Entrevues

Entrevue avec le président de l’association du Nord-Ouest

S’adapter pour mieux soigner

Claudine Hébert   |  2020-08-03

Épargnée par la COVID-19, la région du nord-ouest du Québec n’en demeure pas moins sur ses gardes, indique le Dr Jean-Yves Boutet, président de l’Association des médecins omnipraticiens du nord-ouest du Québec. La communication, désormais plus fluide entre les diverses équipes médicales réparties sur le territoire, sert d’ailleurs de rempart face au virus.

M.Q. — Comment les médecins omnipraticiens du Nord-Ouest se sont-ils adaptés à la crise de la COVID-19 ?

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J.-Y.B. – À l’instar des cliniques médicales de la province, nos médecins se sont ajustés aux nouvelles mesures sanitaires afin de poursuivre les consultations avec le moins de risques possible. À l’aide de la plateforme Reacts et du téléphone, la téléconsultation s’est rapidement imposée comme outil de soins. Plus de 80 % de nos patients ayant fait appel à leur médecin de famille ont d’ailleurs eu recours à cette formule. Le téléphone a été le moyen le plus utilisé, notamment auprès de notre patientèle âgée peu habituée avec les nouvelles technologies. Plus de 20 % de nos patients ont plus de 70 ans. Les rencontres virtuelles ont aussi largement contribué à mieux organiser les équipes sur le terrain.

M.Q. — Parlez-nous de cette dynamique organisationnelle.

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J.-Y.B. – Dès l’annonce de la pandémie au début mars, nous avons créé un comité de première ligne regroupant, entre autres, tous les gestionnaires de GMF et de GMF-U. Les directions de multiples organisations du CISSS A-T (DSPEU, SAPA, DSI), le comité de direction du Département régional de médecine générale (DRMG) ainsi que les membres de la direction de l’AMONOQ en font également partie. Les membres de ce comité se sont rencontrés virtuellement pendant une heure, deux fois semaine (mardi et jeudi à 8 h) depuis mars. À ce propos, avant la COVID-19, réunir tous ces intervenants sous un même toit nécessitait beaucoup de déplacements et de logistique. Plus de 70 km à 100 km de distance séparent les principales villes du territoire. Ces rencontres virtuelles ont donc grandement facilité nos échanges et surtout favorisé une meilleure adhésion aux mesures en place.

M.Q. — Que voulez-vous dire ?

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J.-Y.B. – Ces deux rencontres hebdomadaires ont notamment permis d’assurer la cohésion pour le dépistage, l’usage d’ÉPI, le déploiement et l’utilisation de la plateforme RVSQ ainsi que la réorientation des patients P4-P5 de l’urgence vers les GMF. Ces rencontres nous ont permis, et nous permettent encore, d’échanger de l’information, des idées innovantes, des conseils afin de rendre les équipes de soins plus efficaces, tout en évitant les erreurs. Et parce que les interactions sont directes entre les gestionnaires et les équipes de terrain de notre CISSS, cette dynamique de consultation sans intermédiaires favorise une bien meilleure synchronisation. Les pépins, les obstacles sont surmontés plus rapidement. Sur le plan communicationnel, il y a aussi très peu ou pas de mésinformations. Tout le monde reçoit le même message en même temps.

M.Q. — Avez-vous d’autres exemples de retombées positives issus de ce nouveau comité ?

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J.-Y.B. – La création des cliniques désignées d’évaluation COVID-19 (CDE) en est un. Il n’aura fallu que deux semaines pour mettre en place ce type de clinique dans chacune des cinq MRC du territoire. En d’au­tres temps, ce même projet aurait pris deux, peut-être même trois ans à voir le jour. Nous avons également un autre projet en tête pour aider notre patientèle plus âgée en cas de deuxième vague.

M.Q. — Quel est ce projet ?

