les professeurs nous vantent les avantages de travailler en interdisciplinarité, autant dans certaines cliniques ce principe est loin d’être appliqué », affirme l’omnipraticienne.
Facturation complexe auprès de la Régie de l’assurance maladie du Québec, choix des assurances responsabilité, frais de cabinets exigés par les gestionnaires de clinique, discussions avec le comptable... les aspects administratifs de la médecine se sont grandement complexifiés au fil des années. |
La Dre Bédard a elle-même constaté dans certains milieux le manque de volonté du personnel en place, y compris des médecins, à vouloir changer. « D’où le soin et l’attention particulière que nous avons pris à sélectionner chaque membre de notre équipe de soutien. Si je n’avais pas de bonnes secrétaires heureuses de venir travailler à la réception de la clinique, ma pratique serait un enfer ! »
À propos du personnel administratif, le Comité des jeunes médecins étudie la possibilité d’offrir de la formation aux secrétaires et à d’autres membres du personnel des cliniques. Une formation qui permettrait à ces précieux collaborateurs de mieux se familiariser avec les nouvelles réalités et les nouveaux règlements de la pratique médicale.
Si la question du choix du lieu de travail en première ligne est en train d’être réglée pour les jeunes omnipraticiens, ces derniers sont loin d’être sortis de l’auberge en ce qui concerne les dédales administratifs dans lesquels baigne leur profession.
Facturation complexe auprès de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), choix des assurances responsabilité, frais de cabinets exigés par les gestionnaires de clinique, discussions avec le comptable... les aspects administratifs de la médecine se sont grandement complexifiés au fil des années. « Je n’ai pas étudié pour être gestionnaire. Je veux être médecin », lance, tel un cri du cœur, la Dre Alexandra Chabot. Depuis un an, elle exerce, entre autres, au GMF Centre d’urgence Saint-Laurent et au CHSLD Notre-Dame-de-la-Merci, tous deux à Montréal.
Pour illustrer la lourdeur administrative du métier, elle mentionne notamment le temps qu’il lui a fallu attendre avant de recevoir son tout premier chèque à titre de médecin de famille. « J’ai officiellement commencé à pratiquer en août 2017. Ce n’est qu’en décembre, soit quatre mois plus tard, que j’ai pu déposer mon premier chèque. Je savais que cela allait prendre du temps. J’avais d’ailleurs déjà commencé à remplir les formulaires nécessaires auprès de la RAMQ dès la fin de ma résidence en juin », raconte la jeune médecin de 27 ans. Si ce n’était que d’elle, il existerait déjà une formule clé en main qui chapeauterait toute cette logistique administrative.
« La lourdeur du volet administratif a, effectivement, de quoi nous causer de sérieux maux de tête, confirme le Dr Philippe Melanson, qui travaille à la Clinique du village, à Saint-Donat. Il y a tout le temps une règle qui change, une nouvelle infolettre, des nouveaux protocoles, une nouvelle directive ministérielle. Demeurer à jour est un défi continuel, sans compter la grande difficulté d’apprendre rapidement tous les rouages de notre métier. Les plus chanceux parmi nous, ce qui a été mon cas, auront eu un mentor ou un professeur assez gentil et patient pour leur expliquer à quoi s’attendre. Les autres devront malheureusement l’apprendre sur le tas. »
À ce propos, il suggère que les cliniques nomment au sein de leur équipe une personne qui servirait de courroie de transmission. « Cette personne pourrait, dit-il, avoir comme mandat d’assimiler toutes les informations administratives afin de bien les expliquer aux autres membres de l’équipe. C’est une piste que l’on pourrait exploiter. »
Le Dr Melanson, qui compte deux années de pratique, a pour sa part opté avec son frère jumeau Bertrand, également médecin, et une collègue, la Dre Marie Laflamme pour la création d’une clinique à eux. Ils ont loué un centre médical à Saint-Donat – la Clinique du Village –, fondé en 2010 par le Dr Luc Majeau et sa conjointe, où travaillaient déjà plusieurs professionnels de la santé. Les trois jeunes ont en parallèle constitué une société dans laquelle ils étaient tous associés et ont racheté les meubles de la clinique. Cela allait être leur propre centre. Ils le géreraient à leur manière. « Nous avons adapté notre environnement de travail pour qu’il corresponde à nos attentes, à nos besoins, et surtout qu’il satisfasse ceux de nos patients », explique le jeune omnipraticien.
