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Étude WHI : de nouvelles surprises après plus de 20 ans de suivi

des taux de mortalité curieux, mais rassurants

Emmanuèle Garnier  |  2020-10-01

La Women’s Health Initiative est cette énorme étude sur des femmes ménopausées recrutées dans les années 1990. Un suivi de plus de vingt ans révèle que l’hormonothérapie ne hausse pas le taux de décès dus au cancer du

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La Women’s Health Initiative (WHI), étude faite sur des femmes ménopausées, réserve encore des surprises1. Les dernières ? Selon les nouvelles données, la prise d’œstrogènes seuls pendant sept ans diminuerait, au bout de deux décennies, non seulement l’incidence du cancer du sein, mais aussi le taux de mortalité dû à cette maladie. Et l’association d’œstrogènes et de progestérone, elle, produirait chez les femmes qui y ont recouru durant six ans une légère hausse du taux de cancer du sein, mais sans qu’elles en meurent davantage.

Ces constats, un peu étonnants, publiés dans le Journal of the American Medical Association, viennent de l’analyse effectuée par l’équipe du Dr Rowan Chlebowski, de Californie, après un suivi de plus de vingt ans des participantes de l’étude WHI. La Women’s Health Initiative est cet énorme essai clinique qui comprenait plus de 27 000 femmes recrutées entre 1993 et 1998. Elle comptait deux volets précocement interrompus (encadré). Le premier regroupait des patientes hystérectomisées qui ont pris des œstrogènes ou un placebo pendant sept ans. Le second portait sur des participantes qui ont reçu soit des œstrogènes et de la progestérone, soit un placebo durant six ans. Les participantes de l’étude WHI ont ensuite été suivies jusqu’à la fin de 2017 (encadré).

Volet « œstrogènes seuls »

Les œstrogènes pris seuls auraient-ils un effet protecteur ? Les femmes qui les ont reçus ont connu une diminution significative du risque de cancer du sein qui a persisté plus d’une décennie après la prise des hormones. Ainsi, chez les 10 739 participantes de ce volet, 238 de celles qui prenaient des œstrogènes ont eu un cancer du sein contre 296 chez les sujets témoins. Un taux annualisé de 0,30 % contre 0,37 % (rapport des risques instantanés [hazard ratio] : 0,78) (tableau).

Mieux, l’effet sur la mortalité due au cancer du sein était encore plus marqué. Ainsi, le groupe prenant des œstrogènes comptait trente décès dus à la maladie contre 46 dans le groupe témoin. Un taux annualisé de 0,031 % contre 0,046 % (rapport des risques instantanés : 0,60).

Ces données sont particulièrement intéressantes aux yeux du Dr Chlebowsky et de son équipe. « La prise antérieure d’œstrogènes seuls est, à notre connaissance, la première intervention pharmacologique associée à une diminution statistiquement significative de la mortalité par cancer du sein », écrivent-ils. Que ce soit le tamoxifène, le raloxifène ou les inhibiteurs de l’aromatase, aucune molécule n’a produit cette baisse. Ces médicaments réduisent l’incidence du cancer du sein, mais pas le taux de mortalité.

De petits nombres

Chirurgien oncologue au CIUSS de l’est de l’île de Montréal, le Dr Lucas Sideris n’est pas convaincu par les nouvelles données. Son regard sur le lien entre oestrogènes et baisse des décès est plutôt critique. « Le nombre de morts par cancer du sein n’était pas très élevé dans l’étude. La différence entre le groupe témoin et le groupe expérimental n’était que de 16 cas après 20 ans dans une étude comptant près de 11 000 patientes. Ce n’est pas parce que les données sont statistiquement significatives qu’elles le sont d’un point de vue clinique », indique-t-il.

La possibilité d’un effet protecteur de l’hormonothérapie lui semble par ailleurs contre-intuitive. « Comme oncologue spécialisé en cancer du sein, mon impression générale est qu’une stimulation hormonale prolongée, peu importe laquelle, augmente probablement un peu le risque de cancer du sein. Les études observationnelles tendent à le montrer. À l’inverse, dans tous les essais portant sur la prévention du cancer du sein effectués dans des populations à risque, on réduit le taux de cancer du sein lorsqu’on donne une antihormone aux patientes. »

Il est possible que l’étude WHI comporte différents facteurs de confusion. « Il s’agit d’une étude populationnelle dont les chercheurs ne contrôlaient pas toutes les variables. Ce type d’essai clinique à répartition aléatoire est très influencé par des facteurs qui peuvent faire pencher les résultats d’un côté comme de l’autre lorsqu’il porte sur des maladies où il y a peu d’événements », explique le professeur agrégé de chirurgie à l’Université de Montréal.

