Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. |
Au printemps 2021, une soixantaine de médecins se sont vu réclamer des montants salés pour leur facturation de 2017 et 2018, parce qu’ils l’avaient soumise après le délai de 90 jours de la date à laquelle le service assuré avait été fourni. On parle de sommes totalisant quelques milliers de dollars à près de cent mille dollars. Puisqu’ils avaient été payés à l’époque, les médecins étaient généralement étonnés d’apprendre que leur facturation avait été soumise hors délai. Selon toute vraisemblance, cette situation découlerait d’une mauvaise utilisation des nouvelles modalités de facturation qui permettent au médecin ou à son mandataire, depuis 2017, de modifier une facture déjà traitée par la RAMQ. Si le médecin n’a pas été informé à l’époque de cette situation, une réclamation surprise par la RAMQ a de quoi donner lieu à quelques discussions entre le médecin et son agence de facturation. Il existe sans doute d’autres situations comparables qui n’ont pas encore été relevées par la RAMQ. Que feriez-vous en pareille situation ?
Le nouveau système de facturation de la RAMQ, en place depuis 2017, permet au médecin de modifier une facture déjà traitée par la RAMQ. Fini l’obligation de refacturer à la suite d’un refus ou de faire une demande pour annuler une facture erronée en vue de la corriger. Cette nouvelle fonctionnalité n’intégrait pas au départ tous les contrôles requis pour s’assurer du respect du délai de transmission d’une facture.
En effet, au moment d’ajouter cette fonction dans son système de traitement de la facturation, la RAMQ contrôlait le délai entre la date du service et la date à laquelle une facture lui était transmise. Elle refusait les factures soumises plus de 90 jours après la date du service, ce qu’elle fait toujours. Par contre, lors de la correction d’une facture, soit le changement de la date à laquelle le service a été rendu, la RAMQ ne s’assurait pas que la nouvelle date se situait encore dans la période de 90 jours, contrôle qu’elle a ajouté en décembre 2018.
Pendant un certain temps, la nouvelle fonction de modification des factures permettait donc de soumettre une première facture avec une date fictive qui respectait le délai de facturation de 90 jours, puis d’échanger cette date pour la véritable date de service qui était hors délai. La Régie ne vérifiant pas à l’époque si cette dernière date respectait bien le délai de 90 jours, il était alors possible d’éviter de présenter une demande de dérogation au délai de facturation, demande qui est souvent refusée. C’est ce qui a donné lieu à la situation décrite d’entrée de jeu.
Afin de vous aider si jamais vous deviez faire l’objet d’une réclamation à la suite de contrôles indiquant une facturation inadéquate à la RAMQ, regardons les différentes situations possibles afin de savoir ce qui relève, en amont, de la responsabilité du médecin, de l’agence de facturation ou des deux à la fois.
Certains médecins étaient en retard au moment de transmettre les factures à leur agence et ils le savaient. Ils ont tout remis à leur agence en espérant qu’elle puisse faire quelque chose. Certaines agences ont alors pu indiquer au médecin qu’elles soumettraient les factures en exploitant une faille du système, mais que le médecin assumait le risque par la suite. D’autres ont « fait de la magie » et ont soumis la facturation en profitant de la faille en question, sans informer le médecin du risque inhérent à cette approche. Le médecin se trouvait rassuré du fait que sa facturation avait été acceptée.
Dans le premier cas, on comprend que le médecin savait qu’il pourrait faire l’objet d’une récupération ultérieure. Comme il se doutait à l’époque qu’une demande de dérogation n’aurait pas été acceptée, il n’a maintenant d’autre choix que d’envoyer un chèque à la RAMQ et de faire modifier ses déclarations de revenus antérieures par son comptable pour au moins récupérer l’impôt payé sur les sommes remboursées.
Dans le deuxième cas, le médecin risque d’en vouloir à son agence de facturation. Même s’il était peu probable, à l’époque, qu’une demande de dérogation soit acceptée, le médecin peut estimer qu’il aurait été plus prudent avec cet argent s’il avait su qu’il pouvait un jour être appelé à rembourser les honoraires en cause. Par ailleurs, s’il a l’impression qu’une demande de dérogation au délai de facturation aurait eu de bonnes chances d’être acceptée à l’époque, il devrait en faire une dès qu’il apprend qu’il était hors délai en raison de la réclamation de la RAMQ, et ça pourrait régler le problème.
