La mode est aux indicateurs de toute sorte : pertinence, performance, accessibilité et autres. Mais où sont les indicateurs de responsabilité ? Ils sont pourtant nombreux dans les courriels de ma direction.
Empreints d’émotion, ces courriels décrivent des situations où il est parfois trop tard pour agir. Les médecins visés subiront les conséquences de leur inaptitude ou désintéressement à prendre en charge les questions qui les concernent directement.
La Dre Julie Lalancette, omnipraticienne, est directrice de la Planification et de la Régionalisation à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
L’envie d’écrire cet article m’est venue récemment à la suite d’un fait vécu. Depuis plusieurs années, le médecin responsable d’un GMF transfère la totalité de la subvention à la personne engagée pour faire la gestion du groupe. Or, ce gestionnaire est aussi propriétaire de l’édifice et de la clinique et il refuse de s’acquitter de certaines de ses obligations fiscales pouvant ainsi entraîner le médecin responsable dans une situation délicate. Pourtant, le GMF est responsable de sa gestion et des balises qu’il impose aux personnes qu’il recrute pour l’assister dans la gestion de son groupe. Nous sommes ici en présence d’une situation qui suscite des questionnements en matière de conflit d’intérêts.
Cette situation, loin d’être unique, exprime clairement la tendance qu’ont pris plusieurs GMF de confier toute la gestion à des tiers, sans évaluer les conséquences de leurs actes. Ce sont d’ailleurs ces tiers qui nous appellent pour obtenir des renseignements plutôt que les médecins responsables. Fréquemment, nous devons insister pour donner nos explications et nos conseils à nos membres par l’entremise du médecin responsable. Nous avons même déjà été informés que certains médecins responsables d’un GMF avaient été remplacés sans que ceux déjà en poste en soient avisés au préalable. Comment une telle chose est-elle possible ? Les décisions se prennent-elles démocratiquement en réunion ?
Plusieurs médecins nous ont contactés pour avoir des conseils sur le congédiement d’un ou d’une collègue. Dans plusieurs cas, il n’y avait pas d’entente entre les médecins régissant les modalités de fonctionnement du GMF. Des principes de base de gestion devraient s’appliquer pour permettre à chacun d’avoir un cadre de référence en cas de difficulté. Les ententes sont superflues quand tout va bien, mais nécessaires en cas de litige. Les critères de prise de décision (vote, majorité, consensus, etc.), le rôle du médecin responsable et ses limites, les modalités d’assistance aux réunions, le partage des tâches médicoadministratives, le travail en horaire défavorable, la mixité des tâches sont des éléments fondamentaux à intégrer dans une entente. Ils doivent être indépendants de l’aspect contractuel locatif et s’appliquer à l’ensemble des médecins du GMF, propriétaires de clinique ou non. Le fait que le modèle GMF fasse l’objet d’un programme n’empêche aucunement de telles initiatives. Ces ententes étaient d’ailleurs obligatoires dans le passé.
Fréquemment, le médecin responsable s’acquitte seul d’une partie des tâches, dont la gestion financière qu’il confie à un gestionnaire au lieu de faire participer ses collègues. La banque d’heures du GMF rétribue à tort les tâches individuelles non facturables (résultats de laboratoires, assurances, etc.) des médecins du GMF alors qu’elle devrait soutenir le médecin responsable et ses collègues dans le partage des activités médicoadministratives du GMF.
