une molécule aux puissants effets : la colchicine
Dès l’an prochain, les lignes directrices sur la prévention secondaire des maladies coronariennes pourraient être modifiées par une étonnante molécule : la colchicine. Elle diminuerait de 32 % un ensemble de risques de complications cardiovasculaires.
La prévention des maladies coronariennes est à un tournant. Une surprenante molécule va probablement bouleverser les lignes directrices en 2021 : la colchicine. Issue d’une plante aux splendides fleurs, peu coûteuse, elle serait connue depuis au moins 2000 ans.
« La colchicine a apporté des bienfaits cardiovasculaires comme je n’en avais jamais vus dans ma carrière, affirme le Dr Jean-Claude Tardif, directeur du Centre de recherche de l’Institut de Cardiologie de Montréal. Dans une importante étude que nous avons menée, elle a réduit de 23 % le risque d’apparition d’une nouvelle complication cardiovasculaire chez des patients qui avaient subi un infarctus du myocarde. Quand on ajoute les récidives ultérieures, l’ensemble des complications a diminué de 34 %1. La colchicine a produit cette baisse chez des patients qui prenaient déjà une statine et un antiplaquettaire. »
D’autres études sur la colchicine sont parvenues à des résultats similaires. Une méta-analyse, récemment publiée dans le Canadian Journal of Cardiology, s’est penchée sur quatre essais cliniques portant sur la prise de cette molécule en prévention secondaire. L’étude, effectuée par le Dr Tardif et Mme Michelle Samuel, de l’Institut de Cardiologie de Montréal, comprenait au total 11 594 patients atteints d’une maladie coronarienne2.
Mises ensemble, les données révèlent que, par rapport au placebo, la colchicine diminue de manière statistiquement significative de :
h 32 % l’ensemble des infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux (AVC), des revascularisations coronariennes urgentes et des morts d’origine cardiovasculaire ;
h 38 % les infarctus du myocarde ;
h 62 % les AVC ;
h 34 % les revascularisations coronariennes urgentes.
« Chez les patients atteints d’une maladie coronarienne, l’ajout de colchicine à faible dose au traitement médical standard réduit systématiquement et significativement l’incidence des complications cardiovasculaires importantes par rapport au traitement courant seul », concluent les chercheurs de l’Institut de Cardiologie de Montréal.
Quels changements pourraient alors apparaître dans les prochaines lignes directrices ? « Selon moi, il faut envisager la prescription de colchicine à tous les patients atteints d’une maladie coronarienne sans insuffisance rénale grave. Pour moi, ce médicament devient le troisième pilier du traitement, qui comprend déjà une statine et un antiplaquettaire, estime le Dr Tardif. En ce qui concerne le patient qui vient de faire un infarctus du myocarde, à mon avis, il devrait commencer à en prendre avant son départ de l’hôpital. »
Et quand la colchicine pourra-t-elle être prescrite dans ce cadre ? Pharmascience, le fabricant du médicament, compte soumettre à Santé Canada une demande d’homologation pour de nouvelles indications au cours du premier trimestre de 2021. Normalement, le processus nécessite un an, mais l’entreprise demandera une analyse accélérée.
La colchicine pourrait être cette pièce manquante dans la prévention des maladies coronariennes. Actuellement, le traitement des coronaropathies comporte plusieurs facettes : modifications du mode de vie, réduction des facteurs de risque et pharmacothérapie. Des approches qui réduisent la progression de l’athérosclérose et diminuent l’incidence des complications cardiovasculaires. Mais elles restent insuffisantes. Bien des patients sont encore victimes d’un infarctus du myocarde, d’un AVC, d’un arrêt cardiaque ou meurent d’une complication cardiovasculaire2.
L’inflammation serait au cœur du problème. « On sait depuis au moins une quinzaine d’années qu’elle est une composante importante de l’athérosclérose. L’inflammation est présente dès le début de la maladie, tout au cours de sa progression et jusqu’à la complication qu’est la rupture de la plaque d'athérome », explique le Dr Tardif, professeur titulaire de médecine à l’Université de Montréal. Et lorsque l’infarctus du myocarde se produit, le patient subit à la fois l’inflammation aiguë liée à la crise cardiaque et l’inflammation chronique découlant de son athérosclérose.
