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Aide médicale à mourir

la FMOQ approuve l’élargissement des indications

Élyanthe Nord  |  2021-09-29

Le 23 août dernier, la FMOQ a présenté sa position sur l’élargissement des indications de l’aide médicale à mourir à la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.

Dr Rivard

Que pensent les omnipraticiens de l’élargissement potentiel des indications de l’aide médicale à mourir ? Depuis l’entrée en vigueur de la loi, en 2015, ce sont eux qui effectuent plus de 85 % des interventions. La FMOQ, dont 425 membres ont pratiqué l’aide médicale à mourir en 2020, approuve pour sa part la possibilité de prodiguer ce soin aux personnes devenues inaptes à y consentir après l’avoir demandé et à celles dont le seul problème médical est un trouble mental intolérable.

Les personnes dont l’état cognitif ne leur permet plus de demander les soins de fin de vie posent un problème particulier. Mais cette difficulté peut être contournée. « Nous sommes favorables à ce que les Québécois, même s’ils ne sont pas en fin de vie, puissent à l’avance, sans limites de temps, par des directives médicales anticipées, pour toute maladie, incluant les troubles neurocognitifs, stipuler par écrit leur volonté en prévision de leur inaptitude possible à venir », a expliqué le Dr Louis Godin, président de la Fédération, à la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.

Les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ne sont pas les seules concernées. D’autres affections peuvent rendre inapte à demander l’aide à mourir. « Les patients cardiaques, hypertendus, diabétiques, tous ces gens sont à risque de développer des problèmes d’embolie cérébrale, d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) ou autres qui peuvent les amener vers la démence vasculaire. Certaines maladies, comme le Parkinson dans ses derniers stades, peuvent aussi causer des problèmes cognitifs. Tous ces gens ont le potentiel de demander l’aide à mourir avec des critères qu’ils auront eux-mêmes décidés », a expliqué le Dr Claude Rivard, qui accompagnait le Dr Godin devant la Commission spéciale. Président de l’Association des médecins omnipraticiens du Richelieu‒Saint-Laurent, le médecin a effectué à lui seul plusieurs centaines d’interventions d’aide médicale à mourir. Il a même participé à la première qui a été effectuée au Québec en décembre 2015.

Une position audacieuse

Si l’aide médicale à mourir est accordée à l’avance, à quel moment faudra-t-il la prodiguer ? Certains patients veulent la recevoir quand ils ne seront plus capables de reconnaître leur entourage ou encore de se lever de leur lit ou d’aller seuls aux toilettes, a expliqué le Dr Rivard. « Chaque personne a une manière de voir comment elle voudrait avoir des soins de fin de vie prodigués. Ce qu’on demande aux gens, c’est de choisir la manière dont ils veulent quitter ce monde. »

Actuellement, selon les modifications législatives apportées en juin par le gouvernement provincial, une personne en fin de vie peut recevoir l’aide médicale à mourir même si elle est devenue inapte, à condition d’en avoir fait la demande dans les quatre-vingt-dix jours précédents. La FMOQ estime qu’il faut aller beaucoup plus loin. Le délai de trois mois est trop restrictif. À la limite, selon la Fédération, une personne en bonne santé pourrait même faire une demande en prévision d’un éventuel AVC profondément invalidant ou d’un traumatisme crânien extrêmement grave.

L’audace de la position de la FMOQ n’a pas manqué de frapper certains membres de la Commission spéciale. « Vous savez probablement, pour avoir suivi nos travaux, que vous êtes un des rares groupes témoins à aller là. C’est intéressant. », a commenté le député Vincent Marissal.