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J.-Y.B. – S’il y a une deuxième vague qui nécessite un reconfinement, les personnes âgées seront encore les plus touchées. Pour cette raison, nous allons travailler avec le Soutien à l’autonomie des personnes âgées (SAPA) afin de mettre en place des bureaux de téléconsultations virtuelles dans les résidences pour aînés et les centres d’hébergement des ressources intermédiaires de plus de cinquante personnes. Ces bureaux seraient dotés d’équipements informatiques préprogrammés pour faciliter les consultations médicales par visioconférence. Le téléphone c’est bien, mais la téléconsultation à l’aide d’une caméra, c’est encore mieux. Elle permet aux médecins de mieux détecter les signes non verbaux et les lésions cutanées.

M.Q. — Qu’est-ce que les médecins vont, selon vous, retenir de cette crise ?

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J.-Y.B. – L’application de la téléconsultation. Cette formule n’est pas parfaite, mais elle a été bien aimée de tous. En plus de favoriser le respect des horaires de rendez-vous, la téléconsultation a facilité l’accès des patients aux médecins de famille. Pendant le confinement, j’ai pu m’adresser à des patients qui appelaient le jour même pour un rendez-vous, ce que je n’aurais pu faire avant la COVID-19. Pas de stationnement à payer ni de congé de travail à prendre, la téléconsultation simplifie le quotidien de plusieurs. Elle offre aussi beaucoup de souplesse aux travailleurs, notamment les camionneurs, ainsi qu’aux personnes âgées qui peuvent consulter sans aller à la clinique. En fait, la téléconsultation a permis de maintenir un lien avec les patients comme jamais auparavant.

M.Q. — Quels sont les effets négatifs de la COVID-19 ?

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J.-Y.B. – Nous commençons à ressentir la fatigue chez les médecins. Depuis le début de la pandémie, tout le personnel médical fonctionne en mode turbo. Tout le monde est assujetti à un stress. Et la fin de cette pandémie n’est pas pour demain. Cela prendra des mois, voire des années. Pendant le confinement, l’accès de nos patients aux médecins spécialistes a également été plus difficile. Il y a eu des contraintes liées au personnel infirmier. Plusieurs retards en chirurgie ont été signalés. Ce qui n’a pas aidé nos patients cancéreux. Tous ces problèmes ont d’ailleurs été mentionnés lors des rencontres de notre comité de première ligne. S’il y a une deuxième vague, nous souhaitons vivement la mise sur pied d’un centre régional prédésigné COVID-19 afin de garder les autres centres hospitaliers en mode vert ou non-COVID-19. Cela pourrait prévenir le report d’interventions chirurgicales, d’examens d’imagerie et de scopies.

M.Q. — Quelles sont vos solutions ?

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J.-Y.B. – Il faut demeurer vigilant auprès de nos patients atteints de maladies chroniques, tout en les rassurant. Il faut éviter de créer un sentiment d’abandon, notamment chez les personnes âgées. Il faut maintenir le contact.

M.Q. — Enfin, quelles sont vos réflexions sur la situation actuelle ?

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J.-Y.B. – En 2009, nous avions eu un avant-goût de ce que pouvait être une pandémie avec la grippe. Étant donné la mondialisation des transports, il était évident que la situation que nous vivons actuellement surviendrait un jour ou l’autre. Cette nouvelle maladie nous force à faire voler un avion en même temps que nous le construisons.
Cela dit, je suis d’avis que nous allons bien nous en sortir. Jusqu’à maintenant, le Nord-Ouest a été épargné par la COVID-19. Outre deux éclosions à Rouyn-Noranda, la région a été très peu touchée par le virus. Au début de juillet, nous recensions un total de 172 cas, dont quatre décès et une hospitalisation. À la fin de mars, les barrages routiers qui bloquaient l’accès à la région nous ont aidés. Cette mesure a contribué à freiner la propagation du virus. Autre facteur notable qui explique le faible taux de prévalence dans la région : l’absence de transport en commun. Et en raison de nos grands espaces, les gens ont pu continuer d’aller dehors, tout en maintenant les règles de distanciation sociale. Bref, ces facteurs ont aidé notre population à garder le moral.