les études en médecine se régionalisent
Nouvel emplacement d’externat à Baie-Comeau, construction d’un campus de l’Université McGill à Gatineau, doctorat en médecine de l’Université Laval bientôt offert à… Rimouski. Les facultés de médecine poursuivent leur délocalisation. Et c’est une bonne nouvelle pour la médecine familiale.
Louis Deschênes se félicite d’avoir fait son externat à Baie-Comeau. « J’ai été exposé à un grand nombre de situations cliniques. Et contrairement aux externats des grandes villes, j’étais presque toujours seul avec le médecin-superviseur. J’ai pu poser toutes les questions que je voulais. » Sa collègue, Gabrielle Vandal-Gélinas, renchérit : « L’enseignement était vraiment personnalisé. Les médecins, les infirmières, tout le monde me connaissaient. J’avais l’impression de faire partie de l’équipe médicale. »
Les deux étudiants figuraient parmi les quatre premiers candidats de l’externat longitudinal intégré que l’Université Laval a mis en place à Baie-Comeau en octobre dernier. L’université en a trois autres à Joliette, à Rimouski et à Lévis, mais celui de Baie-Comeau est le seul de type communautaire. « Un externat communautaire se déroule dans un petit hôpital qui a peu de spécialistes et où les médecins de famille assurent une diversité de soins, explique la Dre Julie Fortin, directrice des externats longitudinaux intégrés de l’Université Laval et médecin au GMF-U de Rimouski. D’ici 2025, nous en offrirons d’autres dans les régions de Chaudière-Appalaches, du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie. »
Pourquoi commencer par Baie-Comeau ? « La Côte-Nord est la région de notre Réseau universitaire intégré de santé qui a la plus grande pénurie de médecins, répond le Dr Jean Ouellet, directeur de l’enseignement en région à la Faculté de médecine de l’Université Laval. De plus, les médecins de l’Hôpital Le Royer de Baie-Comeau et du GMF-U étaient très motivés à accueillir des externes. » À preuve, presque tous les médecins de la ville ont accepté de faire de la formation, selon Louis Deschênes. « Pour mon stage de chirurgie, j’ai été supervisé par les quatre chirurgiens de l’hôpital ! »
En plus des externats longitudinaux intégrés, l’Université Laval poursuivra son déploiement en région en ouvrant en 2022 deux pavillons d’enseignement à Rimouski et à Lévis, qui accueilleront chacun dix-huit étudiants au doctorat en médecine dès la première année. Un projet qui vise à exposer les futurs médecins aux réalités de la pratique en région.
De son côté, l’Université McGill inaugurera bientôt son nouveau campus en Outaouais, construit au-dessus de l’urgence de l’Hôpital de Gatineau. En septembre, vingt-quatre étudiants pourront y entamer leurs études médicales de premier cycle. « Ce sera le même programme qu’à Montréal, mais en français, indique le Dr Gilles Brousseau, doyen associé et directeur du campus. Il y aura un centre de simulation de pointe, un laboratoire d’anatomie et un amphithéâtre de 250 places. »
L’Université McGill offre déjà l’externat à Gatineau depuis 2010. Et dès septembre, elle y donnera également son année préparatoire, en collaboration avec l’Université du Québec en Outaouais. « Il sera possible de faire toutes ses études de médecine à Gatineau », souligne le Dr Brousseau.
Rappelons que les deux autres facultés de médecine québécoises sont délocalisées depuis plusieurs années. En 2004, l’Université de Montréal a été la première à faire le saut en s’installant à Trois-Rivières. Quant à l’Université de Sherbrooke, son programme de médecine est offert depuis 2006 à Saguenay et à Moncton au Nouveau-Brunswick.
Depuis l’arrivée de l’Université de Montréal à Trois-Rivières, le nombre de médecins de famille en Mauricie–Centre-du-Québec est passé de 411 à 624 en 2018. « Le ratio par 100 000 habitants a presque rejoint la moyenne québécoise alors qu’il était largement inférieur auparavant », indique la chirurgienne Marie-Hélène Girouard, vice-doyenne associée du campus de la Mauricie.
Les diplômés du doctorat délocalisé qui ont terminé leur résidence représentent 60 % des nouveaux médecins de famille de la région. Toutefois, les répercussions réelles du campus sont encore plus importantes, selon la Dre Girouard. « Il permet d’attirer des médecins qui souhaitent enseigner », affirme-t-elle.
