Les membres nous appellent parfois pour connaître leurs obligations lorsqu’un patient veut avoir accès à son dossier. Les règles sont claires, mais leur application concrète en cabinet peut poser des problèmes. Discutons-en !
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Les médecins doivent souvent traiter des demandes de patients qui souhaitent obtenir une copie de leur dossier médical afin de permettre à un autre médecin de leur prodiguer des soins, de justifier une absence auprès d’un employeur, de recevoir des prestations d’assurance, voire d’évaluer la qualité des soins en vue d’une possible poursuite en responsabilité civile. Parfois, la demande vient directement du patient qui veut consulter son dossier pour savoir ce qui y est indiqué. Une telle demande peut résulter de la méfiance de certains patients envers « le système de santé » ou envers leur médecin ou encore peut provenir de patients qui souffrent d’un problème de santé mentale ou qui sont en conflit avec leur médecin ou un assureur.
De façon générale, tout patient de plus de 14 ans a le droit de consulter son dossier, d’y faire corriger les erreurs et de faire supprimer des informations fausses, équivoques ou non pertinentes. Ce droit impose toutefois certaines obligations au détenteur du dossier. Selon que le médecin exerce en cabinet ou en établissement, les règles applicables découleront du Code de déontologie des médecins ou de la Loi sur les services de santé et les services sociaux. Sur la question de l’accès au dossier et du droit de demander des corrections, les règles sont plus ou moins les mêmes. Les médecins exerçant en cabinet privé sont en plus sujets à la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé.
En établissement, c’est plus souvent le Service des archives médicales qui traitera ces demandes. En cabinet, le médecin devra indiquer à son personnel comment répondre à de telles demandes. Nous allons donc nous concentrer sur le processus dans ce milieu.
Selon la Loi sur l’accès à l’information, la demande d’accès, de rectification ou de suppression doit se faire par écrit. Le médecin doit y répondre de façon diligente au plus tard dans les vingt jours en remettant la copie au patient ou en lui permettant de consulter son dossier. Dans la mesure où la demande de copie de dossier ne vise pas à obtenir des soins, mais est faite seulement à des fins personnelles, le médecin peut demander des frais pour la copie. Ces frais ne peuvent dépasser le coût de reproduction ou d’impression. Par ailleurs, le médecin ne peut retenir les documents en attendant que le patient acquitte les frais. Enfin, le médecin doit aviser le patient des frais demandés avant d’effectuer les copies.
En ce qui a trait aux demandes de correction ou de suppression d’information, le médecin dispose de trente jours pour y répondre.
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Le médecin doit donner au patient de 14 ans et plus accès à son dossier, à deux exceptions près. D’abord, le médecin peut temporairement refuser au patient l’accès à son dossier ou à une partie de celui-ci lorsque l’information qui s’y trouve « causerait vraisemblablement un préjudice grave à la santé du patient ». De plus, le médecin ne peut communiquer un renseignement concernant le patient ou inscrit au dossier quand ce renseignement a été fourni par un tiers, qu’il permet d’identifier ce tiers et que sa divulgation serait susceptible de lui nuire sérieusement. Le tiers peut toutefois y consentir. L’interdiction de divulgation ne s’applique pas dans un cas d’urgence mettant en danger la vie, la santé ou la sécurité de la personne concernée. En l’absence du consentement de la tierce personne, les renseignements doivent être caviardés. Les rapports ou notes de professionnels de la santé ne sont pas considérés comme des renseignements fournis par un tiers au sens du Code de déontologie.
Notez bien que le refus sur la base de « l’exception thérapeutique » est temporaire et se limite à la durée du risque pour le patient. En outre, l’exception s’applique quand la divulgation peut entraîner un risque de préjudice grave à la santé du patient. Le simple fait que le patient éprouve de la peine ou soit choqué ne constitue pas un motif de refus suffisant. Le refus pour exception thérapeutique, surtout en cabinet, devrait donc être exceptionnel. Dans la mesure où l’accès du patient à son dossier est un droit, l’exception doit être appliquée de façon très restrictive.
Le médecin doit communiquer son refus par écrit, en préciser les motifs et informer le patient des recours possibles au cas où il voudrait contester. Le Code de déontologie prévoit que le patient doit être informé de ses recours seulement lorsqu’il le demande, mais la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé ne fait pas cette distinction. Le patient a trente jours pour présenter une demande par écrit à la Commission d’accès à l’information après le refus ou l’expiration du délai de réponse du médecin. La demande doit être accompagnée du paiement des frais exigibles. La Commission peut accepter de prolonger le délai de 30 jours au cas par cas.
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Le patient de moins de 14 ans ne peut accéder à son dossier directement, mais un avocat mandaté pour le représenter peut toutefois le faire à sa place. Cette restriction ne doit toutefois pas avoir pour conséquence d’empêcher l’enfant de communiquer comme il le veut avec son médecin. Les détenteurs de l’autorité parentale peuvent également demander l’accès au dossier. L’accès peut leur être refusé dans certaines circonstances, en particulier lorsqu’ils font l’objet d’une intervention en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse et que cette consultation pourrait causer un préjudice à la santé de l’enfant. Quand l’enfant atteint 14 ans et jusqu’à ses 18 ans, les parents ne peuvent avoir accès au dossier de leur enfant sans que ce dernier accepte lorsque la demande vise des services auxquels l’enfant peut consentir seul (des services thérapeutiques tels que la contraception ou un avortement, par exemple).
