mieux vaut prévenir que regretter
Que ce soit dans leur vie privée ou pour des raisons professionnelles, beaucoup de médecins sont actifs sur les réseaux sociaux. Compte tenu de leur statut, ils devraient redoubler de prudence avant d’appuyer sur la touche « envoyer ».
Lorsqu’ils s’expriment sur Facebook, Twitter ou d’autres médias sociaux, les médecins conservent leurs obligations déontologiques. C’est ce que le Collège des médecins du Québec a dû répéter à ses membres en juin dernier. En pleine pandémie, des médecins ont en effet utilisé les réseaux sociaux pour nier l’importance du virus ou pour inciter la population à se déconfiner rapidement.
« Notre intervention était un appel à la prudence, et non une tentative de censure comme certains nous l’ont reproché, affirme le Dr Mauril Gaudreault, président du Collège. Nous avons rappelé aux médecins qu’ils représentent la profession médicale en tout temps, même derrière un écran. Leurs propos doivent donc s’appuyer sur la science. »
Selon l’article 89 du Code de déontologie, les opinions médicales diffusées publiquement par les médecins doivent être conformes aux données actuelles de la science. « Malheureusement, des médecins ont fait des déclarations sur la COVID-19 qui allaient à l’encontre des directives de la Santé publique », indique le Dr Gaudreault.
Lorsque les preuves scientifiques restent à faire, le Code de déontologie exige que les médecins émettent les réserves qui s’imposent. Or, les médias sociaux se caractérisent plutôt par l’absence de nuances, souligne Jean-François De Rico, qui exerce en droit des technologies de l’information chez Langlois avocats. « C’est un risque pour les professionnels de la santé, car ces derniers ont la responsabilité de transmettre des informations médicales qui comportent toutes les nuances requises », dit-il. L’avocat explique que la tendance à généraliser quand on communique dans les médias sociaux découle d’une particularité de l’environnement numérique : l’immédiateté. À cela s’ajoute dans certains cas une limite de mots. Avant de publier quoi que ce soit sur le Web, Me De Rico invite les médecins à reculer d’un pas : « Ce n’est pas parce que ça peut aller vite que ça doit aller vite. En santé, il ne faut pas prendre de raccourcis. »
Dans son guide intitulé Le médecin, la publicité et les déclarations publiques, le Collège conseille pour sa part aux médecins d’indiquer dans leurs publications sur la santé que l’information est « de nature générale, et non en lien avec l’état de santé d’un patient en particulier, et qu’elle ne remplace pas l’évaluation nécessaire à chaque cas ».
De plus, les médecins doivent « être en mesure de contrôler les commentaires et autres publications des tiers, et ce, dans tous les médias sociaux utilisés à des fins professionnelles », peut-on lire dans ce document mis à jour en 2019. Un médecin qui a un blogue ou une page Facebook professionnelle devrait-il permettre à ses abonnés de commenter ses publications ou de publier sur ses pages ? « S’il le fait, il doit s’assurer d’avoir le temps de filtrer ce que les gens écrivent, dit Me De Rico. Sinon, mieux vaut désactiver ces fonctions, car il pourrait engager sa responsabilité s’il laisse passer des contenus problématiques. » À noter ! Si on constate le caractère préjudiciable d’un commentaire ou qu’on en est avisé, il est important de le retirer illico.
Le respect du secret professionnel est un autre enjeu soulevé par les médias sociaux. L’article 20 du Code de déontologie, qui traite du secret professionnel, précise que le médecin « doit s’abstenir de tenir ou de participer, incluant dans des réseaux sociaux, à des conversations indiscrètes au sujet d’un patient ». Derrière un écran toutefois, il est parfois facile d’oublier ses obligations déontologiques. Un médecin de famille québécois l’a appris à la dure en 2018 lorsqu’il a écopé d’une radiation temporaire et d’une amende pour avoir révélé sur Facebook le diagnostic d’un ancien patient. Dans ce cas, le médecin avait nommé le patient. Mais il y a quelques années, une urgentologue américaine a été reconnue coupable d’avoir commis un acte dérogatoire à la dignité de sa profession à la suite d’une publication sur Facebook à propos d’un cas vu à l’urgence. Même si le patient concerné n’était pas identifié, des tiers l’avaient reconnu à cause des caractéristiques de sa blessure.
« Il faut éviter de diffuser dans les médias sociaux de l’information qui pourrait permettre de reconnaître un patient, insiste l’avocate Christiane Brizard, qui exerce en droit professionnel chez Langlois. D’ailleurs, les renseignements personnels sont protégés par le secret professionnel. Ils le sont aussi par la Charte des droits et libertés de la personne qui comprend le droit au respect de la vie privée ».
Ainsi, le médecin qui se sert des médias sociaux pour relater des expériences cliniques ou demander une opinion médicale à des pairs doit faire preuve d’une extrême prudence. Dans le document Réseaux sociaux de la santé : enjeux et perspectives d’une société branchée, l’Association canadienne de protection médicale (ACPM) conseille « d’anonymiser adéquatement les renseignements présentés, c’est-à-dire d’en extraire toute l’information ou toute image qui pourrait permettre l’identification du patient ». Une bonne pratique consiste toutefois à obtenir le consentement du patient et à l’inscrire dans son dossier médical. On peut trouver sur le site Web de l’ACPM un formulaire de consentement à l’utilisation de photographies et de vidéos médicales.
Attention : le consentement du patient ne fait pas foi de tout. « Il faut vraiment s’assurer que son consentement est éclairé, qu’il comprend ce qu’il vient d’accepter, met en garde Me Christiane Brizard. Et même si le patient consent, la responsabilité d’agir selon la déontologie revient au médecin. »
Qu’en est-il des forums virtuels privés ? Là aussi, la prudence est de mise. « Il faut tenir pour acquis que les échanges peuvent quand même être diffusés à l’extérieur du groupe, dit Me Jean-François De Rico. Par exemple, des personnes peuvent faire des captures d’écran. Il est donc important de protéger la confidentialité des patients dont on discute. »
En 2018, le conseil de discipline du Collège des médecins a radié pour douze mois un médecin de famille qui avait fait une demande d’amitié Facebook à un patient et lui avait ensuite envoyé des messages à connotation sexuelle. Bien qu’il s’agisse là d’un cas extrême qui dépasse la simple amitié virtuelle, il est déconseillé pour un médecin de devenir l’ami Facebook d’un patient. Cela pourrait nuire à son indépendance professionnelle en créant une fausse impression d’intimité avec le patient. Il est alors plus difficile de garder une saine distance dans la relation patient-médecin.
En ce qui concerne le recours aux médias sociaux dans un cadre personnel, le médecin a aussi intérêt à avoir une conduite irréprochable. « Selon le Code des professions, un professionnel ne doit pas avoir un comportement qui porte atteinte à l’honneur et à la dignité de sa profession, souligne Me Pierre Belzile, directeur du Service juridique de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. C’est un concept très large qui peut mener à une procédure disciplinaire pour des faits de la vie privée, même si cela demeure tout de même exceptionnel. »
Sur le Web, les frontières entre la vie privée et la vie professionnelle s’estompent. Tout commentaire dans un réseau social peut être retransmis plusieurs fois et rejoindre un auditoire considérable. Pour ne pas être hanté longtemps par une publication inappropriée, il est préférable de bien peser ses mots ! //