Pour la Dre Sharon Hatcher, doyenne associée de l’Université de Sherbrooke pour le Programme de formation médicale à Saguenay, « les campus, les externats et les résidences en région sont la voie à suivre pour assurer une bonne répartition des médecins au Québec ». Médecin de famille au GMF-U de Chicoutimi, elle précise que 87 % des diplômés du Programme de formation médicale de Saguenay exercent à l’extérieur des grands centres, dont 36 % au Saguenay–Lac-Saint-Jean.
« Nous ne sommes plus en pénurie de médecins spécialistes, car environ 30 % de ceux qui ont fait leur résidence ici finissent par revenir dans la région, se réjouit la Dre Hatcher. Par exemple, une neurochirurgienne, diplômée en 2011, s’est établie chez nous l’an dernier. »
Toute cette capacité d’attraction, la communauté médicale de la Côte-Nord espère en profiter avec l’externat longitudinal intégré de Baie-Comeau. « Lors de l’externat, les jeunes réfléchissent à leur avenir, dit le Dr David Lee, directeur du GMF-U de Manicouagan, qui a orchestré la mise en place de l’externat longitudinal intégré. Ils vont voir qu’on fait une médecine de qualité avec des défis professionnels intéressants. Ils vont être séduits par la qualité de vie et le grand air. Avec ces externats, on intéresse plus précocement les étudiants à la médecine en région. »
Si on se fie aux chiffres, le Dr Lee a raison d’être optimiste pour l’avenir : 94 % des étudiants de l’externat de Rimouski choisissent d’exercer en région une fois leur résidence en médecine familiale terminée. Par ailleurs, notons que l’Université Laval a reçu le prix Keith 2019 de la Société de médecine rurale du Canada parce que 50 % des médecins de famille qu’elle a diplômés en 2008 pratiquaient toujours en région dix ans plus tard. La moyenne canadienne tournait alors autour de 20 %.
Les jeunes tentés par la médecine de famille ont-ils plus tendance à sortir des grands centres pour faire leur parcours d’apprentissage ? Ou est-ce que ce sont les études en région qui favorisent le choix de la médecine de famille ? Sans doute les deux, mais une chose est certaine, les initiatives de délocalisation ont un effet positif sur le nombre d’omnipraticiens.
Ainsi, ce sont 62 % des finissants de l’externat longitudinal intégré de l’Université Laval à Rimouski qui ont opté pour une résidence en médecine familiale ; 59 % des diplômés de l’Université de Sherbrooke à Saguenay ; et 64 % de ceux de l’Université de Montréal à Trois-Rivières.
Données intéressantes provenant du Service canadien de jumelage des résidents : l’Université de Sherbrooke (48,8 %) et l’Université de Montréal (40,1 %) ont la plus grande proportion d’étudiants ayant inscrit la médecine de famille comme premier choix de résidence en 2019. Et ce sont justement elles qui ont décentralisé tout leur programme de médecine en région. À titre comparatif, ce sont 30,4 % des étudiants de l’Université Laval et 27,3 % de ceux de l’Université McGill qui ont fait ce choix. Des pourcentages qui pourraient grimper avec leurs futurs campus régionaux.
En effet, les recherches montrent que le contact avec des médecins de famille a une influence sur le choix de cette spécialité. « Dans les grandes villes, la formation est surtout donnée par des médecins spécialistes tandis que les médecins de famille sont davantage engagés en région, explique le Dr Gilles Brousseau. Cette situation valorise la médecine familiale aux yeux des étudiants, en plus de les rapprocher du terrain. Les médecins de famille rendent aussi la théorie plus concrète. Au Campus Outaouais de l’Université McGill, près de la moitié des enseignants seront des médecins de famille. »
De même, l’externat longitudinal intégré offre une plus grande exposition à la médecine familiale. Au lieu d’un stage de six semaines dans cette spécialité, comme dans l’externat classique, l’étudiant est jumelé avec un omnipraticien ou un groupe d’omnipraticiens qui le supervise plusieurs mois. « La notion de prise en charge des patients et de continuité des soins est très présente », souligne la Dre Julie Fortin.
Pour Gabrielle Vandal-Gélinas, qui pensait déjà s’orienter en médecine familiale avant de faire son externat, l’expérience a été concluante. « Suivre des patients, voir l’évolution de leur état de santé, développer une relation avec eux, traiter une diversité de cas cliniques, c’est ce qui rend la médecine familiale si intéressante. » //