Dossiers spéciaux

Patients de 70 à 100 ans

Quand faut-il réduire le taux de cholestérol LDL ?

Élyanthe-Emmanuèle Nord-Garnier  |  2020-12-22

Une nouvelle étude publiée dans le Lancet vient de montrer que les patients âgés ayant un taux de cholestérol élevé sont particulièrement exposés aux complications cardiovasculaires.

Faut-il traiter l’hypercholestérolémie chez les patients de 70 à 100 ans ? Contrairement à ce que certaines études ont indiqué, les personnes âgées ayant un taux de cholestérol élevé présentent un important risque de complications cardiovasculaires. Un risque supérieur à celui de n’importe quel autre groupe d’âge, révèle une nouvelle recherche danoise1.

Publiée dans le Lancet, l’étude montre, par exemple, que chez les patients de 80 à 100 ans, une concentration de 5 mmol/l de cholestérol LDL ou plus est associée à un risque de problèmes cardiovasculaires sept fois plus élevé que chez les sujets de 50 à 69 ans : 37,1 pour 1000 années-personnes contre 5,4 pour 1000 années-personnes.

« Nos résultats semblent indiquer que le traitement par statine des personnes de 70 à 100 ans présentant un haut taux de cholestérol LDL permettrait à beaucoup d’entre elles de vivre des années additionnelles sans infarctus du myocarde ni cardiopathie ischémique », soutiennent les chercheurs, M. Martin Mortensen et le Dr Børge Nordestgaard, de l’Université de Copenhague.

D’où vient cette fracture avec les données précédentes ? Plusieurs recherches avaient semblé montrer que le lien entre la hausse de la cholestérolémie et les infarctus du myocarde diminuait substantiellement avec l’âge. « La plupart des études antérieures ont été menées sur des cohortes de participants recrutées il y a quatre ou cinq décennies quand la prévention et le traitement des cardiopathies ischémiques et des autres affections chroniques étaient différents des pratiques actuelles », expliquent les auteurs de l’étude. Depuis, ajoutent-ils, l’espérance de vie s’est grandement accrue et le taux d’infarctus a diminué davantage chez les patients plus jeunes, augmentant la proportion de problèmes cardiovasculaires dans le groupe des personnes de 70 ans et plus.

Plus de 91 000 sujets

Pour en arriver à leurs conclusions, M. Mortensen et le Dr Nordestgaard ont analysé les données de plus de 91 000 personnes de la cohorte de l’Étude sur la population générale de Copenhague. Tous les participants, âgés de 20 à 100 ans, ont été recrutés entre 2003 et 2015. Les chercheurs ont sélectionné ceux qui ne présentaient initialement ni cardiopathie ischémique clinique ni diabète et ne prenaient pas de statines. Dans l’échantillon analysé, 13 % des sujets avaient entre 70 et 100 ans.

Le bilan de base des participants comprenait un examen physique, un questionnaire et une prise de sang. Grâce aux différents registres du Danemark, les chercheurs ont pu recenser, jusqu’en décembre 2018, ceux qui ont eu un infarctus du myocarde ou une cardiopathie ischémique clinique (coronaropathie mortelle, infarctus ou accident vasculaire cérébral [AVC]).

Au cours de la période étudiée, qui constituait un suivi moyen de 7,7 ans, 1515 des quelque 91 000 sujets ont subi un infarctus du myocarde et 3389 ont eu une complication cardiovasculaire athéroscléreuse.

Un risque d’infarctus trois fois plus grand à 5 mmol/l

Qu’ont constaté les chercheurs ? « Le taux d’infarctus du myocarde et de cardiopathies ischémiques augmentait à la fois avec la concentration de cholestérol LDL et l'âge », ont-ils noté. Les personnes les plus touchées étaient ainsi celles de 80 à 100 ans dont le taux de cholestérol LDL atteignait ou dépassait 5 mmol/l.

La cholestérolémie s’est ainsi révélée un facteur déterminant. Parmi les 3188 participants de 80 et plus, 216 (7 %) atteignaient ce seuil d’au moins 5 mmol/l. Leur risque d’infarctus du myocarde était trois fois plus grand que celui des sujets du même âge dont le taux était inférieur à 3 mmol/l.

En général, pour chaque hausse de 1 mmol/l de cholestérol LDL, le risque absolu de complications cardiovasculaires s’élevait dans tous les groupes d’âge de la cohorte, en particulier chez les personnes de 70 ans et plus. Par exemple, le nombre de complications cardiovasculaires était de 4 pour 1000 années-personnes par augmentation de 1 mmol/l de cholestérol LDL chez les sujets de 80 à 100 ans, mais de 0,5 chez ceux de 50 à 59 ans (encadré).

dr Grégoire

« Je pense que ces données confirment ce qu'on avait déjà constaté dans l'étude de Framingham : l'âge a un effet extrêmement important sur les manifestations cardiovasculaires, analyse le Dr Jean Grégoire, cardiologue à l’Institut de Cardiologie de Montréal. Chez la grande majorité des patients, le risque est considéré comme élevé après un certain âge, par exemple, 65 ans chez un homme. Ce qui est important et intéressant dans l’étude danoise, c'est qu’elle montre que même si un patient est âgé, son ris­que de problèmes cardiovasculaires est important si son taux de cholestérol LDL est très élevé. On a la percep­tion erronée que parce qu'une personne est parvenue jusqu’à l’âge de 75 ans, la cholestérolémie n’aura pas de rôle dans les complications cardiovasculaires. »

Dans quels cas traiter l’hypercholestérolémie ?

