cinq recommandations formulées à partir d’études
Comment être plus présent avec le patient ? Comment améliorer le contact avec lui malgré les contraintes de temps, la technologie et les exigences administratives ? Des chercheurs de l’Université de Stanford, en Californie, se sont penchés sur la question. Leurs travaux, publiés dans le Journal of the American Medical Association, ont établi cinq actes qui permettent au médecin d’accroître les interactions significatives avec son patient1.
Les auteurs, la Dre Donna Zulman et ses collaborateurs, conseillent ainsi aux cliniciens de :
1. se préparer avant la consultation ;
2. écouter attentivement le patient, sans l’interrompre ;
3. décider avec le patient des points importants à discuter ;
4. s’intéresser à son histoire ;
5. se pencher sur les signes émotionnels du patient.
Pour en arriver à ces recommandations, l’équipe de la Dre Zulman a effectué une recherche aux multiples dimensions. Elle a d’abord trouvé, dans sa revue de littérature, soixante-treize études sur des interventions interpersonnelles efficaces. Puis, elle a observé, au cours de vingt-sept consultations, des médecins reconnus pour leurs compétences sociales exceptionnelles. Elle a ensuite interrogé tant les cliniciens que les patients sur les stratégies utilisées.
Pour élargir leurs horizons, les chercheurs ont exploré les pratiques dans d’autres domaines. Ils ont ainsi rencontré trente professionnels non-médecins : des travailleurs sociaux, des gestionnaires, des artistes, des pompiers, des aumôniers, etc. La Dre Zulman et ses collaborateurs tentaient de découvrir des stratégies transposables en médecine.
Après avoir effectué une synthèse des données, les chercheurs ont retenu treize actions susceptibles d’accroître le lien entre le médecin et son patient. Ils ont ensuite soumis ces actes à un panel de quatorze chercheurs, cliniciens, patients, soignants et chefs de file en santé qui les ont analysés et en ont gardé cinq.
À la lumière de leurs travaux, la Dre Zulman et ses collaborateurs recommandent aux médecins de se préparer avant la consultation. Ils peuvent revoir le dossier médical du patient, lire ses réponses au questionnaire qui a pu lui être remis avant la visite et jeter un coup d’œil sur ses informations personnelles. Cette familiarisation permettra aux cliniciens une connexion plus immédiate avec le patient, estiment les chercheurs.
Le médecin peut ensuite faire une pause et se concentrer avant de rencontrer le patient. Certains prennent trois inspirations profondes avant d’aller dans la salle d’examen. « Créez-vous un rituel pour mobiliser votre attention avant la visite », suggèrent les chercheurs. Ce type de pratique a surtout été étudié dans le cadre du bien-être du médecin et de la réduction du stress basé sur la pleine conscience.
Une fois en présence du patient, on doit écouter ce dernier avec la plus grande attention. Le langage non verbal du médecin doit en témoigner. Le clinicien peut ainsi « être assis, penché vers l’avant, garder une position corporelle d’ouverture et être tourné vers le patient », mentionnent les chercheurs.
Ces éléments sont plus importants qu’on ne le croit. « Il a été démontré que la posture physique bienveillante du médecin favorise la création de la relation, la confiance et la satisfaction du patient à l’égard du traitement. »
Avec l’utilisation du dossier médical électronique, une attitude d’ouverture est particulièrement utile. « Le fait de partager l’écran de l’ordinateur avec le patient et d’orienter son corps vers lui, même quand on tape, a une influence positive sur la communication médecin-patient, le transfert d’informations, la confiance et la satisfaction du patient », assurent les auteurs.
Puis, quand le patient commence à parler, il faut éviter de lui couper la parole. « Les recherches ont montré qu’en moyenne, les médecins interrompent leurs patients durant les onze premières secondes. Quand les praticiens écoutent attentivement et n’interrompent pas le monologue d’ouverture, les patients communiquent mieux, donnent plus d’informations médicales et indiquent être plus satisfaits. »
Dès le début de la rencontre, il est recommandé de voir avec le patient les points importants pour lui et de les incorporer dans l’ordre du jour de la consultation. Le questionnaire qui est parfois remis aux gens avant la consultation peut servir de base à la discussion.