En 2017 et en 2018, la possibilité de modifier des factures déjà transmises à la RAMQ permettait de se faire payer pour des demandes soumises en dehors du délai légal de 90 jours. L’utilisation de ce moyen à l’époque par votre mandataire peut avoir donné lieu à une récupération surprise récemment. |
Si le médecin a soumis sa facturation dans les délais et que c’est l’agence qui l’a transmise en retard, la situation est différente. L’analyse devient aussi plus complexe.
Supposons que le médecin a transmis sa facturation d’une semaine d’hospitalisation à son agence une semaine avant la date limite. Plusieurs raisons peuvent expliquer le retard de facturation de l’agence à la RAMQ : le médecin n’a pas indiqué que le délai restant était court, le personnel était en vacances, l’agence a acheté une autre entreprise et le roulement n’était pas fluide, etc.
Et l’agence peut avoir mentionné au médecin avoir soumis la facturation en retard en profitant toutefois d’une faille, mais que les montants pourraient faire l’objet d’une récupération. Elle peut aussi être restée muette à cet égard. Enfin, le médecin doit évaluer si une demande de dérogation à la RAMQ aurait eu de bonnes chances d’être acceptée à l’époque.
Dans la mesure où le problème est survenu une seule fois, l’enjeu pécuniaire est possiblement plus modeste. Il devrait donc être plus facile pour le médecin de se résoudre à payer le montant demandé par la RAMQ ou d’arriver à une entente avec l’agence, selon le responsable du problème. Il ne faut pas oublier que le médecin peut toujours faire une demande de dérogation au délai de 90 jours pour soumettre sa facturation. Selon les raisons du retard initial, la RAMQ pourrait accepter de prolonger le délai même si la demande est faite très tardivement.
Il faut tenir compte de plusieurs facteurs pour départager la responsabilité du médecin et de son agence en cas de réclamation par la RAMQ liée à une facturation non conforme non contrôlée initialement. |
Il est également possible que le médecin transmette systématiquement sa facturation en retard à son agence. Selon que le médecin était hors délai ou qu’il était serré, l’analyse sera différente. S’il est systématiquement en retard, le seul reproche qu’il peut faire à son agence est de ne pas lui avoir fait part du risque qu’il courait. S’il avait su que les montants facturés à l’aide d’une faille dans le système de la RAMQ pouvaient faire l’objet d’une récupération, il y a fort à parier qu’il se serait ajusté et aurait priorisé sa facturation. En n’informant pas le médecin du risque possible, l’agence le privait de la possibilité de corriger la situation.
Si le médecin transmettait ses données à son agence à temps, de façon serrée ou en respectant largement les délais, il faut comprendre que c’est l’agence qui avait un problème chronique. La responsabilité de cette dernière semble alors plus importante, même si elle avait avisé le médecin à l’époque. Par ailleurs, il est plus probable qu’une telle situation entraîne le refus d’une demande de dérogation.
Un autre enjeu s’ajoute à cette situation, soit le sort de la facturation soumise en retard lorsque la RAMQ a mis en place le contrôle en décembre 2018. Si l’agence soumettait systématiquement la facturation en retard et qu’elle le faisait encore à la fin de 2018, la RAMQ a dû refuser la facturation durant la période où l’agence « rattrapait son retard » de façon à respecter le délai de 90 jours. Le médecin aurait intérêt à s’informer de ce qui est arrivé à l’époque et à vérifier ses états de compte d’alors afin de s’assurer qu’il n’y a pas eu un trou de quelques semaines dans sa facturation à la fin de 2018 durant la période de transition.
Dans les cas de retard chronique, les sommes en cause peuvent être plus importantes, sans compter les montants additionnels perdus à la fin de 2018 qui ne font pas partie de la réclamation de la RAMQ. Comme il s’agissait d’une situation chronique, l’agence pourrait devoir convenir d’un règlement dont la somme pourrait être d’autant plus importante que la situation touche plusieurs clients. Les discussions avec l’agence peuvent donc être difficiles.
