la facturation n’est pas le seul enjeu
Depuis le décret du 13 mars 2020 rendant assurés les services fournis à l’aide d’un moyen de télécommunication, la vie a changé pour nombre de patients et leurs médecins. Bien que les modalités de facturation aient été adaptées, vous devez connaître certains enjeux lorsque vous voulez offrir de tels services de l’extérieur du Québec ou encore au Québec à un patient situé hors de la province. En êtes-vous conscient ?
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la FMOQ. |
La rémunération des téléconsultations amène tout un lot de complexités qui n’existent pas lorsque les services sont offerts sur place. Normalement, patient et médecin sont dans le même lieu géographique et dans le même type de milieu (cabinet ou établissement). Lorsque les services sont offerts par téléphone ou visioconférence, le médecin et le patient peuvent se trouver n’importe où dans le monde et ne pas savoir où est l’autre.
Revoyons d’abord la facturation du médecin qui offre des services au Québec à un patient se trouvant aussi au Québec. Par la suite, nous regarderons les enjeux lorsque le médecin ou le patient n’est pas au Québec.
Le Collège des médecins du Québec a la compétence pour fixer les conditions d’exercice des médecins au Québec, que ce soit à Chibougamau ou à Montréal. Donc, lorsque le patient et le médecin sont tous les deux au Québec, la réglementation est comparable à celle qui s’applique aux consultations en personne. L’analyse se limite à déterminer où le service est rendu.
La loi prévoit depuis quelques années qu’un établissement peut conclure une entente avec un autre établissement, un organisme ou toute autre personne pour l’offre de services de santé à un bénéficiaire de l’établissement ou pour la prestation ou l’échange de services professionnels. Selon la Loi sur l’assurance maladie, les services de télésanté découlant d’une telle entente sont assurés, mais pas les consultations par téléphone. Même avant la pandémie, la rémunération de certains services donnés à distance était donc possible dans la mesure où le médecin respectait toutes les conditions.
Pour les situations visées par des ententes conformes, les médecins qui effectuent des téléconsultations peuvent être rémunérés à tarif horaire. Lorsque le médecin est sur place auprès du patient et que c’est un consultant qui effectue la téléconsultation, l’intervention clinique est soumise à des modalités particulières. Dans pareil contexte, la loi prévoit de plus que le service est considéré comme étant offert là où se trouve le professionnel. Le but de cette mesure est simple : s’assurer que le patient du Québec insatisfait de la qualité des services reçus peut se plaindre localement auprès de l’établissement ou du Collège des médecins. Par ailleurs, les établissements où sont situés le patient et le professionnel doivent tous deux conserver la documentation de la rencontre, et la visite doit être inscrite au dossier du patient. Toutefois, la loi précise que pour être considéré comme un professionnel de la santé au sens d’une telle entente, ce dernier doit exercer sa profession au Québec, donc détenir un permis d’exercice du Québec. Comme nous supposons que médecin et patient sont tous deux au Québec, nous allons en faire abstraction pour l’instant.
En conformité avec les exigences de la loi, l’Entente prévoit que la facturation des services de télésanté est fonction du lieu où se trouve le médecin. Ainsi, un médecin de Québec qui serait autorisé par le comité paritaire et qui assurerait des téléconsultations en santé publique dans le Nunavik est rémunéré au tarif qui s’applique à Québec. Il n’a donc pas droit à la majoration applicable localement au Nunavik. Par ailleurs, afin d’éviter de créer artificiellement des problèmes, ces services sont exclus du calcul du taux de conformité aux fins de l’Entente particulière sur les PREM si le médecin de santé publique détient une autorisation du comité paritaire.
Depuis le décret stipulant que les services par télécommunication sont assurés pendant la pandémie, des médecins en établissement offrent directement des services à leur clientèle. Il ne s’agit plus de services dans le cadre d’une entente en vertu de l’article 108 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) évoqué précédemment. Aucune règle générale ne vient préciser le lieu du service aux fins de la facturation. Hormis l’exception décrite en santé publique, lorsque les services sont liés à une pratique en établissement, les parties négociantes tiennent pour acquis que c’est le lieu de facturation. Cette approche a aussi l’avantage de réduire les risques de problèmes pour le respect des PREM.
Avant la pandémie, il n’était pas possible d’être rémunéré par la RAMQ pour des services de télésanté hors établissement, car ces services n’étaient pas assurés. De façon générale, les médecins en cabinet ne concluaient donc pas d’entente avec un établissement pour offrir des services à distance à la clientèle ni des services de télésanté à l’établissement.