Des patients peuvent demander l’accès à leur dossier par curiosité. Mais plus souvent, ils le font parce qu’ils ont des craintes sur le contenu. Certaines informations au dossier sont factuelles (date de naissance, adresse, diagnostic reposant sur un rapport de pathologie, tests de laboratoires ou rapport de consultation). D’autres peuvent cependant être liées aux impressions du médecin (notes concernant l’attitude du patient envers le médecin ou le personnel, respect des recommandations de traitement, propos tenus). Certains patients peuvent chercher à se prévaloir de leur droit pour faire corriger des « erreurs » dans le but de « changer le passé ». Il s’agit de deux choses très différentes.
La correction des erreurs se limite à rectifier des informations qui sont objectivement fausses : mauvais nom, mauvaise date ou inversion de rapports de patients différents, par exemple. De telles corrections devraient être simples.
Lorsque le patient veut faire supprimer des observations que le médecin a consignées au dossier, des commentaires sur son comportement ou sur le respect de son traitement, c’est autre chose. Dans la mesure où il s’agit de remarques factuelles et qu’il est pertinent de les consigner au dossier, le médecin n’a pas à les modifier ni à les supprimer.
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Lorsqu’il s’agit d’opinions ou de commentaires éditoriaux (ex. : utilisation de plusieurs points d’exclamation après la transcription de l’explication d’un patient relativement à une situation que le médecin juge peu convaincante, par exemple), il peut être plus sage d’accepter de les supprimer. De façon générale, dans pareille situation, il serait plus approprié de relater des faits (ex. : explication du patient en contradiction avec d’autres éléments inscrits au dossier) que d’indiquer son impression subjective, même si cela peut nécessiter un peu plus de temps.
Le patient doit formuler sa demande de rectification ou de suppression par écrit. Lorsque le médecin refuse, il doit en faire part au patient par écrit et en préciser la raison. Il dispose d’un délai de trente jours à partir de la date de la demande initiale pour lui répondre. Et il doit l’aviser de ses recours à la Commission d’accès à l’information (voir la section précédente).
Lorsque le médecin modifie le dossier en rectifiant une information, il doit remettre une copie de la version corrigée au patient, de même qu’à toute personne à qui l’information incorrecte aurait été communiquée. S’il supprime une information, il doit remettre une attestation de la suppression de l’information. Dans les deux cas, il ne peut réclamer de frais pour la copie ou l’attestation.
Qu’est-ce qui peut poser le plus de problèmes pratiques dans la gestion de ces demandes et dans la gestion de l’accès qui est donné au patient ? Le Code de déontologie des médecins prévoit que le médecin doit s’assurer qu’une personne est disponible pour aider le patient à comprendre les informations au dossier, soit leur sens et leur portée. Lorsque le dossier est sur papier, le patient peut assez facilement suivre l’évolution des notes consignées par date de consultation. Un patient consultant le dossier sans supervision pourrait saisir l’occasion de se « faire justice » en retirant les pages qu’il juge offensantes. Une personne peut donc être requise non seulement pour donner des explications au patient sur certains tests ou rapports, mais aussi pour exercer une certaine supervision.
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Les dossiers électroniques soulèvent d’autres problèmes concrets. Si le médecin donne directement accès au dossier, en plus des risques de modification par le patient et du besoin d’expliquer le contenu, il peut devoir donner une formation au patient pour qu’il soit en mesure de comprendre comment le dossier est organisé, les informations n’étant pas nécessairement séquentielles.
Enfin, il ne faut pas oublier les limites du droit du patient de consulter son dossier. Si le dossier contient des informations fournies par des tiers, qui permettent d’identifier ce dernier et dont la divulgation pourrait lui nuire sérieusement, les informations doivent être caviardées, à moins d’avoir l’autorisation du tiers en question.
Il peut donc être plus facile d’imprimer une copie intégrale du dossier, de la caviarder et de permettre au patient de la consulter sur place. Comme il s’agit d’une solution imposée par le médecin pour donner suite au droit du patient de consulter son dossier, et non d’une demande de copie, le médecin ne peut réclamer de frais de copie. Et il va sans dire que le médecin ne peut non plus réclamer de frais pour la supervision ni pour la présence d’une personne (lui ou un membre de son personnel) visant à fournir des explications sur le contenu.
Vous aurez compris que la demande d’un patient de consulter son dossier peut s’avérer d’autant plus onéreuse que le dossier est volumineux. À l’époque des dossiers papier, les contraintes d’espace forçaient périodiquement les médecins à épurer le contenu des dossiers. Avec la transition vers les dossiers médicaux électroniques, une telle épuration peut sembler inutile, le coût du stockage diminuant régulièrement. Toutefois, l’épuration périodique du contenu de dossiers volumineux peut alléger le fardeau du médecin quand vient le temps de répondre à une demande d’accès au dossier. Elle peut aussi diminuer les frais d’extraction et de conversion dans un format qui peut être consulté sans licence de dossier médical électronique, si jamais vous décidiez de conserver les copies de vos dossiers au moment de votre retraite.
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Si le seul intérêt que vous voyez à l’épuration est de réduire vos obligations en cas de demande d’accès au dossier, vous pourriez concentrer vos efforts sur les dossiers volumineux qui risquent le plus de donner lieu à ce genre de demandes. Dans tous les cas, assurez-vous de respecter les normes du Collège des médecins.
Est-ce que cet article vous aide à répondre à d’éventuelles demandes ? Dans la prochaine chronique, nous traiterons de la tarification de la protection contre les recours en responsabilité professionnelle. À la prochaine ! //