quelles précautions faut-il prendre ?
Une nouvelle étude américaine confirme que les statines sont liées à une augmentation du risque de progression du diabète. Un facteur dont il faut tenir compte, mais qui ne doit pas empêcher la prescription de ces hypolipémiants, estime le Dr André Carpentier, endocrinologue.
On sait que les statines sont associées à une augmentation de la résistance à l’insuline. Des chercheurs américains estiment même, à la lumière de leur étude publiée dans le JAMA Internal Medicine, qu’il y a des risques à prescrire ces médicaments aux patients diabétiques1.
Le Dr Ishak Mansi et ses collaborateurs affirment que leur étude de cohorte rétrospective montre que « la prise de statines est associée à une progression du diabète, ce qui inclut une plus grande probabilité de commencer un traitement à l’insuline, une hyperglycémie importante, des complications glycémiques aiguës et une augmentation du nombre de classes d’hypoglycémiants prescrits ».
Il ne s’agit cependant que d’un côté de la médaille, souligne le Dr André Carpentier, endocrinologue et directeur scientifique du Centre de recherche du CHU de Sherbrooke. « Dire que les statines n’ont aucun impact sur la progression du diabète serait faux. Cependant, il faut aussi voir leurs bienfaits, qui dépassent largement leurs inconvénients. Un patient à qui l’on ne donnerait pas de statines par crainte d’aggraver son diabète risquerait davantage de subir un accident vasculaire cérébral ou un infarctus du myocarde. Il faut inclure cette éventualité dans l’équation. »
Qu’apporte l’étude américaine ? Elle quantifie et précise les risques de progression du diabète après le début du traitement par une statine.
Le Dr Mansi et son équipe ont réalisé une grande étude de cohorte en se servant des données de 2003 à 2015 du US Department of Veterans Affairs. Ils ont créé, parmi les patients couverts par l’organisme, une cohorte de 83 000 patients qui, durant la période analysée, ont eu un diagnostic de diabète et ont commencé à prendre des statines. À titre comparatif, ils ont apparié ces sujets au même nombre de patients ayant entrepris un traitement par un anti-H2 ou par un inhibiteur de la pompe à protons.
Les participants, dont 95 % étaient des hommes, avaient 60 ans en moyenne. Le diabète a progressé chez plus de consommateurs de statines que de sujets témoins : 56 % contre 48 % (rapport des cotes [RC] : 1,37, P 0,001). De manière plus précise, par rapport aux médicaments de comparaison, les statines étaient liées à une hausse (tableau) :
h du nombre de classes d’hypoglycémiants prescrits (RC : 1,41).
h du nombre de nouveaux diagnostics de diabète non maîtrisé ou avec acidocétose (RC : 1,24) :
h du risque de devoir commencer une insulinothérapie (RC : 1,16) ;
h du risque d’avoir au moins cinq glycémies de 11 mmol/l ou plus (RC : 1,13).
Une relation dose-réponse entre l’intensité de la baisse du taux de cholestérol LDL et les risques de progression du diabète est par ailleurs apparue. Par exemple, les rapports des cotes concernant l’apparition du diabète chez les utilisateurs de statine par rapport aux non-utilisateurs étaient de :
h 1,45 pour une baisse légère du taux de cholestérol ;
h 1,55 pour une baisse moyenne ;
h 1,83 pour une baisse importante.
L’effet des statines sur le diabète était-il fréquent ? Le Dr Mansi et ses collaborateurs ont fait le calcul : « Le nombre de gens qui doivent prendre des statines pour qu’une personne additionnelle connaisse une progression de son diabète était de 13. » Comme toute analyse rétrospective, l’étude américaine est par ailleurs sujette à certains biais.
Le Dr Carpentier n’est pas étonné des résultats des chercheurs américains. « Ils confirment la petite augmentation du risque de diabète de type 2 associée aux statines. Il s’agit en fait du devancement du diagnostic de peut-être cinq à six mois. Dans les études contrôlées à répartition aléatoire, la prise de fortes doses de statines devançait l’apparition du diabète de type 2 chez des patients présentant déjà des facteurs de risque. Une personne de 20 ans, mince et en bonne santé ne va pas devenir diabétique du jour au lendemain en prenant une statine. Le patient concerné est davantage celui de 50 ou de 60 ans qui a des antécédents familiaux, fait de l’embonpoint et a peut-être un prédiabète », explique l’endocrinologue, également titulaire de la Chaire de recherche du Canada en imagerie moléculaire du diabète.
La hausse de la glycémie chez les patients prenant une statine était par ailleurs minime par rapport au groupe témoin : 0,04 mmol/l. Néanmoins, précisent les auteurs, l’étude montre une intensification importante du traitement du diabète qui n’était pas associée à de meilleurs résultats cliniques. Mais ces modifications médicamenteuses ne sont pas forcément graves, souligne le Dr Carpentier. « Si un patient commence à prendre un antihyperglycémiant parce que son hémoglobine glyquée est passée de 6,8 % à 7,0 %, il change de catégorie, mais n’est pas vraiment plus malade. »
L’effet des statines sur la progression du diabète reste cependant réel. « C’est sûr que chez certains patients la prise de statines va nécessiter une augmentation du nombre d’antihyperglycémiants, parce que la résistance à l’insuline va s’accroître », dit le chercheur sherbrookois.
Y a-t-il des mesures préventives à prendre ? « La précaution numéro 1 est d’insister auprès des patients à risque traités par une statine pour qu’ils aient de bonnes habitudes de vie : qu’ils fassent de l’exercice et mangent bien pour éviter la prise de poids, le facteur le plus important lié à l’apparition du diabète de type 2. »
Un suivi plus serré est également nécessaire. « Cette étude est un rappel du fait qu’il faut être vigilant et proactif. On doit faire un dépistage assidu du diabète chez les gens qui prennent des statines, particulièrement chez ceux qui arrivent dans la cinquantaine et la soixantaine et font de l’embonpoint ou sont obèses. »
Le Dr Carpentier lui-même prescrit à ses patients le dosage de l’hémoglobine glyquée chaque année. Quand les valeurs se mettent progressivement à monter, il recommande l’intensification de l’activité physique, la réduction des portions et une baisse de la consommation de sucre et de gras saturés et trans. « Il faut aussi prendre en considération les facteurs associés au stress et au sommeil. » //
1. Mansi I, Chansard M, Lingvay I et coll. Association of statin therapy initiation with diabetes progression: A retrospective matched-cohort study. JAMA Intern Med 2021. Publié initialement en ligne le 4 octobre 2021. DOI : 10.1001/jamainternmed.2021.5714