Dossiers spéciaux

Pneumopathie du vapoteur

une nouvelle affection

Emmanuèle Garnier  |  2020-03-04

Toute récente, la pneumopathie associée au vapotage est inquiétante. Elle touche encore peu de gens, mais peut avoir des répercussions graves, voire mortelles.

pneumopathie

 

Dr Gervais

Ils étaient soixante à se présenter dans différentes clini­ques et urgences de l’Utah en trois mois. Ils avaient tous les mêmes symptômes : problèmes respiratoires, comme la dyspnée et la toux, signes généraux, tels que la fièvre, et problèmes gastro-intestinaux. Plus de la moitié ont été admis aux soins intensifs. Ils ont passé tous les tests. Pas de grippe, pas de pneumonie, pas de légionellose ni autre affection. Le seul diagnostic restant : la pneumopathie liée au vapotage.

Tous ces cas, récemment rapportés dans le Lancet, sont survenus entre juin et octobre 2019. Le diagnostic de la nouvelle affection repose sur trois critères :

1) le recours au vapotage, que ce soit avec de la nicotine ou des composés dérivés du cannabis, au cours des quatre-vingt-dix jours précédents ;

2) la présence d’un infiltrat pulmonaire sur la radiographie ou la tomographie thoraciques ;

3) l’absence d’une autre cause connue, comme une infection.

Le phénomène est récent. Aux États-Unis, ce n’est que le 1er août 2019 qu’un premier cas a été déclaré aux Centers for Disease Control and Prevention (CDC)1. Depuis, le nombre a explosé. À la fin de janvier, les CDC recensaient 2711 personnes hospitalisées à cause du vapotage, dont 60 sont mortes. « Ce qu’on voit actuellement, c’est la pointe de l’iceberg. Les CDC ne comptent que les patients suffisamment malades pour être hospitalisés et même mourir. On ne connaît pas vraiment l’étendue de cette maladie-là », affirme le Dr André Gervais, pneumologue et médecin-conseil à la Direction de la santé publique de Montréal. Son organisme a, pour sa part, dénombré quatre cas dans la métropole.

Au Canada, à la fin de janvier, le diagnostic de pneumopathie associée au vapotage avait été posé chez dix-sept personnes, dont quatorze ont dû être hospitalisées. Le Québec, lui, compte actuellement six cas. « On ignore pourquoi les gens deviennent malades. On n’a pas encore trouvé la cause. Ce n’est pas de l’asthme. C’est vraiment une maladie à part entière. C’est comme si les deux poumons étaient atteints par une agression chimique globale », explique le Dr Stéphane Perron, médecin-conseil à Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et responsable de l’enquête épidémiologique sur les pneumopathies liées au vapotage dans la province.

Le tout premier cas canadien a été signalé officieusement en Ontario à la fin d’août. Au Québec, parallèlement, des patients présentaient des symptômes depuis un certain temps déjà. « Les premiers cas sont arrivés un peu simultanément dans plusieurs régions à partir de l’été 2019 », indique le Dr Perron qui reçoit les signalements faits à l’INSPQ.

Qui sont ces patients ?

Au Québec, les personnes touchées par la pneumopathie du vapoteur ont entre 33 et 85 ans et toutes ont consommé des produits de vapotage ne contenant que de la nicotine. Certaines y recouraient pour cesser de fumer.

En Utah, par contre, le profil des patients atteints était diffé­rent. La plupart étaient des hommes jeunes. L’âge médian s’élevait à 27 ans. Beaucoup (48 %) avaient consommé des produits de vapotage contenant à la fois de la nicotine et du tétrahydrocannabinol (THC).

Que leur est-il arrivé ? Six (10 %) ont été traités dans une clinique tandis que 54 (90 %) ont été hospitalisés, dont 33 (55 %) ont été admis aux soins intensifs. La gravité des cas variait ainsi. Presque tous ont reçu des antibiotiques, de l’oxygène et surtout des stéroïdes. Ce serait grâce à ce dernier traitement que leur état se serait amélioré.

Plusieurs de ces patients ne sont pas sortis totalement indemnes de leur affection. Parmi les 26 qui ont été suivis, beaucoup conservaient des anomalies résiduelles à la radiographie ou dans les tests de la fonction pulmonaire deux semaines après leur congé de l’hôpital. En outre, deux patients sont morts. Même si les atteintes pulmonaires liées au vapotage n’ont pas été la cause directe des décès, elles y auraient contribué. Par ailleurs, six des patients, dont trois qui avaient recommencé à vapoter, ont dû être réhospitalisés.

