effets cardiovasculaires et anticancéreux de l’exercice intense
Chez les hommes atteints d’un cancer de la prostate localisé, l’exercice aérobique avec des intervalles à haute intensité non seulement augmente la capacité cardiorespiratoire, mais diminue aussi le taux d’antigène prostatique spécifique et la croissance des cellules cancéreuses.
Beaucoup d’hommes atteints d’un cancer de la prostate sont sous surveillance active. Et ils sont inquiets. Cependant, ils pourraient peut-être améliorer leur longévité. Comment ? Par l’exercice aérobique intense, selon une nouvelle étude publiée dans le JAMA Oncology1.
Un entraînement sur tapis roulant comprenant des intervalles à haute intensité agirait sur plusieurs plans. Il diminuerait le taux d’antigène prostatique spécifique (APS) et la croissance des cellules cancéreuses, mais surtout, il augmenterait la capacité cardiorespiratoire. Un facteur important, parce que les patients sous surveillance active ont environ trois fois plus de risque de mourir d’une maladie cardiovasculaire que du cancer de la prostate.
À l’Université de l’Alberta, à Edmonton, le Pr Dong-Woo Kang et son équipe ont mené une étude — l’essai clinique ERASE — sur 52 patients atteints d’un cancer de la prostate à faible risque. Les sujets, âgés en moyenne de 63 ans, étaient tous sous surveillance active.
Les participants ont été répartis au hasard dans deux groupes. Dans le premier, 26 recevaient seulement les soins habituels. Dans le second, 26 autres bénéficiaient, en plus, d’un entraînement supervisé et individualisé sur tapis roulant comprenant des intervalles à haute intensité (encadré). Ce programme comportait des séances trois fois par semaine pendant trois mois. Le taux d’adhésion des sujets atteignait 96 %.
Le principal critère d’évaluation de l’étude : le VO2 max, c’est-à-dire la consommation maximale d’oxygène. Dans le groupe qui s’entraînait, ce taux a augmenté de 0,9 ml/kg/min tandis qu’il a diminué de 0,5 ml/kg/min dans le groupe témoin (tableau). Le premier groupe a ainsi amélioré de façon significative sa forme cardiovasculaire.
Les indicateurs biochimiques de l’évolution du cancer de la prostate étaient également mesurés. Les sujets qui s’entraînaient présentaient de meilleurs résultats que ceux du groupe témoin : leur taux d’APS était inférieur de 1,1 µg/l et la vitesse d'augmentation de ce paramètre était plus basse de 1,3 µg/l/an (tableau).
« Il est intéressant de constater que le taux d’APS a diminué dans le groupe actif, parce qu’il augmente généralement avec le temps, qu’il y ait un cancer de la prostate ou non. La force de ces résultats vient de la présence du groupe témoin. Autrement, ils ne seraient pas aussi impressionnants. Les données sur la vitesse de progression du taux d’APS sont également intéressantes, parce qu’elles montrent un ralentissement », explique le Dr Fred Saad, chef du service d’urologie du Centre hospitalier de l’Université de Montréal.
L’exercice intense avait, en outre, un impact sur la croissance des cellules cancéreuses. En laboratoire, le plasma des patients physiquement actifs ralentissait le développement des cellules cancéreuses LNCap, une lignée utilisée en recherche. Le plasma des sujets témoins, en revanche, n’avait aucun effet (tableau).
La différence entre l’action du plasma des deux groupes s’élevait à 0,13 unité de densité optique. « C’est une différence marquée. Ce qui est important, encore ici, c’est que l’étude a comparé l’effet sur les mêmes lignées cellulaires en utilisant le plasma d’un groupe témoin », précise le Dr Saad, également directeur de la recherche sur le cancer de la prostate à l’Institut du cancer de Montréal/Centre de recherche du CHUM.
Ces données sont intrigantes, souligne l’urologue. « Elles montrent qu’il s’est produit un changement dans le sang des sujets qui ont fait de l’exercice intense. Leur type d’entraînement a peut-être des propriétés anticancéreuses. Il est possible que des éléments, comme le système sanguin ou immunitaire, se soient modifiés dans l’environnement du cancer. L’exercice chez les patients cancéreux pourrait donc avoir un effet bénéfique au-delà de la qualité de vie. »
Comment les chercheurs albertains ont-ils réussi à inciter des hommes dans la soixantaine, ayant un indice de masse corporelle de 29 kg/m², à pratiquer une activité physique intense alors qu’aucun ne le faisait auparavant ? Presque tous les participants ont, en outre, poursuivi l’entraînement jusqu’à la fin.
