Vous êtes de garde à l’urgence pendant le carnaval lorsque des ambulanciers, accompagnés de policiers, vous amènent un homme dans la cinquantaine manifestement ivre qui errait au milieu des voitures sur un boulevard passant. Il cherchait à donner des coups de canne de carnaval aux automobiles en mouvement. Il n’est pas combatif, mais affirme qu’il doit retourner « donner une leçon » aux automobilistes et demande qu’on lui « fiche la paix ». Il a une haleine éthylique, des problèmes de coordination, n’a pas de signes d’avoir été frappé et, une fois installé sur la civière, s’endort rapidement. Le personnel vous demande si vous voulez le mettre en garde préventive. Que faites-vous ?
Un jugement récent de la Cour d’appel est venu rappeler qu’à défaut d’une ordonnance du tribunal, le consentement du patient est requis pour effectuer une évaluation psychiatrique qui servira à demander une ordonnance de garde*. Depuis, le ministère a émis des directives concernant l’obtention du consentement du patient à l’évaluation psychiatrique dans le cadre de la garde préventive. Ces directives peuvent sembler tatillonnes pour certains, mais elles découlent de l’interprétation que fait la cour de la loi. Elles sont donc incontournables. Comme elles peuvent avoir une influence sur le travail des médecins à l’urgence et qu’elles peuvent remettre en question la facturation possible de certains services, mieux vaut en parler.
La loi prévoit que chaque individu dispose de droits fondamentaux, dont ceux de ne pas être contraint dans sa liberté de mouvement et de ne pas être obligé de subir des traitements contre son gré. Le consentement éclairé est à la base de tout traitement.
Or, il arrive que certaines personnes aient des comportements dangereux pour eux-mêmes ou pour d’autres. Lorsque ces comportements découlent d’un problème de santé mentale, la loi prévoit un cadre de protection qui peut limiter la liberté des individus en cause. Dans certaines conditions, il est possible de « garder » ces individus dans un établissement de santé de façon temporaire.
Trois types de garde sont prévus : la garde dite « régulière » (qui découle d’une ordonnance de la cour), la garde provisoire (faisant suite à un ordre de la cour dans le but d’effectuer une évaluation psychiatrique) et la garde préventive (mise en place par un médecin lorsque le danger est grave et imminent). Les médecins qui exercent à l’urgence sont généralement appelés à voir des patients dans les deux dernières situations.
La garde préventive permet à un établissement de retenir une personne contre son gré pour l’empêcher de se faire mal ou de blesser autrui. S’il est possible durant la période en question (72 heures depuis le début de la garde) d’effectuer une évaluation psychiatrique, l’établissement pourra présenter une demande à la cour pour demander une ordonnance de garde. Cette demande doit être accompagnée de deux évaluations psychiatriques qui en confirment le besoin.
Toutefois, le droit de retenir une personne à l’hôpital ne permet pas au médecin de lui imposer une évaluation psychiatrique contre son gré. C’est ce qu’est venu réaffirmer la Cour d’appel dans le jugement évoqué plus tôt. Ça veut donc dire que si la personne en garde préventive consent à subir une évaluation psychiatrique et que deux psychiatres concluent que la garde est nécessaire, l’établissement sera en mesure de faire une demande d’ordonnance de garde. Si la personne refuse l’évaluation psychiatrique, l’établissement doit faire des démarches pour que la cour ordonne une évaluation (garde provisoire).
Deux évaluations psychiatriques consécutives concluant à la nécessité d’une garde suffisent pour faire une demande d’ordonnance de garde, tant que les délais sont respectés. Sans consentement du patient, il n’y aura pas d’évaluation psychiatrique. Comme « un médecin » ou toute autre personne intéressée peut faire une demande d’ordonnance de garde provisoire, le médecin qui aura reçu le patient à l’urgence ou un autre médecin qui lui a prodigué des soins (notamment un psychiatre) peut en faire la demande. En raison de l’absence de consentement du patient à une évaluation, l’avis du médecin sera nécessairement assez sommaire et ne répondra pas aux exigences d’une évaluation psychiatrique.