Le Dr Melanson et son équipe ont pu bénéficier de l’aide de gens d’affaires et de mentors pour lancer leur projet. Sans ce coup de main assorti de conseils financiers, leur clinique n’aurait sans doute pas vu le jour. Le clinicien de 28 ans se demande par ailleurs si les jeunes médecins ne composeraient pas plus facilement avec les réalités administratives de la profession s’ils considéraient la possibilité de devenir associés. « Je suis convaincu que plusieurs de mes collègues se sentiraient beaucoup plus interpellés par la gestion et le volet administratif s’ils participaient personnellement au processus de leur clinique. À mes yeux, il est beaucoup plus stimulant de participer à l’évolution d’une clinique à titre d’associé qu’à titre de simple locateur. Tout le monde se sent ainsi engagé et donne son maximum. »
« Je suis convaincu que plusieurs de mes collègues se sentiraient beaucoup plus interpellés par la gestion et le volet administratif s’ils participaient personnellement au processus de leur clinique. » – Dr Philippe Melanson |
Tout ce qui concerne le volet administratif ne devrait-il pas être intégré au sein même de la formation médicale, ou à tout le moins être offert sous forme de certificat, se demande le Dr Philippe Smith. « Ce serait profitable et très avantageux de bonifier la formation médicale par des cours en droit du travail, en gestion et en facturation pour que les jeunes médecins soient mieux préparés aux réalités d’aujourd’hui. » En attendant, le Comité des jeunes médecins travaille actuellement à la production d’un nouveau guide qui survolera la plupart des questions que se posent les omnipraticiens en début de carrière. Ce document pourrait être accessible à tous les nouveaux médecins dans un an sur le site de la FMOQ. //
Depuis la loi 20 et les menaces qui en découlent, le mot d’ordre pour tous les omnipraticiens est : prise en charge de patients. Pour ceux qui commencent leur carrière, toutefois, la pression est d’autant plus forte que des mesures comme les lettres d’entente 304 et 321 leur proposent des objectifs précis. « Plusieurs jeunes médecins éprouvent des craintes quant aux nouvelles cibles de 500 patients qui leur sont demandées. Comment concilier l’atteinte de ce nombre avec le travail en clinique, en milieu hospitalier, en CHSLD, en soins à domicile ? », se demande le Dr Philippe Smith, président du Comité des jeunes médecins.
De l’avis de la Dre Andréanne Dion, la solution passe par le travail d’équipe. Bien qu’elle compte seulement six années de pratique, ponctuées de trois congés de maternité, la Dre Dion atteindra d’ici la fin de l’année le cap des 1000 patients. « Une cible qui n’aurait jamais été possible sans l’aide de l’infirmière auxiliaire qui travaille avec moi au Centre médical des générations, à Saint-Eustache. Grâce à son étroite collaboration, je peux voir trois ou quatre patients de plus dans une demi-journée », indique l’omnipraticienne de 32 ans.
La Dre Dion tient d’ailleurs à souligner l’ouverture d’esprit de la douzaine de médecins qui l’entourent à la clinique. Un groupe composé à la fois de jeune et de vétérans. « Je n’ose imaginer ce que serait ma pratique si l’équipe n’avait pas adhéré aux nouvelles approches, telles que l’accès adapté, qui facilitent aujourd’hui la prise en charge de patients. »
Pour la Dre Judith Parenteau, qui pratique à la clinique médicale Fleur de Lys ainsi qu’à l’Hôpital de Rouyn-Noranda depuis huit ans, ce n’est pas tant les cibles demandées que les patients eux-mêmes qui la tracassent.
La population âgée augmente, tout comme le nombre de patients atteints de maladie chronique. « Il faut de plus en plus composer avec une clientèle exigeante qui négocie son plan de traitement. La notion de chronicité est un concept plus difficile pour certains qui ne réalisent pas combien leurs habitudes de vie nuisent à leur réadaptation. Dans mon bureau, ils sont nombreux à réclamer toujours de meilleurs traitements. C’est essoufflant ce genre d’échanges », raconte la Dre Parenteau.
Heureusement, dit-elle, il y a l’entraide. « J’ai la chance d’avoir une mentore à la clinique qui, par quelques mots encourageants, me soutient dans ma pratique et normalise mes inquiétudes. Souvent, elle réussit à me remonter le moral par un simple sourire. J’ai, moi aussi, cette attitude avec une jeune collègue qui vient de commencer à la clinique. C’est une chance que d’avoir cette proximité avec des pairs que l’on estime. »
« Certes, il y a un grand travail à faire en matière de promotion et d’éducation auprès des patients », reconnaît la Dre Geneviève Landes, qui pratique depuis un an au GMF Les Eskers et à l’Hôtel- Dieu, d’Amos.
Ce qui préoccupe la jeune omnipraticienne : le réflexe des patients d’aller non pas dans une clinique pour consulter un médecin, mais aux urgences. Celles du centre hospitalier d’Amos affichent un des temps d’attente les plus courts de l’Abitibi. « Les patients attendent en moyenne entre 30 et 90 minutes », précise la Dre Landes.
En raison de cette accessibilité, plusieurs patients ne sont même pas inscrits auprès d’un médecin de famille. « Pourtant, le guichet d’accès de la clientèle orpheline (GACO) est presque vide ». Cette habitude d’aller aux urgences a par ailleurs pour effet de réduire les taux d’assiduité des médecins de famille de la région.
D’où l’intérêt, selon la Dre Landes, de faire de la promotion et de l’éducation pour diriger davantage les patients vers les cliniques. « Nous aurons, d’ici un an, de beaux locaux tout neufs au GMF Les Eskers. L’expérience-patient sera beaucoup plus agréable dans un tel environnement que dans une salle d’attente d’hôpital. La prise en charge multidisciplinaire et le suivi seront également plus appropriés pour les patients ayant de multiples problèmes de santé », souligne-t-elle. Des affiches annonçant ces nouveaux locaux ont d’ailleurs déjà été posées au centre hospitalier. « C’est un début. On verra bien ce que cela donnera. » //