Le remède logique semble être un anti-inflammatoire. Et la colchicine en est un puissant. « Quand on l’administre à des gens qui ont une articulation gonflée, rouge, chaude et douloureuse à cause de la goutte, on voit rapidement l’inflammation diminuer, mentionne le cardiologue. Chez les personnes ayant des problèmes coronariens stables, elle réduit le taux de protéine C réactive d’environ 25 %. »
Comment agit la molécule ? Se concentrant surtout dans les leucocytes, elle réduirait l’inflammation grâce à plusieurs mécanismes. La colchicine diminuerait, par exemple, la circulation d’interleukines en ciblant, dans les cellules, l’inflammasome, un complexe de protéines qui permet la production de ces cytokines. Elle inhiberait également l’inflammation et l’instabilité des plaques d’athérome induites par les cristaux de cholestérol2.
La colchicine, initialement extraite du gracieux colchique d’automne (photo), a par ailleurs toutes les qualités : prise par voie orale, elle est peu coûteuse, bien connue et a peu d’effets indésirables. Elle est déjà indiquée contre la goutte et la fièvre méditerranéenne familiale et est employée en première ligne pour les péricardites.
Au Québec, le Dr Tardif a dirigé un grand essai clinique sur la nouvelle molécule vedette : le Colchicine Cardiovascular Outcomes Trial (COLCOT)1. L’étude, publiée il y a un an dans le New England Journal of Medicine, comprenait 4745 patients recrutés en moyenne quatorze jours après leur infarctus du myocarde (encadré 1). Après un suivi médian de presque deux ans, les patients qui prenaient de la colchicine avaient 23 % moins de risque que le groupe témoin de subir une complication comme un infarctus du myocarde, un AVC, une revascularisation d’urgence ou un décès de nature cardiovasculaire.
Quand la colchicine était administrée durant les trois premiers jours suivant l’infarctus, les données devenaient spectaculaires. L’incidence des complications chutait alors de 48 %, selon une sous-analyse de l’étude COLCOT (encadré 1)3. Il pourrait ainsi être avantageux de prescrire le médicament au patient dès le début de son hospitalisation.
La colchicine est donc efficace dans le cas des syndromes coronariens aigus. Mais qu’en est-il pour les maladies coronariennes stables ? La molécule est tout aussi utile. Des chercheurs australiens et hollandais l’ont montré sur 5522 patients dans le récent essai clinique Low-dose colchicine 2 (LoDoCo2) (encadré 2)4. Ainsi, par rapport au groupe témoin, le groupe qui a reçu de la colchicine a connu 31 % moins de complications comme un infarctus du myocarde, un AVC, une revascularisation coronarienne ou une mort de nature cardiovasculaire. Les sujets prenant la colchicine ont subi 2,5 complications pour 100 années-personnes contre 3,6 chez ceux qui ont reçu un placebo.
L’étude Colchicine Cardiovascular Outcomes Trial (COLCOT) est un essai clinique à répartition aléatoire à double insu qui s’est déroulé dans 167 centres répartis dans douze pays, dont le Canada1. Elle comptait 4745 patients qui avaient été victimes d’un infarctus du myocarde au cours des trente jours précédant leur recrutement.
Le critère d’évaluation principal de l’essai était composé des décès de nature cardiovasculaire, des arrêts cardiaques avec réanimation, des infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux (AVC) et des hospitalisations urgentes pour un angor menant à une revascularisation coronarienne.
Les sujets ont été répartis de manière aléatoire en deux groupes. Un premier de 2366 participants a pris une faible dose de colchicine, soit 0,5 mg par jour, et un second regroupant 2379 personnes a reçu un placebo. Après un suivi médian de 23 mois, 5,5 % des participants du groupe expérimental ont présenté l’un des problèmes inclus dans le critère d’évaluation principal contre 7,1 % des sujets témoins (rapport des risques instantanés [hazard ratio] : 0,77 ; intervalle de confiance à 95 % [IC à 95 %] : 0,61–0,96 ; P 0,02). Une baisse de 23 %.