L’encadrement

Pour élargir les indications de l’aide médicale à mourir, un encadrement rigoureux doit être prévu, a averti le président de la FMOQ. « Il faut déterminer comment cela va se faire. Comment sera effectué le suivi ? Comment aura lieu l’évaluation ? Si la demande a été faite il y a deux ans, cinq ans ou dix ans, sera-t-elle (…) [traitée] de la même façon ? Est-ce qu’on demande seulement à un médecin de le faire ? Est-ce qu’on peut demander une seconde opinion ? »

Un processus de réévaluation des directives médicales anticipées pourrait être nécessaire. « Ce désir que vous avez émis lorsque vous aviez 40 ans, a expliqué le Dr Godin aux membres de la Commission spéciale, peut-être que lorsque vous en aurez 60 [il ne sera plus le même]. On ne voit plus nécessairement la vie de la même façon, et notre perception de la souffrance peut être fort différente à 60 ans qu’à 40 ans. (…) Jusqu’à quel point ne devrait-on pas à nouveau baliser et valider [la demande] ? Je pense que c’est un chantier à construire », a souligné le Dr Godin.

Faudra-t-il aussi évaluer la souffrance de la personne inapte qui doit recevoir l’aide médicale à mourir ? a demandé la députée Véronique Hivon. « La grande difficulté, c’est qu’on n’a jamais pu évaluer quel est le degré de souffrance d’une personne inapte, parce que ses propos et ses réflexions sont naturellement teintés par sa maladie, a répondu le président de la FMOQ. C’est donc une question qui va toujours demeurer et pour laquelle on n’a pas de réponse. »

Des problèmes pratiques

Prodiguer l’aide médicale à mourir des années après le consentement ne va pas sans difficulté. « Le patient ne se souvient plus qu’il a demandé l’aide à mourir cinq ans auparavant, a expliqué le Dr Rivard. Alors quand on va vouloir installer les deux cathéters, il va réagir. Il ne voudra peut-être pas les avoir ou une fois qu’ils seront installés, il va tenter de les arracher. Est-ce que cela veut dire : “Non, je ne veux pas le soin” ? La dernière chose que l’on veut (…), c’est avoir quelqu’un qui se débat ou que l’on est obligé (…) d’attacher pour installer les [cathéters]. Je peux vous dire que cela change complètement la manière dont le soin est donné. Et ce n’est pas vécu du tout de la même manière par la famille. Cela devient comme une exécution. »

Des solutions possibles ? Donner au patient une sédation par voie orale ou encore effectuer une anesthésie de la peau. « Il va falloir changer le protocole actuel », estime le médecin. Cependant, si au dernier moment, un doute plane sur le consentement du patient, l’aide médicale à mourir ne doit pas être pratiquée, avertit la Fédération.

Les directives anticipées posent également d’autres problèmes. Que se passera-t-il si, au moment où l’aide médicale à mourir doit avoir lieu, le clinicien qui a fait l’évaluation du patient dix ans auparavant a pris sa retraite ou est lui-même décédé ? « Le médecin qui va donner le soin, lui, veut que le consentement ait vraiment été éclairé quand il a été demandé et que les conditions posées par le patient soient remplies telles qu’il les a exprimées quand il était apte. On a besoin de quelque chose de central qui va faire en sorte que ces demandes vont être enregistrées ou qu’il y aura des critères stricts comme : “Moi je veux avoir l’aide médicale à mourir quand je ne serai plus capable de faire telle ou telle chose”. Il faut que cinq ou dix ans plus tard, le médecin soit capable de dire : “Les conditions sont remplies” », a précisé le Dr Rivard.

Toutes les précautions doivent donc être prises. « Idéalement, il faut que l’avis ou la demande du patient soit filmé devant le professionnel de la santé qui va lui dire : “Vous allez m’expliquer exactement ce que vous voulez avoir comme soins de fin de vie”. » Le patient pourra répondre, par exemple, qu’il désire recevoir l’aide médicale à mourir quand il deviendra dément et ne sera plus capable de reconnaître ses enfants. Mais il faut encore plus de précisions. « La question [suivante], c’est : “Si vous êtes capable de reconnaître encore un de vos trois enfants, est-ce que vous voulez avoir l’aide à mourir quand même ?” », a mentionné le médecin.

Un trouble mental insoutenable

Qu’en est-il pour les patients atteints de troubles mentaux dont la souffrance est intolérable ? Une fin de vie imminente n’est maintenant plus un critère nécessaire pour obtenir l’aide médicale à mourir. En 2019, le jugement Beaudoin dans la cause Truchon-Gladu a ouvert de nouvelles portes. Les personnes souffrant d’une maladie mentale pourraient donc éventuellement faire une demande.

