pour une prise en charge rapide des femmes enceintes
Un nouveau programme, « l’Avis de grossesse » provincial, va aider les femmes enceintes à trouver rapidement un professionnel de la santé qui les prenne en charge. Actuellement, le quart ne sont pas suivies pendant le premier trimestre de leur grossesse.
Au Québec, 24 % des femmes enceintes n’ont pas de suivi médical avant le deuxième trimestre de leur grossesse, et même parfois le troisième. À Montréal, la situation est encore pire : la prise en charge tardive touche 31 % des futures mères. La solution envisagée par le gouvernement ? Le nouvel « Avis de grossesse » provincial.
Au début de 2022, les femmes seront invitées à signaler leur nouvelle grossesse en remplissant un court formulaire en ligne. Si elles en ont besoin, des intervenants de leur CISSS ou CIUSSS les aideront alors à trouver un professionnel de la santé pour les suivre.
« On veut que dès que les patientes deviennent enceintes, elles puissent en informer le réseau et les infirmières qui vont gérer les avis de grossesse. On veut réduire le pourcentage de femmes suivies trop tard », affirme M. Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux.
Le nouvel Avis de grossesse aura un autre avantage : permettre de repérer les futures mères vulnérables. « Quand l’infirmière verra, grâce aux questions qui sont posées dans l’avis de grossesse, que la famille présente une certaine vulnérabilité, elle pourra intervenir plus tôt, par exemple par l’intermédiaire de l’infirmière des Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance, et continuer le suivi de cette famille. Pour moi, agir encore plus tôt est l’élément le plus important. Cela va avoir des répercussions sur tout : le développement des enfants, les risques de vulnérabilité, les signalements à la protection de la jeunesse. C’est vraiment un ensemble de protections que l’on se donne », estime M. Carmant.
La grossesse constitue un moment privilégié, sait l’ancien neurologue du CHU Sainte-Justine. Comme médecin, il avait mis sur pied le programme CIRENE, qui permet la prise en charge précoce des enfants atteints de troubles du neurodéveloppement. « On avait remarqué que le moment où les gens venaient à presque tous leurs rendez-vous était pendant la grossesse. Après l’accouchement, on a souvent tendance à perdre même les familles vulnérables. Donc, si on peut avoir un lien avec elles, grâce à l’Avis de grossesse, ce sera un gros gain pour nous. »
Les femmes enceintes sont nombreuses. En 2020, au Québec, elles étaient presque 82 000. L’Avis de grossesse sera destiné à toutes, fragiles ou non. « On ne veut pas qu’il soit perçu comme étant stigmatisant ni laisser croire qu’il n’a été conçu que pour les patientes vivant en contexte de vulnérabilité », explique la Dre Chantal Lacroix, médecin-conseil à la Direction générale de santé publique du ministère de la Santé et des Services sociaux. Également clinicienne, elle a participé à l’élaboration de l’Avis et travaille maintenant à sa mise en œuvre.
Le formulaire commencera ainsi par interroger la future mère sur un besoin que toutes peuvent avoir : trouver un professionnel pour suivre leur grossesse. En cas de difficulté, une responsable de l’Avis de grossesse du CISSS ou du CIUSSS communiquera avec elle. « L’intervenante, une infirmière ou autre professionnelle habilitée, disposera d’une liste de tous les professionnels – sages-femmes, infirmières praticiennes spécialisées, médecins de famille et gynécologues – qui prennent des patientes au premier trimestre et jumellera rapidement la femme enceinte à l’un d’eux », indique la Dre Lacroix.
L’avis de grossesse comprendra également des questions pour déceler certains facteurs de risque :
h Vous sentez-vous parfois ou souvent seule ?
h Quel est votre niveau de scolarité ?
h Avez-vous parfois de la difficulté à payer votre épicerie ou votre loyer ?
h Avez-vous certains problèmes dont vous aimeriez parler avec une professionnelle ?
« Si l’un des critères de vulnérabilité est coché, automatiquement une intervenante responsable de l’Avis de grossesse téléphonera à la femme », affirme la médecin-conseil. L’intervention permettra alors de profiter d’une fenêtre unique. « C’est vraiment à ce moment-là qu’on pourra mettre en place tout le suivi qui permettra à long terme d’éviter des retards de croissance, des naissances prématurées ou d’autres problèmes, qu’ils soient liés aux médicaments ou aux drogues, qui pourraient affecter l’enfant le restant de sa vie. Dès la grossesse, on sera là pour soutenir les femmes qui en auront besoin et leur offrir tous les services disponibles. »
Une intervenante communiquera également avec les futures mères qui ne rempliraient pas adéquatement le questionnaire. « Le fait de ne mettre, par exemple, que son prénom et son numéro de téléphone constitue déjà un signal », estime la Dre Lacroix.
Et que se passera-t-il pour les femmes enceintes qui n’ont ni besoin ni problème ? Elles recevront un courriel leur indiquant simplement les services offerts gratuitement dans leur CLSC : les rencontres prénatales, le soutien à l’allaitement, etc.
L’Avis de grossesse provincial repose sur une étude commandée au centre de recherche CIRANO. L’objectif fixé : déterminer le délai de prise en charge de la grossesse à Montréal et dans tout le Québec1. Pour le calculer, les chercheurs, Mme Roxane Borgès Da Silva et M. Mike Benigeri, ont utilisé les données de facturation des médecins à la Régie de l’assurance maladie du Québec.
L’étude s’est penchée sur un échantillon de 25 000 femmes ayant accouché en 2017. Les chercheurs ont découvert que 20,5 % des futures mères ont été prises en charge au deuxième trimestre, 2,9 % au troisième et que 0,1 % n’ont eu aucun suivi.