De manière plus particulière, la colchicine a permis une diminution significative de :
h 74 % des AVC (nombre total de cas : 24) ;
h 50 % des revascularisations coronariennes d’urgence (nombre total de cas : 75).
La diminution totale des événements s’élevait par ailleurs à 34 % lorsqu’on tient compte de l’ensemble des récidives (IC à 95 % : 0,51–0,86), puisque plusieurs sujets ont eu plus d’une complication.
La colchicine s’ajoutait au traitement optimal que recevaient déjà les patients : au moins 98 % prenaient de l’aspirine, un second antiplaquettaire et une statine. Et 93 % avaient subi une revascularisation à la suite de leur infarctus.
Une diminution de presque 50 %
Le début de la prise de colchicine semble important. Commencée durant les trois premiers jours après un infarctus du myocarde, la molécule réduit de 48 % les complications comprises dans le critère d’évaluation principal, ont découvert les Drs Nadia Bouabdallaoui et Jean-Claude Tardif, de l’Institut de Cardiologie de Montréal, et leurs collaborateurs en effectuant une sous-analyse des données de l’étude COLCOT3.
Ainsi, parmi les 1193 patients recrutés moins de 72 heures après leur infarctus, un problème cardiovasculaire est apparu chez 4,3 % des participants prenant la colchicine, mais chez 8,3 % des sujets témoins. Un pourcentage qui va presque du simple au double.
En comparaison, les patients dont le traitement a commencé après le huitième jour ont connu une baisse non significative de 18 % par rapport au groupe témoin. Mais, selon le Dr Jean-Claude Tardif, auteur principal de l’étude COLCOT, il ne faut pas en conclure que la colchicine devient alors inefficace.
« L’effet global de la colchicine était significatif chez l’ensemble des patients qui ont commencé à la prendre dans les 30 jours suivant leur infarctus, précise le cardiologue. Comme il n’y a pas de différence significative dans le sous-groupe qui a commencé le traitement après le huitième jour, on ne peut pas dire que ce dernier est statistiquement différent de l’ensemble de la cohorte. Il ne fait pas de doute que la réduction de 18 % entre le jour 8 et le jour 30 reste tout à fait pertinente. Ces résultats sont d’ailleurs appuyés par ceux de l’étude LoDoCo2. »
« Les avantages sont apparus tôt et ont continué à augmenter pendant tout l’essai clinique sans paraître s’atténuer pendant le suivi qui a duré jusqu’à cinq ans », notent les auteurs de l’étude, le Dr Stefan Nidorf et ses collaborateurs, dans leur article publié dans le New England Journal of Medicine.
L’étude LoDoCo2 complète ainsi l’essai COLCOT. « Cette étude étend le spectre d’utilisation de la colchicine à tous les patients ayant une maladie coronarienne », indique le Dr Tardif, également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en médecine personnalisée.
La colchicine peut produire certains effets indésirables. « Ils sont surtout de nature gastro-intestinale, mentionne le directeur du Centre de recherche de l’Institut de Cardiologie de Montréal. La colchicine est connue pour causer la diarrhée, mais nous ne l’avons pas constaté dans l’étude COLCOT. Cependant, cet effet a été noté dans des études qui recouraient à une dose plus élevée que la nôtre, qui n’était que de 0,5 mg par jour. Nous avons par contre observé un peu plus de nausées : chez 1,8 % des patients qui prenaient le médicament contre 1 % dans le groupe témoin. »
La méta-analyse publiée dans le Canadian Journal of Cardiology ne révèle par ailleurs pas de hausse du nombre d’affections graves. « Le taux d’infections, de pneumonies, d’hospitalisations pour des problèmes gastro-intestinaux et de diagnostics de cancer n’étaient pas significativement différents [entre les groupes expérimental et témoin] », ont constaté les chercheurs.