La FMOQ approuve cette possibilité. « D’emblée, nous signifions aux parlementaires notre accord à ce que la portée de la loi soit étendue jusqu’à de telles pathologies. En effet, les personnes qui sont atteintes d’un trouble mental grave et persistant peuvent aussi souffrir beaucoup », indique le mémoire de la Fédération.

La FMOQ partage d’ailleurs le point de vue du groupe de travail créé par l’Assemblée nationale pour examiner les questions relatives aux soins de fin de vie. Dans son mémoire, cette commission « reconnaît aux personnes atteintes de troubles mentaux graves et réfractaires à toute thérapie qui présentent des souffrances inapaisables le même droit de recourir à l’AMM que celui accordé aux personnes dont les souffrances sont en lien avec des maladies physiques comme le cancer, les maladies neurodégénératives, pulmonaires et cardiovasculaires. »

La Fédération propose néanmoins certaines balises. Elle suggère notamment que ces demandes d’aide à mourir soient évaluées et appliquées dans un cadre précis et exige l’expertise d’au moins deux psychiatres.

Des règles claires

L’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes devenues inaptes ou ayant un trouble de santé mentale demandera beaucoup de travail. Des cadres légaux, déontologiques et organisationnels devront être établis.

« Une fois qu’on aura décidé jusqu’où maintenant on peut aller, il faudra que les règles soient claires », a mentionné le Dr Godin. « Il faut éviter que l’on se retrouve pendant une longue période de temps avec du flou, parce que cela met les médecins dans une position excessivement difficile. »

Par ailleurs, un registre central devra être créé pour tout le Québec, a recommandé le Dr Rivard. « Il faut que vous ayez un système qui garde ces demandes-là en réserve jusqu'au moment où la demande est activable par je ne sais qui. »

Incontestablement, le système actuel devra être amélioré. « Vous-même, avez-vous essayé de faire vos directives médicales anticipées ? », a demandé le médecin au député qui le questionnait sur les aspects organisationnels. « C’est un parcours du combattant. » Mais il y a plus. « Le problème que nous avons comme praticiens, c’est que la décision vient du patient, mais on n’y a pas accès. On a énormément de misère à avoir accès à ses directives médicales anticipées. »

Les médecins de famille accepteront-ils ?

Les médecins accepteront-ils de donner l’aide médicale à mourir si ses indications sont étendues aux patients inaptes ou ayant des troubles mentaux ? Certains pourront être réticents, a reconnu le Dr Rivard. « C’est un peu comme les médecins qui n’ont aucun problème à pratiquer un avortement avant un certain nombre de semaines, mais qui après ne le feront pas. Alors il y a des médecins, qui sont des praticiens en aide médicale à mourir aujourd’hui, et qui continueront à le faire sans problème selon les anciens critères de la loi, c’est-à-dire que le patient devra être en fin de vie, apte [à donner son consentement], etc. »

Toutefois, certains omnipraticiens pourraient se spécialiser dans l’aide médicale à mourir aux patients ayant rédigé des directives anticipées. « L’évaluation de ces derniers, contrairement à celle d’un patient en fin de vie, est beaucoup plus compliquée et de plus longue haleine. En anglais, ils disent : A whole new ball game. Et c’est vrai. Et si vous n’encadrez pas assez [ce soin] sur le plan légal, oubliez ça. Là, on risque de manquer de docteurs, à cause d’une certaine frilosité à accomplir cet acte-là », estime le Dr Rivard.

Selon le président de la FMOQ, la participation des médecins dépendra effectivement des balises qui entoureront les nouvelles indications. « Il ne faut pas qu’il y ait de doute sur la mécanique d’évaluation, sur le fait que l’on a bien tenu compte de la volonté du patient. Les consultations et les échanges que l’on a eus avec nos membres nous laissent croire, sans beaucoup de doutes, qu’à ce moment-là, il y aura suffisamment de médecins pour répondre à la demande. » //