Faut-il alors prescrire un hypolipémiant aux personnes âgées dont la cholestérolémie est élevée ? « Peu importe l’âge, on devrait traiter un patient qui a un taux de cholestérol LDL supérieur à 5 mmol/l. Toutefois, chez les personnes âgées, c’est du cas par cas en prévention primaire. Plus l’âge est élevé, plus il est difficile de savoir quel patient pourra bénéficier d'un traitement », précise le Dr Grégoire, qui a été coprésident du comité des lignes directrices sur la dyslipidémie de la Société canadienne de cardiologie de 2012 à 2016 et qui en est toujours membre.

Chez les personnes âgées, il est délicat de généraliser. Les disparités sont trop importantes. « Vais-je traiter en prévention primaire un patient de 82 ans affaibli, en CHSLD, avec un début de démence ? Non. Mais il y a beaucoup de personnes de plus de 80 ans dont l’état général est excellent. Je pense que, dans leur cas, cela vaut la peine d'investir dans leur santé. »

dr Thanassoulis

Bien des cliniciens sont réticents à traiter l’hypercholestérolémie chez les personnes âgées, reconnaît pour sa part le Dr George Thanassoulis, directeur de la Cardiologie génomique et préventive au CUSM. « Ils jugent que les données ne sont pas assez solides. À leurs yeux, les personnes âgées ont d'autres problèmes. Ils se demandent : ‘’Peut-on vraiment améliorer l’espérance ou la qualité de vie des patients de cet âge par des traitements préventifs ?’’ Pour ma part, je pense que l’étude danoise montre très clairement la valeur d'un traitement pour un patient de 85 ans en bonne santé, qui a une bonne qualité de vie et est ouvert à un traitement préventif. À mon avis, la question serait plutôt : Pourquoi ne pas le traiter ? Le fait de prévenir un AVC chez un patient âgé peut avoir un énorme effet sur sa qualité de vie pendant le reste de son existence. »

Ainsi, tous les patients âgés en forme dont le taux de cho­lestérol LDL dépasse 5 mmol/l devraient recevoir un hypo­lipémiant ? « Oui, à moins que ce taux élevé provienne d’un autre problème de santé », précise le Dr Grégoire. Trois affections peuvent hausser la cholestérolémie et doivent être éliminées avant la prescription d’un hypolipémiant :

h l’hypothyroïdie grave ;

h le syndrome néphrotique ;

h la cholestase hépatique.

Mais pourquoi ce seuil de 5 mmol/l ? « Lorsqu'on décide de traiter un patient en prévention primaire, il faut que le facteur de risque ciblé soit extrême, mentionne le Dr Grégoire. Si un patient de 85 ans a un taux de cholestérol de 3,5 mmol/l, je ne me lancerai probablement pas dans une pharmacothérapie intense. »

Que disent les lignes directrices ? Elles restent vagues pour les aînés. « Dans la majorité des études, il y a très peu de sujets âgés. Les recommandations ne reposent donc pas sur des données solides. C'est ce qui explique qu’elles sont toujours un peu imprécises. Cependant, si on regarde les recommandations européennes, américaines ou canadiennes, aucune n’indique qu'il est préférable de ne pas traiter les personnes âgées en prévention primaire », affirme le spécialiste de l’Institut de Cardiologie de Montréal.

Une diminution potentielle énorme du risque d’infarctus

Idéalement, un taux de cholestérol LDL de 5 mmol/l devrait être traité avant que le patient n’atteigne un âge avancé. « Plus tôt commence l’augmentation de la cholestérolémie, pire c’est pour le patient. C'est une question d'exposition des artères au cholestérol », indique le Dr Thanassoulis.

Et il y a aussi des risques immédiats. L’étude danoise montre que chez les participants de 20 à 49 ans, le risque relatif d’infarctus du myocarde était plus important que dans les autres groupes d’âge lorsque le taux de cholestérol LDL était élevé. Le risque augmentait de 68 % par hausse de 1 mmol/l chez ces jeunes participants, mais de 28 % chez les sujets de 80 à 100 ans.

Cette donnée peut sembler discordante par rapport aux autres résultats de l’étude. Mais elle s’explique. « Le risque d'avoir un infarctus est plus grand chez les jeunes quand le taux de cholestérol est élevé, parce que c’est un des facteurs de risque les plus critiques dans ce groupe, indique le cardiologue du CUSM. Avec l’âge, l'importance du cholestérol diminue, car d'autres éléments entrent en jeu, comme la présence d’athérosclérose dans les artères. Ainsi, la partie modifiable est moindre chez les patients âgés. Néanmoins, ces personnes présentent quand même un risque. Il est avantageux de les traiter, parce que c’est dans ce groupe que les complications cardiovasculaires sont les plus fréquentes. »

M. Mortensen et le Dr Nordestgaard, qui qualifient leurs résultats de « robustes » et de « nouveaux », abondent dans le sens du Dr Thanassoulis. « En diminuant le taux de cholestérol LDL chez des personnes en bonne santé âgées de 70 à 100 ans, on a une capacité potentielle énorme de prévenir les infarctus du myocarde et la cardiopathie ischémique », concluent-ils. //

encadré

Bibliographie

1. Mortensen B et Nordestgaard B. Elevated LDL cholesterol and increased risk of myocardial infarction and atherosclerotic cardiovascular disease in individuals aged 70-100 years: a contemporary primary prevention cohort. Lancet 2020 ; 396 (10263) : 1644-1652. DOI : 10.1016/S0140-6736(20)32233-9.