La colchicine a toutefois une contre-indication : l’insuffisance rénale grave. « Il faut prescrire ce médicament aux personnes dont le taux de filtration glomérulaire dépasse 30 ml/min/1,73 m2, affirme le Dr Tardif. Les patients ne doivent par ailleurs pas le prendre en même temps qu’un inhibiteur puissant de l’isoenzyme CYP3A4 du cytochrome P450, comme l’érythromycine ou la clarithromycine. »
Menée en Australie et aux Pays-Bas, l’étude Low-dose colchicine 2 (LoCoDo2), un essai clinique à répartition aléatoire à double insu, s’est déroulé dans quarante-trois centres4. Le Dr Stefan Nidorf, du GenesisCare, en Australie, et son équipe ont recruté 5522 patients atteints d’une maladie coronarienne chronique. La plupart (84 %) avaient eu un syndrome coronarien aigu, mais généralement plus de deux ans auparavant.
Les sujets ont été distribués au hasard en deux groupes : 2762 patients ont reçu 0,5 mg de colchicine par jour et 2760 autres, un placebo. Le critère d’évaluation principal était l’apparition d’une complication telle qu’un infarctus du myocarde, un accident vasculaire cérébral ischémique, une revascularisation coronarienne ou une mort d’origine cardiovasculaire.
Après un suivi médian de 29 mois, l’une de ces complications cardiovasculaires est survenue chez 187 patients (6,8 %) dans le groupe prenant de la colchicine et chez 264 (9,6 %) patients témoins. Le médicament a ainsi permis une diminution significative de 31 % du risque (rapport des risques instantanés : 0,69 ; IC à 95 % : 0,57–0,83 ; P 0,001).
Donnée étrange, le groupe prenant de la colchicine comptait plus de morts de nature non cardiovasculaire que le groupe témoin, soit 53 contre 35. La différence n’était toutefois pas significative (rapport des risques instantanés : 1,51 ; IC à 95 % : 0,99–2,31). La méta-analyse sur les quatre essais cliniques portant sur la colchicine n’a d’ailleurs pas montré de hausse de la mortalité totale2.
L’emploi de la colchicine va peut-être s’élargir. D’autres patients pourraient en profiter. Son utilisation pourrait même s’étendre à la prévention primaire. C’est ce que va explorer le Dr Tardif. Au début de 2021, il va lancer une étude de quatre ans sur des patients diabétiques sans maladie coronarienne. « On pense que la colchicine permettra de réduire leur incidence de problèmes cardiovasculaires. »
Mais le chercheur va aussi s’intéresser à une autre dimension : les troubles cognitifs et la démence. « Beaucoup de données semblent indiquer qu’il y a un lien entre l’inflammation et ces affections. Étant donné qu’on suivra les patients suffisamment longtemps dans cette étude, on va tenter de voir l’effet de la colchicine sur ce plan. »
Le Dr Tardif compte recruter 10 000 patients diabétiques. Tous au Canada. La barre est haute, mais le cardiologue pense y parvenir. « Seulement au Québec, il y aurait 800 000 diabétiques : 400 000 connus et 400 000 qui ignorent être atteints. On peut ensuite multiplier ce chiffre par quatre pour avoir le nombre de diabétiques au Canada. »
Le chercheur et cardiologue clinicien est très enthousiaste. « C’est un moment très excitant dans la prévention cardiovasculaire. Nous sommes en train de démontrer que la réduction de l’inflammation est importante et pertinente cliniquement et qu’on peut y parvenir avec un produit peu cher, qui vient d’une plante et est connu depuis des siècles. » //
1. Tardif JC, Kouz S, Waters DD et coll. Efficacy and safety of low-dose colchicine after myocardial infarction. N Engl J Med 2019 ; 381 (26) : 2497-505.
2. Samuel M, Tardif JC, Bouabdallaoui N et coll. Colchicine for secondary prevention of cardiovascular disease: a systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials. Can J Cardiol 2020. Publié initialement en ligne le 16 octobre 2020.
3. Bouabdallaoui N, Tardif JC, Waters DD et coll. Time-to-treatment initiation of colchicine and cardiovascular outcomes after myocardial infarction in the Colchicine Cardiovascular Outcomes Trial (COLCOT). Eur Heart J 2020. Publié initialement en ligne le 29 août 2020.
4. Nidorf SM, Fiolet ATL, Mosterd A et coll. Colchicine in patients with chronic coronary disease. N Engl J Med 2020. Publié initialement en ligne le 31 août 2020.