« Les données semblent indiquer que le fait de préparer un ordre du jour ensemble réduit les nouvelles préoccupations qui surgissent à la dernière minute, améliore le taux de satisfaction des patients et a une influence positive sur des symptômes comme la douleur et l’anxiété », affirment la Dre Zulman et son équipe.
Il est important de s’intéresser à l’histoire du patient, estiment les chercheurs. Les médecins doivent connaître les éléments qui influencent sa santé. Cela « implique d’être curieux et de créer un lien en interrogeant le patient sur son milieu socioculturel et ses conditions de vie. » Le fait que le médecin tente de saisir la perspective du patient montre qu’il souhaite le comprendre, crée une atmosphère de confiance et peut influencer directement la qualité des soins, mentionnent les chercheurs.
Comment connaître les particularités d’un patient ? Un professeur du secondaire a donné aux chercheurs son truc. « Le premier jour d’école, je demande toujours (aux élèves) de m’indiquer dans une lettre une information qu’ils veulent que je sache sur eux. Certains disent des choses comme : “J’ai quatre frères et sœurs, ce qui signifie que la maison est bondée” tandis que d’autres vont plutôt écrire “Je suis dyslexique. S’il vous plaît, ne faites pas appel à moi pendant le cours.” »
La Dre Zulman et ses collaborateurs recommandent également de souligner les efforts et les réussites des patients. « L’attitude positive du médecin a été associée à de bons résultats sur la santé du patient, un constat que l’on peut mettre en parallèle avec les données sur l’encadrement positif des athlètes. Les études semblent indiquer que le fait de reconnaître les efforts du patient et ses progrès par des commentaires favorise l’adhésion au traitement ainsi que le changement de comportement de ces cinq actes et encourage la personne à participer à ses soins. »
Les émotions peuvent être importantes dans une consultation. Les chercheurs recommandent aux praticiens de s’intéresser aux signes verbaux et non verbaux du patient, comme le changement de ton de voix, les expressions faciales et le langage corporel. Ils conseillent également d’aider le patient à manifester ses émotions par des questions comme : « Que ressentez-vous à ce sujet ? ». Les médecins peuvent en outre renvoyer à la personne un reflet de ses émotions en lui mentionnant : « Cela semble très difficile » ou « Je peux voir que cela vous touche profondément. »
Il faut donc accroître son intérêt pour les émotions ? « Beaucoup de données semblent indiquer que la sensibilité interpersonnelle du clinicien, qui inclut sa capacité à percevoir les émotions du patient, est associée à des résultats favorables chez le patient, dont sa satisfaction, la fidélité au rendez-vous et l’intégration des informations transmises. »
Évidemment, tous les cliniciens n’ont pas la même capacité à lire les émotions. Néanmoins, les recherches montrent que les patients sont sensibles aux tentatives de leur médecin, même quand il se trompe.
Ainsi, pour la Dre Zulman et ses collaborateurs, les rapports humains restent au cœur de la médecine. Toutefois, ils sont menacés dans l’environnement actuel des soins de santé. « À une époque où l’on dépend de plus en plus de la technologie, que ce soit pour les dossiers médicaux, le diagnostic ou le traitement, il est crucial de reconnaître la valeur du lien et des soins humains et de leur donner priorité », estiment les chercheurs. Ils ont pour cela repéré des actions, reposant sur des preuves scientifiques, qui ont le potentiel de rendre le médecin plus présent et de bonifier son expérience et celle du patient.
D’autres études sont maintenant nécessaires pour évaluer l’efficacité de ces pratiques utilisées ensemble, admet l’équipe de la Dre Zulman. L’application des cinq actes améliorera-t-elle le lien du médecin avec son patient ? Enrichira-t-elle leur expérience à tous les deux ? Augmentera-t-elle les résultats cliniques ? //
1. Zulman DM, Haverfield MC, Shaw JG et coll. Practices to foster physician presence and connection with patients in the clinical encounter. JAMA 2020 ; 323 (1) : 70-81.