Le moment de la prise en charge variait d’une région du Québec à l’autre. C’est au Bas-Saint-Laurent que la situation était la meilleure : 88 % des femmes enceintes avaient rencontré un médecin à leur premier trimestre. À l’autre extrême se trouvait Montréal où la proportion atteignait moins de 69 %. Le programme provincial de l’Avis de grossesse tiendra d’ailleurs compte de ces disparités régionales.
« Nous avons déterminé de façon très ciblée le nombre d’intervenantes qui seront engagées dans les CISSS et les CIUSSS selon le pourcentage de patientes visées déjà connues et le nombre de naissances. Ainsi, comme on sait que le besoin est grand dans une région comme Montréal, il y en aura davantage », explique la Dre Chantal Lacroix, médecin-conseil à la Direction générale de santé publique du ministère de la Santé et des Services sociaux.
L’âge de la mère serait aussi un facteur important, mentionnent les chercheurs. « On note que chez les femmes plus jeunes (15-19 ans) et les femmes plus âgées (45-49 ans) près de la moitié n’ont pas de prise en charge de grossesse au premier trimestre », indiquent-ils dans leur rapport.
La littérature scientifique montre par ailleurs que d’autres facteurs augmentent le risque d’avoir un suivi médical tardif : le fait d’être défavorisée sur le plan socio-économique, d’avoir immigré récemment et d’attendre son premier enfant. « Il est donc nécessaire de mettre en place des actions pour réduire les inégalités d’accès aux services prénataux et améliorer le suivi de grossesse dès le premier trimestre pour réduire les risques de santé pour la mère et l’enfant », conclut l’étude.
1. Borgès Da Silva R et Benigeri M. Analyse du délai du premier suivi médical de grossesse dans le cadre du projet de conception et d’implantation d’un système d’Avis de grossesse à Montréal. Montréal : CIRANO ; 2020. 27 pages.
Quel sera le rôle des médecins de famille dans ce nouveau programme ? « On leur demandera deux choses, précise la Dre Lacroix. D’abord, dès qu’ils auront une patiente enceinte, on voudrait qu’ils l’incitent à remplir l’avis de grossesse et l’aident au besoin. Ensuite, s’ils font des suivis de grossesse, on aimerait qu’ils s’inscrivent sur la liste des cliniciens qui prennent en charge de nouvelles patientes. Ils recevront par courriel un formulaire pour le faire et une lettre explicative. »
Les médecins participants ne seront soumis à aucune obligation. « Les intervenantes de l’Avis de grossesse communiqueront avec eux si elles ont des patientes qui habitent près de leur clinique. Elles passeront par leur secrétaire ou leur système informatisé de prise de rendez-vous, selon leur préférence. S’ils ne sont pas disponibles, la démarche finira là. Les médecins ne seront pas contactés personnellement. »
La charge de travail des omnipraticiens ne devrait pas augmenter. « Ils voyaient déjà ces patientes enceintes, mais parfois trop tardivement. Comme médecin, on préfère toujours les rencontrer le plus tôt possible », indique la Dre Lacroix, qui elle-même fait des suivis de grossesse à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal. Les médecins de famille ne seront par ailleurs pas les seuls professionnels sollicités. « L’Avis de grossesse permettra à tous les professionnels de la santé faisant des suivis de grossesse de recevoir des demandes de prise en charge. L’objectif est de faire dorénavant coïncider l’offre et la demande. »
Le concept de l’avis de grossesse existe déjà dans plusieurs régions, comme en Estrie ou à Québec. Chacune a sa propre formule. Le nouvel avis, qui les remplacera, sera provincial, uniforme, informatisé et lié à différents services, comme la Fondation Olo, qui offrent des aliments aux femmes enceintes à faibles revenus.
Certains programmes gouvernementaux seront par ailleurs bonifiés pour mieux aider les futures mères vulnérables. « Les Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance ont été améliorés l’an dernier pour s’assurer d’une meilleure couverture, et l’on compte les rehausser encore avec l’Avis de grossesse pour que les infirmières puissent aller à domicile. Initialement, c’était le but du programme, mais avec le temps, malheureusement, il s’est perdu. Beaucoup [de choses] se font par téléphone. Là, on veut que les intervenantes retournent dans le milieu voir l’état des lieux, travailler avec les familles, développer un lien de confiance », explique le ministre Carmant.
Ce changement présente de grands avantages, estime la Dre Lacroix. « En allant à la maison, les infirmières voient la dynamique familiale, le conjoint. Elles peuvent remarquer de nombreux éléments imperceptibles au téléphone. »
L’Avis de grossesse permettra également de recueillir des données pour mieux comprendre la situation. « On va continuer à surveiller le nombre de patientes prises en charge dès le premier trimestre. S’il y a un problème, on pourra mieux en déterminer la source. Est-ce parce qu’on ne rejoint pas les femmes ou qu’on n’a pas assez de professionnels pour les prendre en charge ? », dit la médecin-conseil.
Au début de 2022, une grande campagne de communication aura lieu tant auprès de la population que des professionnels de la santé. De la publicité sera faite dans tous les milieux où les femmes enceintes sont susceptibles de passer : au rayon des tests de grossesse dans les pharmacies, aux urgences où certaines se rendent à cause de saignements, dans les organismes aidant les réfugiés et les immigrants, etc. Les médecins, les pharmaciens et autres professionnels seront également sollicités. « On veut s’assurer que tout le monde soit là pour aider les femmes », affirme la Dre Lacroix. //