Plusieurs agences incluent une limitation de responsabilité dans leur contrat, ce qui peut ajouter à la difficulté. Une indemnité maximale est ainsi prévue en cas de faute. Cette limite correspond souvent aux honoraires des douze derniers mois.
On peut comprendre la raison d’être d’une telle clause. Les marges de rentabilité des agences de facturation sont faibles tandis que le coût du service est très peu élevé par rapport aux honoraires des médecins.
Le droit québécois limite toutefois la portée de telles exclusions de responsabilité (voir l’encadré). Effectivement, on ne peut pas exclure ni limiter sa responsabilité pour une faute intentionnelle ou une faute lourde, soit une faute qui dénote une imprudence ou une négligence grossière.
Si le médecin faisait l’objet d’une réclamation de cinq, dix ou quarante mille dollars, est-ce que la clause s’appliquerait ? Cela dépend des faits. Dans les cas décrits précédemment, on peut supposer que la modification des dates des services pour contourner une exigence légale en raison du retard de l’agence serait qualifiée de négligence grossière. Mais comme nous l’avons vu, plusieurs scénarios sont possibles. La réponse pourrait donc être moins claire dans d’autres situations. Toujours est-il que l’agence mettra probablement une telle limitation de l’avant lors des discussions avec le médecin dans l’espoir de semer le doute dans son esprit. Devoir débourser des frais pour faire trancher la question par le tribunal n’est pas intéressant.
L’absence d’une telle clause ne veut pas dire que vous n’aurez pas de problème en cas de négligence de votre agence. S’il s’agit d’une petite entreprise, la faillite personnelle du propriétaire pourrait être la vraie clause de limitation de responsabilité.
Comment se protéger contre ce genre de situation ? Comme le médecin est responsable de sa facturation, il a intérêt à exercer un certain suivi. Il devrait demander à recevoir des états de compte régulièrement et les regarder périodiquement pour s’assurer qu’il y trouve l’ensemble de ses activités et qu’il n’y a pas d’anomalie. En cas de doute, il devrait en parler avec son agence. Si les réponses de cette dernière ne le satisfont pas, il devrait communiquer avec la Fédération.
Il peut toujours se faire justice en cas de problème en faisant appel aux médias sociaux. Un client mécontent peut facilement partager son expérience publiquement, tant qu’il s’en tient à relater des faits. Étaler publiquement des manquements d’une agence d’envergure devant la communauté médicale peut avoir un impact sur sa réputation. Bref, en contrepartie d’un engagement du médecin de garder les faits confidentiels, une agence pourrait, selon les circonstances, accepter de le dédommager partiellement ou pleinement, malgré une clause de limitation de responsabilité.
En raison des frais nécessaires pour se défendre en justice, il est souvent préférable pour les deux parties de s’entendre sur un règlement négocié.
Il faut par ailleurs être conscient des risques de se faire justice soi-même. L’agence en question pourrait mettre fin à sa relation avec le médecin, et ce dernier pourrait avoir de la difficulté à se trouver une autre agence. Le suivi de sa facturation demeure donc un moyen plus fiable, même s’il exige une certaine connaissance des modalités de rémunération.
Vous n’avez pas été touché par le problème décrit ? Tant mieux. Ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas d’autres contrôles manquants dans le système de la RAMQ et que vous ne ferez jamais l’objet d’une demande comparable. Le cas échéant, songez à faire appel à la Fédération que la RAMQ aura probablement informée de la situation (mais pas des noms des médecins ni des agences concernés). Elle pourra vous aider à y voir clair. Et l’analyse décrite dans le présent article pourra vous sensibiliser aux enjeux lorsque vient le temps de déterminer qui est en faute et quelles sont les pistes de solution possibles.
Bien sûr, nous ne vous souhaitons pas une telle mésaventure. Néanmoins, il est toujours intéressant de savoir ce qui peut se produire. Comme le dit le dicton : Une personne avertie en vaut deux. À la prochaine ! //
Plusieurs agences prévoient une limitation de responsabilité dans leur contrat qui restreint la compensation qu’elles peuvent être appelées à verser à leurs clients s’ils devaient subir des dommages par leur faute. |