Dr Perron

La recherche du coupable

Pourquoi cette hausse soudaine de maladies liées au vapotage ? « On n’en connaît pas les causes, mais on soupçonne l’augmentation rapide du nombre de vapoteurs ainsi que l’utilisation de produits illégaux du cannabis », répond le Dr Perron.

Bien des vapoteurs achètent sur le marché noir des produits à base de THC contenant de l’acétate de vitamine E ou en rajoutent eux-mêmes. Cet additif, utilisé pour diluer ou épaissir le tétrahydrocannabinol, interférerait avec le fonctionnement pulmonaire. Selon les CDC, ce supplément serait fortement lié à l’éclosion d’atteintes pulmonaires liées au vapotage aux États-Unis. D’ailleurs, 82 % des patients américains hospitalisés pour ces affections avaient pris des produits contenant du THC. Le récent bannissement de l’acétate de vitamine E des liquides de vapotage aurait toutefois contribué depuis plusieurs mois à diminuer le nombre de visites aux urgences liées à ce problème, estiment les CDC.

L’acétate de vitamine E n’explique cependant pas tous les cas. Au Canada, neuf des 17 patients atteints de problèmes liés à la cigarette électronique n’avaient consommé que des produits à base de nicotine. « Il est possible qu’il y ait plus d’une cause, parce qu’il y a plusieurs formes de ces maladies pulmonaires », souligne le Dr Gervais. Des chercheurs canadiens ont d’ailleurs recensé presque une vingtaine de types d’atteintes différentes : pneumonie organisée, pneumonie lipoïde, alvéolite aiguë, pneumomédiastin, etc.2

« En dehors de l’acétate de vitamine E, les CDC ont peu de pistes, note le Dr Perron. Ils n’ont pas encore commencé d’étude cas-témoins parce qu’ils ignorent quoi chercher. Il y a énormément de produits associés au vapotage. Cela va de la concentration de certains métaux dans les liquides de vapoteuses aux différents types d’arômes, comme le diacétyle. »

Le premier cas canadien

C’est le cas d’un jeune Ontarien qui a conduit sur la piste du diacétyle, un composé aromatique connu pour sa toxicité pulmonaire2. Depuis une semaine, l’adolescent de 17 ans toussait, avait de la difficulté à respirer et faisait de la fièvre. Il vapotait quotidiennement depuis cinq mois et utilisait différentes cartouches aromatisées. Il ajoutait également régulièrement du THC à son liquide de vapotage.

Malade, le jeune homme se rend aux urgences. Là, les médecins le traitent pour une pneumonie. Mais une dizaine de jours plus tard, il se retrouve aux soins intensifs. Il est intubé, reçoit une oxygénation par membrane extracorporelle et échappe de justesse à la greffe pulmonaire. Diagnostic possible : bronchiolite oblitérante potentiellement causée par le diacétyle des liquides aromatisés de vapotage.

La maladie du patient est signalée en août 2019 aux autorités canadiennes. Le cas est médiatisé, et tout un processus est alors enclenché. « L’Organisation mondiale de la santé a demandé au Canada de se pencher sur les cas qui apparaissaient », relate le Dr Perron. Une enquête épidémiologique nationale, à laquelle participe le médecin, est ainsi mise sur pied. Tous les patients atteints de pneumopathies liées à la cigarette électronique doivent donc pour l’instant être déclarés.

Une épidémie chez les jeunes

Spécialiste en santé publique et en médecine préventive, le Dr Perron est particulièrement inquiet pour les jeunes. Aux États-Unis, l’âge médian des personnes hospitalisées ou mortes à cause du vapotage est de 24 ans. Au Canada, huit des 17 personnes atteintes avaient moins de 35 ans.

« Chez les jeunes, l’usage de la cigarette électronique est une épidémie. Jamais une substance psychoactive n’a été adoptée de façon aussi rapide par une génération que les produits de vapotage, surtout depuis que les sels de nicotine ont été mis sur le marché », déclare le médecin.