Depuis le décret du début de la pandémie, une entente n’est plus requise pour qu’une téléconsultation soit assurée. Le Collège des médecins, dans son guide sur la télémédecine, indique qu’il considère que le service médical est effectué là où est situé le patient, sauf lorsqu’il s’agit d’un service visé par l’article 108 de la LSSSS. Depuis que ces services sont assurés, lorsqu’ils ne sont pas liés à la pratique en établissement, les parties négociantes tiennent pour acquis que le lieu où les soins sont offerts aux fins de facturation est le lieu de suivi habituel du patient. Plus souvent, ce sera le cabinet du médecin, parfois ce sera le domicile du patient (si le suivi n’est pas normalement associé à un cabinet). Lorsqu’il s’agit de services d’appoint, il s’agira du lieu dont relève la pratique du médecin.
Le médecin de Montréal qui dépanne au téléphone son patient de passage à Chibougamau qui souffre d’un problème aigu facturera le service comme s’il avait été effectué à Montréal et n’aura donc pas droit à la majoration qui s’applique à Chibougamau (en supposant qu’il y aurait eu droit). Cependant, le médecin de Chibougamau de passage à Montréal qui soigne un de ses patients de Chibougamau par télésanté réclamera le service comme s’il avait été effectué à Chibougamau et recevra donc la majoration applicable.
Un enjeu s’ajoute lorsque le patient ou le médecin se trouve hors du Québec. Il faut alors tenir compte de la façon dont le lieu hors Québec réglemente les téléconsultations. Lorsque le patient et le médecin sont dans des lieux de compétence différente, le médecin pourra être soumis à deux règles différentes, ce qui pourrait augmenter ses obligations.
Nous avons vu que, pour le Collège, un service rendu par téléconsultation est considéré comme effectué là où se trouve le patient. C’est d’ailleurs le choix prépondérant en Amérique du Nord. On s’attendrait donc à ce que le médecin doive détenir un permis du Collège des médecins du Québec pour offrir des services à un patient situé au Québec. Toutefois, la réglementation des professionnels est de compétence provinciale. Par conséquent, le Collège des médecins du Québec n’a pas d’emprise sur un médecin résidant et exerçant dans une autre province. Si le médecin situé hors Québec n’a pas de permis de pratique au Québec, le patient devra se plaindre auprès du Collège de la province ou du territoire où le médecin détient un permis. S’il a un permis à plusieurs endroits, c’est celle où il se trouve au moment de rendre les services qui s’applique.
La téléconsultation en établissement est rémunérée en fonction de l’endroit où est situé le médecin. Toutefois, en cabinet ou à domicile, elle l’est plutôt en fonction du lieu de suivi habituel du patient. |
L’autre problème auquel peut faire face le médecin d’une autre province qui traite un patient situé au Québec par téléconsultation est qu’en l’absence d’un permis du Québec, il ne pourra pas demander d’examens paracliniques ni prescrire de traitement. Sa prescription d’examens paracliniques ou de traitement ne sera pas exécutée au Québec, à l’exception de celle des médecins exerçant dans les régions limitrophes (Outaouais, nord du Nouveau-Brunswick, sud du Labrador) qui sont visés par une entente interprovinciale.
Pour le médecin québécois se trouvant à l’étranger et offrant des services de téléconsultation à des patients au Québec, la prescription sera exécutée au Québec. Si le patient devait se plaindre des services reçus, il déposerait probablement sa plainte ou sa poursuite au Québec. Toutefois, selon la nature des services et selon qu’ils puissent être visés par d’autres lois (sur le contrôle des narcotiques, par exemple), le médecin pourrait être tenu de détenir un permis de l’État américain ou de la région française, par exemple, où il est situé et de répondre à l’obligation locale de détenir une assurance responsabilité professionnelle. La prudence est donc de mise.
Si c’est plutôt le patient qui se trouve dans un autre pays, le médecin québécois pourrait s’exposer aux mêmes risques. Il pourrait donc être prudent en début de chaque téléconsultation de demander au patient où il est situé et de l’indiquer systématiquement dans le dossier. Si le patient n’est pas au Québec, en particulier s’il n’est pas au Canada, il pourrait être plus prudent de lui suggérer de faire appel à un médecin de sa localité (en personne ou par téléconsultation), du fait de l’incertitude entourant la réglementation de la pratique et la responsabilité professionnelle à cet endroit pour un médecin canadien. Si c’est plutôt le médecin qui est à l’extérieur du Québec et qu’il ne détient pas de permis au Québec, il devrait l’indiquer au patient et lui signaler que si jamais il voulait porter plainte, il devrait s’adresser au collège des médecins de la région où le médecin détient un permis. Le médecin devrait de plus préciser au patient que si ce dernier avait besoin de médicaments ou d’examens paracliniques, ses prescriptions ne seraient pas acceptées au Québec.
