les GMF perdent la majorité de leurs infirmières
La nouvelle est consternante. En Abitibi-Témiscamingue, tous les groupes de médecine de famille (GMF) perdront sous peu environ 70 % de leurs infirmières cliniciennes. « D’un côté, on nous demande d’être disponibles, de continuer à faire de l’accès adapté, de suivre des patients atteints de maladies chroniques et d’offrir des consultations sans rendez-vous à la population, mais de l’autre, on réduit notre personnel », déplore le Dr Jean-Yves Boutet, président de l’Association des médecins omnipraticiens du nord-ouest du Québec (AMONOQ).
La raison de ces compressions : l’importante pénurie d’infirmières qui sévit dans la région. Un manque d’effectifs aggravé par la pandémie, mais aussi par l’arrêté ministériel encadrant les agences de placement de personnel infirmier. « Je comprends la logique de vouloir éviter le recours à ces agences, mais cela nous prive de bras. Maintenant, le centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) désirerait reprendre ses infirmières », explique le Dr Boutet.
Une grande consultation sur la réorganisation des effectifs infirmiers a eu lieu sur le territoire. « Le CISSS ne nous a pas imposé une décision unilatérale, reconnaît le clinicien. Il y a eu tout un travail de réflexion et de nombreuses rencontres pour trouver des solutions. »
Il fallait préserver les secteurs clés. « On s’est dit : “Quelles sont nos priorités cliniques ? Il ne faut fermer ni l’obstétrique, ni l’oncologie, ni l’hémodialyse. On ne peut pas non plus fermer l’urgence ni cesser d’opérer des patients. Que reste-t-il alors ?” », dit le Dr Boutet, également chef du département régional de médecine générale. Les différents milieux de soins seront finalement tous touchés. « Tout le monde contribue à l’effort, y compris les GMF. »
Au sein de la première ligne, la pénurie d’infirmières va désorganiser la pratique sur plusieurs plans. Par exemple, il n’y aura plus de triage pour les consultations sans rendez-vous accordées à la population. De même, le suivi conjoint des patients ayant des maladies chroniques sera désormais effectué presque exclusivement par les médecins.
« La situation devient insensée : il faut suivre nos malades chroniques, mais sans l’aide des infirmières. Cependant, si on voit ces patients à tous leurs rendez-vous, on n’aura pas de place pour rencontrer ceux qui sont orphelins. On entre dans une espèce de cercle vicieux », souligne le Dr Boutet.
D’autres professionnels de la santé font aussi défaut dans les GMF. Le groupe du Dr Boutet avait, par exemple, demandé une nutritionniste et un physiothérapeute. Il n’a eu qu’une partie des services réclamés.
Plusieurs GMF pensent maintenant à redevenir de simples cliniques. Trop d’obligations, plus assez d’avantages. « Certains médecins disent : ‘‘Qu’est-ce que cela me donne d’être un GMF ? Je suis soumis à de nombreuses règles et contraintes, comme la participation à l’orchestrateur, et je ne dispose pas du personnel promis’’. »
Quelle est la position de la FMOQ devant une telle situation ? La question a été posée au Dr Louis Godin, président de la Fédération, au cours de l’assemblée générale de l’AMONOQ, le 11 septembre dernier.
« Dans le programme des GMF, il est clair que les cliniques doivent avoir le personnel qui leur a été promis. Si ce n’est pas le cas, le gouvernement ne pourra leur reprocher d’avoir manqué à leurs obligations puisqu’il n’aura pas rempli sa part du contrat. Soyez donc assurés que si un GMF n’a pas obtenu les ressources qu’il devait avoir, il ne sera pas pénalisé. Dans nos prochains travaux avec le ministère de la Santé, on pourrait même demander des aménagements, par exemple pour les heures d’ouverture en cas de réduction du personnel », a répondu le Dr Godin.
Le président de la Fédération est néanmoins conscient de la crise qui frappe l’Abitibi-Témiscamingue. « On comprend que c’est difficile. Il y a eu la pandémie, et ce n’est pas fini, mais il faudra tout de même tenir compte de la situation en ce qui concerne les obligations des GMF. »
Le programme des GMF demeure-t-il avantageux ? « Nous le pensons. Il n’est pas parfait, mais il reste quand même intéressant pour les médecins de famille », a indiqué le président.
Parallèlement à la pénurie d’infirmières, le nombre d’omnipraticiens décroît en Abitibi-Témiscamingue. De 223 en 2015, le nombre de médecins de famille est passé à 186 en 2020, a expliqué le Dr Boutet au cours de l’assemblée générale de son association.
« On en demande en plus beaucoup à la première ligne : être disponible pour les patients inscrits et non inscrits, participer aux cliniques désignées d’évaluation et maintenant aux cliniques désignées de pédiatrie. À un moment donné, il y a une incompatibilité entre les demandes et le nombre de médecins. Ça ne peut plus continuer. C’est impossible d’être partout », a indiqué le président de l’AMONOQ à ses membres.
En outre, les omnipraticiens de la région vieillissent. Ainsi, 15 % des médecins de famille, soit 29 sur 194, comptent plus de 29 ans de pratique. « On appréhende les départs à la retraite. Au cours des trois ou quatre prochaines années, certains réseaux locaux de services connaîtront une hausse du nombre de leurs patients orphelins. À Amos, par exemple, d’ici 2024, il pourrait y avoir 10 000 personnes de plus sans médecin de famille pour une population de 25 000 habitants. C’est inquiétant. »
Le Dr Boutet redoute tout facteur qui aggraverait la situation. Il sait que déjà la pandémie a beaucoup fatigué les médecins. « Si les autorités se montrent trop coercitives concernant, par exemple, la prise en charge des patients orphelins et l’obligation de donner des rendez-vous sur l’orchestrateur d’ici avril 2022, je crains que certains de mes collègues devancent leur retraite. »
La solution pour remédier à une telle situation ? Augmenter le nombre d’étudiants en médecine. Le président de l’AMONOQ voit depuis longtemps arriver la crise. « Il n’y a pas assez d’admissions en médecine. Il manque déjà 1000 omnipraticiens. Il faudrait donc augmenter les cohortes jusqu’à 500 ou 800 étudiants pour que dans cinq ans on puisse avoir les 1000 omnipraticiens qui manquent et même en avoir plus. »
Parce qu’il faut aussi tenir compte du vieillissement de la population et du style de pratique qui a beaucoup changé. « Actuellement, trois jeunes médecins sont nécessaires pour remplacer un clinicien âgé. » Et beaucoup de secteurs sont mal desservis faute d’omnipraticiens. « Il y a tout le volet des soins à domicile que l’on couvre difficilement parce que l’on n’est pas assez. Si l’on n’investit pas dans la première ligne, viendra un moment où le système va éclater », prévient le Dr Boutet. //