Les GMF multisites sont actuellement légion. Voilà une belle façon de rehausser le financement des installations, mais à quel prix ? Celui de l’éloignement du médecin responsable des autres emplacements et d’une prise de pouvoir grandissante des établissements. Dans ces méga-GMF, le leadership médical est occulté. À ce titre, les GMF multisites mixtes (établissement et cabinets) sont aux prises avec des querelles intestines de partage des actifs. Nous avons rencontré des médecins qui n’avaient jamais communiqué avec le médecin responsable qui exerçait ailleurs. Il est difficile d’imaginer transparence et cohésion dans le développement des services offerts par ces GMF. Le choix du DME dans ces groupes illustre bien les enjeux auxquels ils font face. Les établissements, pour renouveler leurs ressources informatiques, procèdent par appel d’offres public. Dans le choix du DME, le plus bas soumissionnaire satisfaisant aux critères de qualité risque fort d’être choisi, bien que le premier choix des médecins soit différent. Cette situation se vit actuellement concrètement. Les médecins n’ont d’autre choix que d’accepter de changer de DME ou de quitter le GMF. Dans une autre région, le GMF multisite est touché par le choix d’un nouveau DME qui n’est pas celui qui régnait en maître dans la région. Le transfert des données s’est transformé en cauchemar en raison de la trop faible capacité Internet. Les GMF en établissement nous mentionnent fréquemment l’absence de volonté de ces derniers à financer la portion informatique qu’ils devraient assumer en dehors de la subvention GMF. De plus, ces groupes subissent fréquemment l’ingérence des gestionnaires d’établissement dans le travail des professionnels. Il ne suffit que d’une ligne dans la description du programme parlant de l’encadrement clinique pour que les gestionnaires d’établissement tentent d’imposer leurs volontés sur les activités quotidiennes des professionnels. Dans cette même ligne du programme, l’autorité fonctionnelle du médecin est définie par la surveillance du bon fonctionnement des activités quotidiennes. Si on voulait semer la confusion, on ne ferait pas mieux. Le médecin doit se transformer en contremaître, en surveillant d’activités dont la nature est décidée par quelqu’un d’autre. Malgré les avantages théoriques du contrat de service avec les établissements en ce qui a trait à la gestion des absences, des congés et des vacances, les conflits dans ce secteur sont universels. Par exemple, une forte proportion de GMF n’obtient pas de professionnels de remplacement en cas d’absence prolongée. De plus, les médecins ont de la difficulté à remplacer les professionnels choisis et désignés par l’établissement selon les critères propres aux conventions collectives respectives, lorsque ces derniers n’ont pas le profil recherché.
Enfin, sur une base individuelle, certains médecins, bons samaritains, procurent au GMF une clientèle hautement pondérable sans pour autant recevoir leur juste part de ressources humaines et matérielles que nécessitent ces clientèles très vulnérables. Pourtant, rien dans le modèle actuel n’oblige tout le monde à pratiquer de la même façon. La polyvalence de groupe contribue à améliorer l’offre de service, compte tenu de l’éventail des secteurs d’activité que les médecins de famille doivent couvrir. L’avenir nous réserve des surprises à cet égard par rapport à la révision des modèles actuels.
Nous sommes malheureusement bien loin du modèle de base. Créé il y a plus de vingt ans, ce modèle reposait sur l’autorité fonctionnelle des médecins. Ce concept n’a maintenant que peu de racines à l’extérieur des GMF matures à dimension humaine. L’échec douloureux de la table provinciale des GMF en témoigne. Quand nous tentions de réveiller la fibre entrepreneuriale de nos collègues, on nous mentionnait l’omnipuissance et l’ingérence des établissements. Il est vrai que la surcharge de travail et l’alourdissement des tâches contribuent à l’explosion des cas d’épuisement professionnel chez les médecins.
L’élaboration d’ententes favorisant le partage équitable des tâches et des ressources doit constituer le point de départ d’un virage qu’il faudra nécessairement prendre si l’on veut conserver un minimum d’autorité.
Est-il trop tard ? Ces groupes deviendront-ils le prolongement des établissements, des producteurs d’indicateurs ? Vous seul le savez. L’évolution du modèle actuel et la révision du programme suscitent à raison maintes inquiétudes chez nos membres. Pour gagner, il faut être prêt à perdre.
Alors nous verrons. Beaucoup de gens ne veulent que notre bien ! //