La COVID-19 a favorisé l’essor de la télépratique chez les physiothérapeutes et les ergothérapeutes. Une nouveauté qui pourrait avoir un effet positif à long terme sur l’accessibilité aux services.
Depuis que la pandémie s’est installée, Michel Tousignant n’a plus l’impression de prêcher dans le désert. « Avant, les physiothérapeutes me disaient qu’ils aimaient trop faire des mobilisations et des manipulations pour travailler en télépratique, raconte celui qui est titulaire de la Chaire de recherche en téléréadaptation et directeur de l’École de réadaptation de l’Université de Sherbrooke. Maintenant, le téléphone n’arrête pas de sonner. »
Effectuer des traitements de physiothérapie à distance est en effet tout un changement de paradigme. Il aura fallu une crise sanitaire pour convaincre bon nombre de physiothérapeutes de se lancer.
Mélissa Cloutier-Gendron, physiothérapeute chez Kinatex Sports Physio à Sherbrooke, est de ceux-là. « Une grande partie du travail de physiothérapie consiste à observer le patient bouger. Et ça se fait très bien devant un écran. L’amplitude articulaire, la force musculaire, l’équilibre, l’endurance, je peux évaluer tout cela en regardant le patient faire des mouvements selon mes directives. »
La Clinique Cortex, spécialisée dans le traitement des commotions cérébrales, offrait déjà des services de téléréadaptation aux athlètes de manière occasionnelle. « Quand la COVID-19 a frappé, nous avons étendu les soins à distance à toute notre clientèle, dit le physiothérapeute Pierre Langevin, copropriétaire de la clinique de Québec. Après une commotion, la personne doit se reposer les premiers jours. Toutefois, pour bien récupérer, il faut ensuite qu’elle recommence à s’activer. »
La téléréadaptation exige évidemment des adaptations. Les proches des patients peuvent même être mis à contribution, par exemple en faisant la manœuvre de repositionnement de la tête utile au traitement d’une atteinte vestibulaire. « J’envoie au patient une vidéo qui montre quoi faire et je guide par la suite le conjoint pendant qu’il fait la manœuvre », dit Mélissa Cloutier-Gendron.
S’il est possible d’évaluer et de rééduquer un patient à distance, est-ce aussi efficace qu’en personne ? Oui, selon les recherches scientifiques sur le sujet. Par exemple, la Chaire de recherche en téléréadaptation a effectué un essai clinique à répartition aléatoire réunissant 208 patients ayant subi une arthroplastie du genou. La moitié d’entre eux étaient suivis en physiothérapie à domicile, les autres par visioconférence. Le programme d’exercices et le rythme des rencontres étaient identiques pour tous les participants.
« L’efficacité des traitements a été la même dans les deux groupes, indique Michel Tousignant. L’amplitude articulaire, la force musculaire, la marche, il n’y a pas eu de différences. » Même constat lors d’une recherche avec des patients souffrant d’une fracture de l’humérus.
Cependant, ce ne sont pas tous les cas qui se prêtent à la téléréadaptation. « Le patient qui a une hernie discale ou un autre problème de rachis, je préfère le voir en personne », lance Mélissa Cloutier-Gendron. Pierre Langevin souligne pour sa part que les techniques manuelles peuvent être nécessaires pour une récupération optimale. « Autrement, certains patients atteignent un plateau. Leur état peut même se détériorer. »
L’ergothérapeute pédiatrique Josiane Caron Santha a commencé il y a quelques années à offrir certains services à distance. Par exemple, elle coache des parents à distance, car « ce n’est pas toujours adéquat de parler de stratégies parentales devant l’enfant ». Elle peut aussi aider des ados à améliorer leurs habiletés sociales et la gestion de leurs émotions. « Pour certains, c’est moins confrontant de consulter en ligne qu’en personne », dit celle qui œuvre notamment auprès de jeunes autistes.