Nous avons indiqué qu’un psychiatre peut appuyer la demande d’ordonnance de garde provisoire adressée à la cour. Toutefois, la loi prévoit que l’évaluation psychiatrique (qui sera requise pour appuyer une demande de garde régulière) ne peut pas être faite par la personne qui a demandé la garde provisoire. De plus, celui qui fait l’examen ne peut être le conjoint, un allié, un proche parent ou le représentant de la personne qui fait l’objet de l’examen ou qui en fait la demande. Donc, à moins d’exercer dans un milieu qui dispose d’un grand nombre de psychiatres, il serait plus prudent d’éviter que le psychiatre soit associé à la demande de garde provisoire quand le patient refuse de subir une évaluation psychiatrique. Un médecin de l’urgence est un meilleur choix, à moins qu’il ne soit le conjoint du psychiatre qui sera appelé à faire l’évaluation ou qu’il soit autrement lié à celui-ci.
Le consentement du patient à subir une évaluation psychiatrique a donc des conséquences importantes sur les démarches que doit entreprendre l’établissement. Afin de faciliter les choses, le médecin pourra être tenté de présumer du consentement du patient à l’évaluation. Une telle approche n’est pas acceptable et invalide les évaluations obtenues. Le consentement doit être éclairé. C’est donc dire que le patient doit être conscient de son droit de refus et des conséquences d’un refus (et de l’acceptation) avant que le psychiatre ne procède à l’évaluation. Le médecin a donc le devoir d’informer le patient avant de pouvoir affirmer que le patient consent.
Dans la cause qui a donné lieu au jugement de la Cour d’appel, le patient s’était soumis à la première évaluation psychiatrique. Avant la deuxième, le personnel de l’hôpital lui avait remis un dépliant l’informant du processus légal et indiquant qu’il pouvait refuser de s’y soumettre. Le patient avait donc manifesté son refus de faire l’objet d’une deuxième évaluation, mais le psychiatre était passé outre. Bien que la juge de première instance ait ordonné la garde sur la base de ces deux évaluations, la Cour d’appel a conclu que les deux évaluations n’étaient pas recevables. Dans le cas de la première, il semblait clair que le patient n’avait pas été informé de son droit de refus. Dans le cas de la deuxième, les notes mêmes du psychiatre montraient que le patient refusait de subir une évaluation. Son « consentement tacite » n’était donc pas un consentement éclairé, ce qui invalidait les deux évaluations psychiatriques selon la Cour d’appel qui a alors cassé l’ordonnance initiale.
Cette insistance sur le respect du consentement éclairé fait ressortir un deuxième problème potentiel. Bien que la loi autorise un établissement à fournir les « soins d’hygiène personnelle » sans l’autorisation du patient, la garde préventive ne l’autorise pas à prodiguer des soins médicaux contre le gré du patient. Cela peut poser des problèmes pendant l’attente des évaluations et fait généralement en sorte que l’établissement formule une demande d’ordonnance de traitement en même temps que la demande de garde.
Dans le cadre de la garde préventive, le patient doit donner son consentement éclairé à subir les deux évaluations psychiatriques requises pour obtenir une ordonnance de garde en établissement, faute de quoi l’établissement doit faire une demande d’ordonnance de garde provisoire. |
Si le patient refuse de se soumettre à une évaluation psychiatrique (ou s’il accepte initialement et par la suite refuse), le médecin responsable devra déterminer si le patient est dangereux pour lui-même ou pour les autres, de manière à produire un rapport pour accompagner la demande de garde provisoire. Comme le patient refuse une évaluation formelle, il s’agira d’un avis sommaire reposant sur les faits rapportés (par les ambulanciers ou la police) et sur les propos et agissements du patient qu’a observés le professionnel.
Le patient peut toujours contester le respect des règles de la garde provisoire ou de l’ordonnance de garde. C’est ce qui s’est produit dans la cause relatée. Comme la validité du consentement du patient peut être remise en cause, certains milieux préfèrent qu’un tiers (un médecin qui n’a pas participé à l’évaluation) atteste du consentement avant de faire appel au psychiatre. Mais il s’agit d’un choix. Le consentement pourrait être établi par le psychiatre dans son rapport et lors de son témoignage, au besoin. Les formulaires fournis par le ministère pour consigner l’information donnée et l’acceptation du patient peuvent aussi être d’un grand secours si le patient accepte de les signer. Même si l’établissement demande au médecin de l’urgence de consigner le consentement au dossier avant de faire appel au psychiatre, il serait opportun que le psychiatre évaluateur valide les démarches entreprises pour s’assurer du consentement du patient et qu’il confirme dans son rapport d’évaluation que le patient a consenti afin de réduire le plus possible la possibilité que le médecin d’urgence doive témoigner sur la question.
Reste à traiter de la garde provisoire et de la rémunération de ces services. Ce sera le sujet de la chronique du mois prochain. D’ici là, bonne facturation ! //