Sans égard à la possibilité d’être rémunéré pour le service, le médecin québécois qui voudrait effectuer des téléconsultations auprès de sa clientèle québécoise à partir de son chalet situé dans un État américain pourrait donc devoir détenir un permis d’exercice à la fois au Québec et dans l’État en question.
Enfin, n’oubliez pas que lorsque vous exercez dans plus d’une province canadienne, l’ACPM exige que vous cotisiez pour votre code de travail selon la tarification provinciale la plus élevée parmi les provinces en question. La téléconsultation ajoute toutes sortes de risques qui peuvent mener à une plainte ou à une poursuite. Il est donc prudent de respecter ces règles. Dans le doute, vérifiez avec l’ACPM.
Comment serez-vous rémunéré si vous rendez des services lorsque vous êtes hors du Québec, en supposant que vous voulez toujours le faire ? Initialement, les modifications apportées à la lettre d’entente 269 ne restreignaient pas le lieu où un médecin pouvait offrir des services à distance. Toutefois, une première modification en juillet 2020 est venue préciser que les tarifs s’appliquent seulement lorsque la téléconsultation est effectuée par un médecin situé au Québec. Ce choix vise à éviter que des médecins québécois habitant à l’autre bout du monde (et donc sans moyen de voir les patients si cela s’avérait nécessaire) se prévalent de cette forme de rémunération.
Cette règle donnant lieu à des problèmes pour les patients québécois normalement desservis par des médecins situés dans une région limitrophe du Québec, elle a de nouveau été modifiée pour qu’un médecin hors Québec puisse être rémunéré dans la mesure où le patient est inscrit auprès de lui et que le lieu de suivi habituel est aussi situé hors Québec. Il s’agira généralement de médecins exerçant à Ottawa, à Hawkesbury, à Campbellton ou dans d’autres villes frontalières. Le médecin pourrait alors sans doute offrir, au besoin, un rendez-vous sur place aux patients quand la téléconsultation ne suffit pas. Le médecin exerçant dans une région limitrophe dans le cadre décrit précédemment peut facturer ses téléconsultations à la RAMQ lorsque les services sont donnés hors Québec à partir du cabinet, du domicile du médecin ou encore d’un établissement.
Comme les patients doivent être inscrits auprès du médecin et que le médecin hors Québec peut seulement les inscrire s’il est inscrit à la RAMQ et détient un numéro de type 6xxxxxx, le médecin qui offre de tels services sur une base exceptionnelle ne pourra être rémunéré pour ses services de téléconsultation. Les services rendus par le médecin québécois qui se trouve à son chalet dans une autre province ou dans un État américain ne peuvent être rémunérés non plus, même si les patients sont inscrits auprès de lui au Québec.
Afin d’éviter de donner des services dans d’autres pays, il pourrait être prudent au début de chaque téléconsultation de demander au patient où il se trouve, de l’indiquer systématiquement dans le dossier et de refuser de lui donner des services s’il se trouve dans un autre pays. |
Lorsque le médecin se trouve au Québec, mais que c’est le patient québécois admissible à l’assurance maladie qui est hors de la province, le médecin peut réclamer ses services. Hé oui ! La RAMQ rémunère les services rendus aux Québécois à l’étranger selon les tarifs négociés. Toutefois, selon la réglementation du lieu où est situé le patient, le médecin pourrait aussi devoir détenir un permis d’exercice dans le territoire en cause, en plus de détenir une assurance responsabilité professionnelle adéquate. Comme nous l’avons indiqué précédemment, il pourrait donc être plus prudent d’éviter de se placer dans une telle situation.
L’offre de services par téléconsultation ouvre la porte à bien des possibilités, mais vous expose à une panoplie de risques nouveaux de nature réglementaire et mettant en jeu votre responsabilité professionnelle.
Ça vous donne à réfléchir ? La téléconsultation a été assurée par décret à la hâte, mais l’environnement légal qui l’encadre n’a pas suivi. Dès que le patient ou le médecin sort du Québec, sans égard à la rémunération du médecin, le damier de réglementation peut donner lieu à bien des surprises. Mieux vaut ne pas les découvrir lors d’une plainte formulée contre vous ou lors du dépôt d’une poursuite en responsabilité professionnelle. Bonne facturation ! //