Avant la COVID-19, elle n’avait toutefois jamais travaillé la motricité globale des enfants par écran interposé. Comment faire et, surtout, comment bien le faire ? Pour développer ses stratégies, l’ergothérapeute souhaitait s’appuyer sur des données probantes. Elle a donc épluché toutes les études scientifiques sur le sujet menées aux États-Unis, où la télépratique en ergothérapie est en place depuis longtemps.
Pour Josiane Caron Santha, pas question que l’enfant reste assis devant l’écran. « Pour optimiser les résultats, je voulais intervenir par le jeu et dans l’action comme à la clinique. » Et c’est ce qu’elle a fait avec la collaboration des parents qui doivent se connecter avec un appareil mobile pour suivre les déplacements de l’enfant. « À la première séance, je demande à l’enfant de me montrer ses jouets. Je peux ainsi me créer un répertoire d’équipements qui serviront à mes interventions. »
L’ergothérapie à distance exige de la créativité pour tirer profit de l’environnement du patient. « En clinique, j’utilise un appareil spécialisé pour stimuler le système vestibulaire de l’enfant, dit celle qui a monté une formation en ligne sur la télépratique en pédiatrie. En téléréadaptation, je demande au parent d’asseoir l’enfant dans un fauteuil de bureau et de le faire tourner. »
La téléréadaptation pourrait bien être l’une des clés pour augmenter l’accessibilité et la qualité des soins. Michel Tousignant en est convaincu. « Des patients font le choix de se passer de traitements parce que c’est compliqué pour eux de se rendre à la clinique. D’autres attendent des mois avant d’avoir une place. Quant aux services à domicile, le système de santé ne peut pas répondre à tous les besoins ni offrir les soins à la fréquence nécessaire au rétablissement des patients. » Le chercheur préconise une approche hybride où les patients seraient vus tantôt en personne, tantôt en visioconférence.
Le physiothérapeute Pierre Langevin est du même avis. « Il y a beaucoup d’éducation et de coaching à faire auprès des personnes qui ont une commotion cérébrale. Une partie pourrait se faire en ligne. » Dans le cadre de son doctorat, le clinicien vient d’ailleurs d’entreprendre une étude sur l’efficacité de la téléréadaptation chez ces patients. Pour sa part, Mélissa Cloutier-Gendron compte recourir à la téléréadaptation pour aider les patients à ajuster leur poste de travail et à faire des exercices avec le matériel qu’ils ont à la maison. « Et ce sera vraiment pratique pour ceux qui viennent de se faire opérer et qui ont de la difficulté à se déplacer. »
La téléréadaptation a été déployée dans l’urgence, mais elle est là pour de bon. « La pandémie a permis de constater que la technologie peut contribuer à l’offre de soins optimaux, dit Alain Bibeau, président de l’Ordre des ergothérapeutes du Québec. Cependant, tout ne peut pas se faire en télépratique. Il est important de continuer la recherche et de faire une réflexion sur la manière d’intégrer la téléréadaptation aux services. »
À ce propos, l’École de réadaptation de l’Université de Montréal vient de lancer une étude pour établir les meilleures pratiques en téléréadaptation, en collaboration avec huit autres universités du Québec et d’ailleurs. L’objectif est d’énoncer des principes directeurs pour bonifier la pratique et de désigner des outils qui aident à la prestation des soins à distance, comme des algorithmes pour la prise de décisions.
De son côté, la Chaire de recherche en téléréadaptation de l’Université de Sherbrooke mène un projet de télésuivi auprès de patients en attente de services de consultation externe en physiothérapie. « On veut notamment savoir si le fait de voir un physiothérapeute une fois par mois en visioconférence peut les motiver davantage à faire leurs exercices », résume Michel Tousignant. L’équipe de la Chaire souhaite aussi mettre en place une clinique virtuelle de réadaptation pulmonaire pour les patients ayant été hospitalisés à cause de la COVID-19. //