Entrevues

Entrevue avec la présidente de l’association du Bas-Saint-Laurent

Taux d’inscription atteint, mais menacé

Emmanuèle Garnier  |  2020-03-04

Malgré un taux d’inscription record atteint en 2018, la Dre Josée Bouchard, présidente de l’Association des médecins omnipraticiens du Bas-Saint-Laurent, constate que le guichet d’accès à un médecin de famille ne se vide pas dans sa région. Au contraire, il se remplit.

M.Q. — Quelle est la situation dans le Bas-Saint-Laurent concernant le taux d’inscription de la population ?

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J.B. – Pour la première fois en 2018, plus de 90 % de la population avait un médecin de famille. Du jamais vu dans notre région. Cependant, depuis que nous l’avons atteint, ce taux record ne cesse de diminuer. Il était à 87,7 % à la fin de 2019. Et certains facteurs nous laissent présager que la situation n’ira pas en s’améliorant au cours des prochaines années.

M.Q. — Pourquoi ?

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J.B. – À la fin de 2019, le guichet d’accès à un médecin de famille comptait plus de 13 500 patients, ce qui constitue une hausse de 113 % en un an. Cette augmentation s’explique en grande partie par le départ à la retraite de plusieurs omnipraticiens. Ici, chaque départ laisse un peu plus de 1500 patients sans médecin. En 2019, ce sont dix-huit médecins qui ont quitté la profession. Malgré l’arrivée de nouveaux cliniciens qui ont pu reprendre une partie de la clientèle, plus de 6000 patients ont perdu leur médecin de famille.

M.Q. — La relève n’est-elle pas au rendez-vous ?

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J.B. – Le recrutement de jeunes cliniciens qui acceptent de succéder à des médecins plus âgés se bute à plusieurs difficultés. D’abord, il y a le fait qu’il est déjà difficile pour un nouvel omnipraticien de reprendre systématiquement la clientèle d’un collègue plus expérimenté, mais en plus il faut qu’il désire venir pratiquer dans la région. Lors de la période initiale pour postuler au PREM de 2020, la région du Bas-Saint-Laurent n’est parvenue qu’à pourvoir douze des seize postes offerts. Nous n’avions pas vu cette situation depuis près de dix ans. Comme plusieurs autres régions éloignées, le Bas-Saint-Laurent éprouve des problèmes d’attraction auprès des jeunes médecins. Et les récentes dérogations qu’a accordées le ministère de la Santé aux régions centrales n’aident pas non plus à améliorer notre situation. Certes, nous pouvons avoir recours à la banque de médecins dépanneurs. Mais comme ces cliniciens viennent nous aider de façon ponctuelle, et non de manière permanente, le problème demeure.

M.Q. — Comment les omnipraticiens de la région perçoivent-ils cette situation ?

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J.B. – Ce n’est pas facile. Sans être alarmiste, notre association lève un drapeau rouge. La pénurie de médecins force actuellement les quelque 260 autres omnipraticiens de la région à faire des efforts supplémentaires. Jusqu’à maintenant, nous nous sommes débrouillés. Cependant, cette situation entraîne une surcharge de travail pour l’ensemble des médecins du réseau. Et ce qui ne nous aide pas non plus, c’est la difficulté qu’auront bientôt les cliniques à recruter des infirmières.

M.Q. — Pourquoi ce recrutement deviendra-t-il difficile ?

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J.B. – Depuis trois ans, notre association encourage les médecins des cliniques privées à embaucher des infirmières bachelières et auxiliaires pour les aider à mieux servir leurs patients. Toutefois, les établissements de santé ont récemment amélioré les conditions de travail de ces professionnelles de la santé. Celles qui étaient sur appel se voient désormais offrir des postes à temps plein afin d’éviter les heures supplémentaires obligatoires. Et comme les hôpitaux leur offre également de meilleurs salaires que ce peuvent leur proposer les cliniques privées, nous pensons qu’elles vont préférer demeurer au sein du réseau public. Pour cette raison, je crois que les cabinets privés, au même titre que les GMF, devraient pouvoir bénéficier d’infirmières fournies par l’établissement régional. C’est une piste de solution que nous devrons étudier.

M.Q. — Vous êtes également préoccupée par la féminisation de la profession, pourquoi ?

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J.B. – Depuis quinze ans, les femmes représentent plus de 50 % des diplômés en médecine. La plupart vont vouloir devenir mamans et vont, par conséquent, prendre un congé de maternité. Aujourd’hui, cette période dure de six à huit mois, ce qui complique l’organisation du travail au sein des cliniques. Attention, je ne dis pas que ces femmes médecins ne devraient pas avoir d’enfants. Moi-même, j’en ai eu cinq. Le problème, c’est qu’il n’y a actuellement pas de mécanisme pour pallier aux absences.

M.Q. — Que proposez-vous comme solution ?

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J.B. – Comme d’autres omnipraticiens, je crois que nous devrions créer une banque de médecins remplaçants, comme il existe une banque de médecins dépanneurs permanents. Ces cliniciens pourraient prendre en charge la totalité des patients de l’omnipraticienne en congé de maternité. Cette banque pourrait également servir aux omnipraticiens qui s’absentent à cause d’une maladie ou qui veulent prendre un congé sabbatique. Elle éviterait aux autres médecins d’une clinique d’avoir à assurer le suivi des patients de leur collègue absent.

Par ailleurs, cette formule pourrait aussi être avantageuse pour les jeunes médecins. Ils auraient ainsi l’occasion d’essayer un lieu de pratique sans avoir à s’engager. Ils pourraient faire l’expérience de la région pendant quelques mois. Je suis convaincue qu’une telle mesure pourrait aider les territoires éloignés à recruter davantage de médecins.

M.Q. — Malgré vos préoccupations, il y a de bonnes nouvelles qui permettront de faciliter le travail de vos collègues, n’est-ce pas ?

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J.B. – D’ici quelques semaines, toutes les cliniques de la région du Bas-Saint-Laurent, y compris les urgences des hôpitaux, vont travailler avec le même logiciel pour gérer les dossiers médicaux électroniques. C’est merveilleux. Cela fait déjà cinq ans que les cliniques de la région utilisent des logiciels différents. Après avoir consulté l’ensemble des médecins de la région l’automne dernier, nous sommes parvenus à un consensus : le logiciel Medfar est celui qui répondait le mieux à nos besoins et à nos attentes. Dans un contexte de pénurie d’omnipraticiens, l’entente que nous avons conclue avec le fournisseur constitue un grand pas qui facilitera le partage d’informations entre médecins. Même les cliniciens en CLSC pourront accéder au logiciel par Internet.

M.Q. — Il y a également une autre bonne nouvelle : l’arrivée d’une faculté de médecine.

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J.B. – Le Bas-Saint-Laurent, plus précisément Rimouski, aura, en effet, une faculté de médecine dès septembre 2022. C’est ce qu’a annoncé la ministre de la Santé, Mme Danielle McCann, en mai dernier. L’Université Laval fera construire deux nouveaux pavillons décentralisés d’enseignement de la médecine, dont un à Lévis et un second à Rimouski. Bâti sur le site de l’Hôpital régional de Rimouski, le nouvel édifice pourra accueillir 54 étudiants par année. Cette bonne nouvelle arrive juste à point pour nous aider à faire face à nos défis de recrutement de nouveaux cliniciens. Nous espérons que ces jeunes médecins qui viendront étudier dans la région seront charmés par le Bas-Saint-Laurent. Je suis également persuadée que l’arrivée d’une faculté de médecine permettra de retenir les médecins dans la région. //