Néanmoins, les données du Dr Chlebowsky et de ses collaborateurs sont rassurantes. « Une chose est certaine : la prise d’œstrogènes seuls a l’air sûre. On est du côté positif », estime le Dr Sideris, qui pratique à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.

Les chercheurs, pour leur part, ont déterminé le moment où l’hormonothérapie deviendrait protectrice : au cours de la cinquième année. C’est la période de l’étude où l’association entre les œstrogènes et la baisse de l’incidence du cancer du sein est devenue statistiquement significative. « Et l’est restée ensuite », indiquent-ils.

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Volet « œstrogènes et progestérone »

Le second volet de l’étude WHI, qui porte sur la prise d’œstrogènes et de progestérone, comporte lui aussi une surprise : une hausse du taux de cancer du sein, mais pas des décès dus à la maladie. L’augmentation de l’incidence n’aurait donc pas eu de répercussion significative sur le taux de mortalité.

Ainsi, chez les 16 608 femmes de ce volet, 584 de celles qui prenaient l’association d’hormones ont eu un cancer du sein contre 447 dans le groupe témoin (taux annualisé : 0,45 % contre 0,36 % ; rapport des risques instantanés : 1,28). Et pourtant, le taux de décès liés au cancer du sein n’est pas statistiquement différent dans les deux groupes : 71 morts dans le groupe sous hormonothérapie contre 53 dans l’autre groupe (rapport des risques instantanés : 1,35, P 5 0,11).

Comment expliquer ces taux divergents de cancer du sein et de mortalité ? « Par l’évolution des traitements, répond le chirurgien oncologue. Pendant les quelque vingt-cinq ans de l’étude, le traitement du cancer du sein a connu des avancées immenses. C’est comme si on diminuait au fur et à mesure l’augmentation du taux de décès grâce aux améliorations thérapeutiques. Si l’on était resté figé dans le temps et qu’on avait appliqué le traitement du cancer du sein de 1993 pendant vingt-ans ans, je crois que le taux de mortalité aurait augmenté. »

La hausse du taux de cancer du sein observée n’est donc pas mortelle, mais elle a un coût. Les tests que doivent passer les patientes, les traitements qu’il leur faut subir, les séquelles qui leur restent. En outre, l’hormonothérapie était associée à des cancers du sein diagnostiqués à des stades plus avancés et accompagnés d’une atteinte des ganglions. « Les patientes qui auraient pu être diagnostiquées à un stade plus précoce auraient peut-être évité une chirurgie plus radicale, n’auraient peut-être pas subi de chimiothérapie, des biopsies répétées, de la radiothérapie aussi intensive, etc. », affirme le Dr Sideris.

Heureusement, la hausse de l’incidence du cancer du sein n’était pas très élevée. Et elle n’est devenue statistiquement significative qu’à partir de la sixième année. « Il s’agit d’une augmentation modeste. Un rapport des risques instantanés de 1,28 signifie que l’on augmente approximativement de 30 % le risque de cancer du sein. Ce n’est pas énorme, mais il faut quand même bien considérer la raison pour laquelle on prescrit une hormonothérapie de remplacement », précise le spécialiste. D’autant plus que l’élévation du risque persiste plus d’une décennie après la fin de la prise des hormones.

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Une étude colossale avec des limites

L’étude WHI est impressionnante, mais comporte des limites. Et l’une d’elles est l’adhésion des participantes au traitement. Ainsi, dans le volet sur les œstrogènes, 54 % des participantes ont cessé leur hormonothérapie au cours de l’essai clinique contre 42 % dans le volet sur l’association œstrogènes-progestérone.

Néanmoins, les données de la Women’s Health Initiative sont importantes. « Il faut rendre hommage aux chercheurs : ils ont fait un incroyable travail. C’est une étude colossale qui constitue une avancée pour la science. Elle permet de rassurer les médecins qui veulent prescrire l’hormonothérapie de remplacement. Elle leur donne des outils pour discuter avec la patiente et prendre une décision plus éclairée », estime le Dr Sideris. //

Bibliographie

1. Chlebowski RT, Anderson GL, Aragaki AK et coll. Association of menopausal hormone therapy with breast cancer incidence and mortality during long-term follow-up of the Women’s Health Initiative randomized clinical trials. JAMA 2020 ; 324 (4) : 369-80.