Dans l’article du mois dernier, nous n’avions pas décidé si nous devions mettre notre patient du carnaval en garde préventive ni quels services nous devions réclamer. Avant de revenir à notre patient, traitons de la garde régulière, de la garde provisoire et de la rémunération des évaluations dans un tel contexte. Allons-y !
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
La garde provisoire est ordonnée par un juge. Elle peut être requise quand le patient accepte de rester à l’hôpital, mais refuse de se soumettre à une évaluation psychiatrique. Cette garde accorde à l’établissement 24 heures à partir de la prise en charge (ou de l’ordonnance si le patient est déjà en garde préventive) pour effectuer une première évaluation. Si le premier psychiatre conclut que la garde est nécessaire, l’établissement dispose d’au plus 96 heures à partir de la prise en charge (ou d’au plus 48 heures à partir de l’ordonnance si le patient était déjà en garde préventive) pour effectuer une deuxième évaluation psychiatrique. Ces évaluations sont ordonnées par la cour malgré le refus du patient. Dès qu’une des deux évaluations montre que le patient ne présente pas de danger grave et imminent pour lui-même ou pour autrui, l’établissement doit le laisser quitter l’hôpital s’il le désire.
Si les deux évaluations consécutives indiquent que le patient souffre d’un problème de santé mentale et qu’il est effectivement dangereux pour lui-même ou pour autrui, l’établissement doit présenter une demande de garde à la cour dans les délais prévus. Lorsque le patient était déjà en garde préventive au moment de l’ordonnance, les délais sont courts, d’autant plus que le Code de procédure civile exige qu’un préavis de 24 heures soit donné avant l’audition. Toutefois, ce dernier délai peut être levé par le juge et l’est souvent dans les demandes de garde. Les deux évaluations servent généralement alors à appuyer une demande d’ordonnance de garde « régulière » et une ordonnance de traitement.
Vous aurez donc compris que dans le cas du patient déjà en garde préventive, la garde provisoire ordonne les évaluations et accorde une prolongation pour permettre d’effectuer les deux évaluations psychiatriques. Dans le cas du patient en garde préventive qui refuse l’évaluation, l’ordonnance d’évaluation (la garde provisoire) accorde un délai relativement court pour effectuer les deux évaluations psychiatriques. Si aucune demande de garde n’est déposée dans les délais prévus, le patient est libre de partir.
Le patient qui a fait l’objet de deux évaluations psychiatriques concluant au besoin de le garder en établissement parce qu’il est dangereux pour lui-même ou pour autrui devra faire l’objet d’une ordonnance de garde dite « régulière ». Le juge en fixe la durée (au plus de 21 jours) et pourra par la suite la prolonger. Le patient doit faire l’objet de rapports d’évaluation périodiques, faute de quoi il sera libre de quitter l’hôpital.
Le cadre est aussi contraignant que les deux gardes préventives et provisoires, mais les médecins de l’urgence les voient moins couramment. Ce sont plutôt les médecins à l’hospitalisation, en CHSLD ou en centre de réadaptation qui peuvent être tenus d’y participer.
Reste à décider où garder le patient en attendant l’ordonnance. L’établissement aura arrêté une politique sur la garde d’un tel patient en attendant les évaluations ou l’ordonnance de la cour. Dans des milieux comportant un faible nombre de psychiatres, pour les raisons évoquées précédemment, le patient peut demeurer à l’urgence. Cependant, dans des milieux disposant de plus de psychiatres, il sera souvent plus sûr d’admettre le patient en psychiatrie d’ici le dénouement.
Le consentement ou le refus du patient de se soumettre à l’évaluation psychiatrique n’a pas à être global. Ce dernier peut consentir à certains traitements, tout en refusant l’évaluation. Même lorsqu’il refuse d’être évalué par le psychiatre, ça ne veut pas dire que ce dernier ne peut pas participer aux soins.
Ce code rémunère l’évaluation requise pour faire admettre en garde préventive le patient dont le médecin estime qu’il présente un danger immédiat pour lui-même ou pour autrui en raison de son état mental. Il ne couvre pas les soins ni l’évaluation des besoins physiques du patient. Dans le cas présent, le médecin de l’urgence devra s’assurer que le patient n’a pas subi de traumatisme et qu’il ne souffre pas d’hypoglycémie ni d’une intoxication dangereuse. Il sera rémunéré distinctement pour ces évaluations.
Si le patient refusait de parler au médecin, l’évaluation que ce dernier fera de sa dangerosité reposera sur les événements qui lui ont été rapportés ou qu’il a pu constater lui-même lors de l’arrivée du patient ou par la suite. Un patient qui peut interagir avec vous comprendra rapidement qu’il a intérêt à vous donner un minimum de contenu. Autrement, son mutisme, couplé à ce qui l’a mené à l’urgence, augmente la probabilité que vous le mettiez en garde préventive. S’il refusait par la suite les évaluations psychiatriques, il ne ferait que reporter l’inévitable, car une garde provisoire serait sans doute accordée.