« Je pense que c’est parce que les chercheurs leur ont proposé un programme d’exercice encadré, indique le Dr Saad, aussi titulaire de la Chaire Raymond Garneau en cancer de la prostate. Dans notre clinique, on suggère aux patients des exercices, on leur donne des dépliants, on leur dit comment faire, mais on les laisse à eux-mêmes. C’est la minorité qui va faire l’activité physique proposée. Toutefois, si vous avez un kinésiologue qui dit aux patients : “Voici ce qu’il faut faire. Suivez-moi”, l’adhésion au programme va être excellente. C’est l’encadrement et la stimulation individuelle qui aident les patients. Certains, seuls, seront motivés, mais ne persévéreront pas et ne feront pas les exercices à l’intensité requise. »
« Les données montrent qu’il s’est produit un changement dans le sang des sujets qui ont fait de l’exercice intense. Leur type d’entraînement a peut-être des propriétés anticancéreuses. » — Dr Fred Saad |
Cet entraînement permet aux patients de combattre leur principal ennemi : les maladies cardiovasculaires. L’urologue insiste d’ailleurs sur cet aspect auprès de sa clientèle. « Dans ma clinique, je dis à tous les hommes qui ne sont pas aux portes de la mort : “Le cancer de la prostate n’est pas votre unique problème. Vous risquez davantage de mourir du cœur. Il faut que vous perdiez du poids, fassiez de l’exercice, arrêtiez de fumer.” »
Même chez les patients dont la maladie est avancée, le risque de décès par cancer de la prostate n’est pas énorme. « Nos traitements fonctionnent bien. On peut maintenant garder les patients en rémission très longtemps, même sans les guérir. Un homme de 75 ans dont on est capable de maîtriser le cancer pendant dix ans a plus de chance de mourir d’une maladie cardiovasculaire », souligne le Dr Saad.
Le Dr Saad est lui-même en train de mener une étude internationale sur les effets de l’exercice chez les patients atteints, cette fois, d’un cancer métastatique de la prostate. « Notre but est de montrer que l’exercice augmente carrément la survie », affirme le chercheur.
C’est la Fondation Movember qui a approché le spécialiste pour réaliser ce grand essai clinique. Elle lui a proposé de collaborer avec un expert australien en exercice, le Pr Robert Newton. Des chercheurs des États-Unis, d’Europe et de Chine se sont joints à eux. « Ce sont tous les experts en exercice et en cancer qui travaillent ensemble », indique le Dr Saad.
« Dans ma clinique, je dis à tous les hommes qui ne sont pas aux portes de la mort : “Le cancer de la prostate n’est pas votre unique problème. Vous risquez davantage de mourir du cœur.” » — Dr Fred Saad |
Dans cette étude de 866 patients, les sujets sont répartis au hasard en deux groupes. Dans le premier, les participants reçoivent un guide d’exercices à faire seul. Dans le second, ils bénéficient d’un programme supervisé d’exercices aérobiques de forte intensité et d’exercices en résistance. « Le programme doit être le même dans tous les pays, mais adapté à la réalité du patient. Des sujets ont deux métastases, d’autres vingt. Certains ont 82 ans et d’autres 55 ans. Ce que l’on cherche, c’est à améliorer la condition physique du patient par rapport à lui-même. »
Le critère d’évaluation principal est la survie. Mais l’essai mesure aussi le temps écoulé avant la progression du cancer, l’apparition d’un problème osseux et l’accroissement de la douleur. Il suit également les taux des biomarqueurs de l’inflammation, du métabolisme énergétique et du métabolisme des androgènes.
Les premiers résultats, portant sur le taux sanguin des cytokines, vont bientôt être publiés. Et ils seraient prometteurs. Ils pourraient confirmer l’effet bénéfique de l’exercice sur le système immunitaire.
« Si l’on prouve que l’exercice prolonge la vie et aide à maîtriser le cancer de la même manière qu’un médicament de 4000 $ par mois, on pourra alors demander des fonds pour des programmes d’exercice encadrés, affirme le Dr Saad. L’activité physique pourrait ainsi devenir un traitement adjuvant. » //
1. Kang D-W, Fairey A, Boule N et coll. Effects of exercise on cardiorespiratory fitness and biochemical progression in men with localized prostate cancer under active surveillance: The ERASE randomized clinical trial. JAMA Oncol, publie initialement en ligne le 19 aout 2021. DOI : https://doi.org/10.1001/jamaoncol.2021.3067