C’est que la nicotine des cigarettes électroniques a deux formes. La première est la nicotine classique, la nicotine en base libre. Et puis il y a les sels de nicotine, comme ceux que l’on retrouve dans un appareil comme le Juul. Plus nouveaux. Plus puissants. « L’innovation des compagnies a été de combiner la nicotine avec des sels qui, lorsqu’ils sont vapotés, se déposent plus profondément dans les poumons et sont absorbés plus efficacement. Selon les données préliminaires, l’effet produit serait plus intense. On soupçonne le potentiel de dépendance d’être aussi plus important. »

Au cours des deux dernières années, l’utilisation de la cigarette électronique, surtout avec les sels de nicotine, s’est beaucoup accrue chez les jeunes. « Les données de surveillance montrent qu’ils vapotent plus, plus tôt et plus régulièrement », affirme le médecin.

Des ingrédients inconnus

Théoriquement, la cigarette électronique est un outil pour aider les fumeurs à abandonner le tabac. « Ce n’est pas un traitement homologué par Santé Canada, précise le Dr Perron. Il n’est pas passé par toutes les étapes auxquelles on s’attend des produits pharmacologiques. »

Le Dr Matthew Stanbrook, de l’Université de Toronto, lui, est furieux. Il signe l’éditorial cinglant qui accompagne l’étude sur le jeune Ontarien dans le Canadian Medical Association Journal3. « Ces cas se sont produits à cause de l’absence quasi complète de réglementation gouvernementale sur la composition, la qualité, la conception et la fabrication des cigarettes électroniques et de leurs liquides, écrit-il. Même si l’innocuité de l’inhalation de bien des composés aromatisés des liquides n’a jamais été vérifiée, on en sait suffisamment sur des ingrédients omniprésents comme le propylène glycol pour indiquer que toutes les cigarettes électroniques contiennent ou produisent des toxines et des produits cancérigènes. Malgré tout, le Canada a autorisé la vente et la publicité de ces cigarettes électroniques. »

Pire, on ignore ce que renferment exactement les liquides de ces cigarettes. « Il n’y a aucune loi au Canada qui oblige les cigarettiers à déclarer les ingrédients des produits de vapotage. Ni la Santé publique ni le centre antipoison ne le savent », déplore le Dr Perron. Les arômes, à eux seuls, peuvent être fabriqués à partir de centaines de composés chimiques différents.

Ne jamais commencer ?

Peut-on encore conseiller aux patients d’utiliser la cigarette électronique pour cesser de fumer ? Santé Canada est caté­gorique : « Si vous ne vapotez pas, ne commencez pas ». Pourtant, les cas de pneumopathies associées au vapotage restent encore sporadiques. Mais plusieurs risques planent. Il y a ainsi l’attraction que la cigarette électronique exerce sur les jeunes. Mais aussi le danger de transformer un fumeur en fumeur-vapoteur. « L’utilisation croisée des cigarettes et des produits de vapotage ne cesse de s’accroître », signale le Dr Perron. Et il est possible que les mécanismes d’action des deux méthodes s’additionnent. « D’un point de vue physiopathologique, quand on fume, les particules inhalées se déposent dans les poumons. Quand on vapote, elles se rendent plus loin. Le poumon subit donc deux types d’atteintes différentes. »

Et puis, il y a tout l’inconnu qui entoure la cigarette électronique. Les différentes études et l’enquête canadienne sur le vapotage devraient permettre d’en savoir davantage. « On ignore ce qu’on va trouver. Avec les incertitudes que l’on a et ce qui ressort dans la littérature, il serait imprudent de recommander d’emblée la cigarette électronique pour la cessation tabagique. » //

BIBLIOGRAPHIE

1. Blagev DP, Harris D, Dunn AC et coll. Clinical presentation, treatment, and short-term outcomes of lung injury associated with e-cigarettes or vaping: a prospective observational cohort study. Lancet 2019 ; 394 (10214) : 2073-83.

2. Landman ST, Dhaliwal I, Mackenzie CA et coll. Life-threatening bronchiolitis related to electronic cigarette use in a Canadian youth. CMAJ 2019 ; 191 (48) : E1321-E1331.

3. Stanbrook MB. Vaping-associated lung illnesses highlight risks to all users of electronic cigarettes. CMAJ 2019 ; 191 (48) : E1319-E1320