Ce code couvre l’évaluation psychiatrique demandée par la cour, mais effectuée par un médecin de famille lorsqu’un psychiatre n’est pas disponible dans les délais requis. Ici aussi, la rémunération se limite à l’évaluation aux fins de la garde provisoire et ne comprend pas l’examen physique requis pour administrer des soins au patient ou pour juger des examens que nécessite son état physique.
Il arrive que des omnipraticiens, le plus souvent ceux ayant une expertise en psychiatrie, fassent de telles évaluations. Il est rare que ce soit le médecin de l’urgence qui le fasse. Le rôle du médecin de l’urgence se limite le plus souvent à appuyer la demande d’ordonnance d’examen (la garde provisoire) à la cour ou à mettre le patient en garde préventive.
Fait à noter, il est exceptionnel que le médecin d’urgence qui atteste de la dangerosité d’une personne pour la mettre en garde préventive doive se rendre en cour pour témoigner. Il est toutefois courant que le médecin qui a effectué l’examen durant la garde provisoire soit appelé à témoigner. Lors d’une demande de garde provisoire, non seulement le patient ou des personnes intéressées peuvent contester la demande, mais le juge doit de plus être convaincu que l’ordonnance est nécessaire et se faire son propre avis. Il ne peut simplement se fier aux deux évaluations présentées. Il voudra donc poser des questions aux auteurs des rapports.
Une rémunération est prévue pour la présence en cour pour témoigner à propos des rapports d’évaluation psychiatrique, dont les deux dont nous avons traité. La rémunération comprend à la fois le temps de témoignage et la présence en cour pour attendre de devoir témoigner. Le médecin est rémunéré par demi-heure de présence. La durée minimale est réputée être de deux heures. Le temps maximal payable est de sept heures par jour.
Vous aurez compris qu’il y a un vide concernant la rémunération du médecin lorsque le patient accepte de rester à l’hôpital, mais qu’il refuse de subir une évaluation psychiatrique et que le médecin constate qu’il est probablement dangereux pour lui-même ou pour d’autres. Le médecin devra alors signaler la situation à l’établissement (de façon à obtenir une ordonnance de garde provisoire) et fournir le formulaire décrivant ses impressions. Le document est le même que pour la demande de garde préventive, mais aucune rémunération n’est prévue.
Vous aurez compris que ce patient n’a pas à être mis en garde préventive, car il ne présente pas de danger grave et immédiat pour lui-même ou pour autrui. Il n’est pas physiquement capable de se rendre sur un lieu lui permettant de « jouer dans le trafic ». De plus, il dort et ne cherche pas à quitter. Le médecin qui en aura la charge durant la nuit devra connaître son histoire, car il pourra être appelé à le mettre rapidement en garde préventive s’il se réveillait et qu’il cherchait à quitter l’hôpital.
Le patient pourrait vouloir partir à son réveil après avoir dégrisé. Le médecin qui en sera alors responsable (qui pourrait ne pas être celui qui l’a reçu initialement) devra se faire une idée du patient en fonction de ce qui est inscrit au dossier, de son comportement, de ses explications, etc. S’il n’est plus ivre, mais qu’il en veut toujours aux autos, qu’il exprime une intention de retourner dans le trafic ou de se doter des moyens d’endommager des autos et que ces éléments semblent faire partie d’un délire paranoïde, le médecin devra alors le mettre en garde préventive. Le compte des 72 heures commencera à ce moment. Le médecin devra du même coup lui expliquer ce qu’il fait et lui demander s’il accepte de rencontrer un psychiatre pour une évaluation et s’assurer qu’il comprend qu’il a le droit de refuser. Selon l’attitude du patient (acceptation ou refus), le médecin devra alors soit demander une première évaluation psychiatrique, soit demander qu’on informe l’établissement pour que les avocats déposent une demande d’ordonnance de garde provisoire.
Si, au réveil, votre patient ne se souvient pas des événements de la veille, si ce n’est d’avoir assisté à la parade du carnaval, qu’il a peur d’être en retard au travail et qu’il semble lucide et cohérent, votre conduite sera sans doute différente. En pareille situation, il ne répond pas aux critères de mise en garde préventive (pas de danger imminent pour lui ni pour autrui). Vous jugerez probablement qu’il peut quitter l’hôpital s’il le souhaite. Selon l’anamnèse ou d’autres informations obtenues, il pourrait être opportun d’organiser un suivi psychiatrique sur une base volontaire.
Vous y voyez un peu plus clair et pouvez mieux choisir comment facturer dans de telles situations ? La prochaine chronique traitera de quelques modalités d’intérêt pour les médecins qui commencent à pratiquer. D’ici là, bonne facturation ! //