Dossiers spéciaux

Pratique médicale

des améliorations qui survivront probablement à la COVID-19

Nathalie Vallerand  |  2021-01-29

La pandémie a forcé les omnipraticiens à repenser et à adapter leur façon de travailler. Plusieurs des changements qu’ils ont effectués leur permettent même de bonifier la qualité des soins.

Kowalski

S’il y a une nouveauté qui fait l’unanimité chez les médecins de famille, c’est bien la téléconsultation. « La médecine ne s’exercera plus jamais comme avant. Le temps où médecins et patients se déplaçaient à la clinique à chaque consultation est terminé, estime la Dre Odile Kowalski, responsable du GMF montréalais L’Envolée. La téléconsultation fonctionne, c’est pratique pour tout le monde, et ça permet en plus de maximiser les espaces de bureau. »

Dr Quinty

La médecine à distance a par ailleurs eu un avantage inattendu : la découverte par bien des cliniciens des différentes possibilités de leur dossier médical électronique (DME). « Avant, beaucoup de fonctionnalités étaient méconnues ou sous-utilisées. C’est encore le cas, mais de plus en plus de médecins constatent tout ce qu’ils peuvent faire avec leur DME », souligne pour sa part le Dr Julien Quinty, un technophile qui exerce au GMF-U de Lévis.

Les options favorites du médecin ? Entre autres la possibilité de recevoir de ses patients des photos en toute sécurité. « Les images transitent par le serveur de mon fournisseur de DME, mais elles n’y sont pas stockées de façon permanente, explique-t-il. Le système attribue un code de sécurité à chaque photo et lorsque le patient me donne ce code, la photo est téléchargée dans son dossier médical. »

Le Dr Quinty aime aussi la fonction qui lui permet d’envoyer des textos à partir de son DME. « Je l’utilise pour signaler aux patients que leurs résultats de tests sont normaux. C’est un moyen de communication qu’ils apprécient beaucoup. » À l’heure actuelle, les destinataires n’ont toutefois pas la possibilité de répondre.

Virage technologique

Pour faire de la téléconsultation, certaines cliniques ont dû investir dans la technologie, comme le GMF L’Envolée qui a changé de DME. « L’ancien n’avait pas les fonctionnalités nécessaires pour s’adapter à la télémédecine, affirme la Dre Kowalski. Par exemple, il ne pouvait pas envoyer des télé­copies par Internet ni faire parvenir aux patients des cour­­riels sécurisés. »

Des outils dont l’omnipraticienne ne peut plus se passer aujourd’hui. « Jamais je ne reviendrais en arrière. Le télécopieur en ligne, c’est extraordinaire, car le pharmacien reçoit l’ordonnance en un temps éclair. Et fini les problèmes de patients qui perdent leur papier ! » Quant aux courriels sécuri­sés, le GMF s’en sert notamment pour transmettre aux patients leurs résultats de tests, accompagnés d’un mot de leur médecin (des gabarits de messages ont été créés). « Ce qui est intéressant, c’est que nous obtenons la confirmation que le patient a ouvert le courriel », souligne la clinicienne.

Mais tous les DME n’offrent pas cet avantage. Le Dr Quinty entend certains médecins se plaindre de ne pas recevoir la confirmation de la réception du courriel. Et cela l’inquiète. « Sur le plan médicolégal, c’est risqué. Je conseille à ces collègues de faire une vérification auprès du patient. Mais pour régler le problème, les médecins doivent demander à leur fournisseur de DME d’ajouter cette fonctionnalité. »

Avec les progrès, viennent en effet de nouveaux risques. C’est ainsi que les médecins de L’Envolée pensent se munir d’une assurance contre les cyberrisques, qui incluent la cybercriminalité. « Aux États-Unis, et même ici au Québec, des cyberattaques ciblent les hôpitaux, constate la Dre Kowalski. Et si ça nous arrivait ? »

La retraite peut attendre

Pour le Dr Jean-Marc Hébert, un vétéran de la médecine familiale, la COVID-19 agit comme un catalyseur. « C’est l’occasion d’être créatif pour améliorer l’accès aux soins et la communication avec les patients », estime le médecin du CLSC-GMF de Saint-Donat.

Par exemple, après une consultation à distance ou en personne, il a pris l’habitude d’envoyer par courriel un résumé de ses recommandations aux patients qui ont consenti aux communications électroniques. Parfois, il y ajoute des liens vers des sites qui proposent des informations médicales fiables. « C’est mieux qu’avant où le patient sortait du bureau en n’ayant que sa mémoire pour se souvenir de la discussion. » Le Dr Hébert effectue ensuite une capture d’écran du courriel qu’il copie dans le dossier électronique du patient. Une façon d’étoffer ses notes cliniques.

Depuis le début de la pandémie, le médecin de famille de 62 ans concentre ses rendez-vous en personne sur une ou deux journées par semaine. Le reste du temps, il travaille de chez lui. Il aime tellement cette formule qu’il pense prolonger sa carrière, lui qui planifiait prendre sa retraite dans environ trois ans.

« Faire des urgences, ressentir de la pression parce que des gens attendent après moi dans la salle d’attente. Je commençais à trouver cela difficile, confie-t-il. Si la téléconsultation continue d’être permise, j’irai moins souvent au cabinet. Je dirigerai mes patients qui ont besoin d’être rapidement vus en personne vers mes collègues avec qui j’ai créé des corridors de service. Et comme mon horaire sera plus modulable, il me sera plus facile de donner des téléconsultations en soirée pour accommoder certains patients. »

Visites virtuelles au pénitencier

En temps normal, la Dre Geneviève Côté se rend une fois par mois sur la Côte-Nord pour soigner des personnes aux prises avec une dépendance aux opioïdes. Elle rencontre d’abord ses patients du Centre de protection et de réadaptation de la Côte-Nord, à Sept-Îles, puis elle poursuit son séjour par une visite au pénitencier de Port-Cartier. Avec la pandémie, ce n’est plus possible. C’est par écran interposé qu’elle voit désormais ses patients.

La méthode est efficace, estime l’omnipraticienne. « Au centre de dépendance comme au pénitencier, une infirmière est sur place pendant le rendez-vous virtuel. Elle peut prendre les signes vitaux du patient, vérifier ses pupilles et faire différentes observations pour moi. »

En fait, la téléconsultation fonctionne tellement bien pour les patients qui suivent un traitement de méthadone ou de suboxone que la Dre Côté pense l’intégrer à sa pratique après la pandémie. Ce type de rencontre lui donne la souplesse nécessaire pour offrir un suivi médical plus régulier. « Je faisais auparavant mes quatorze heures de travail par mois au pénitencier au cours d'un seul séjour, puisque je me rendais là-bas en avion. Avec les consultations virtuelles, je peux répartir ces heures tout au long du mois. Je suis loin physiquement de mes patients, mais je suis plus présente pour ceux qui ont besoin d’un suivi serré. »

Y retournera-t-elle en personne de temps en temps ? « Oui, mais moins souvent. Peut-être une fois toutes les six semaines ou tous les deux mois », répond-elle.

Pour la Dre Côté, la téléconsultation pourrait par ailleurs permettre d’éviter les bris de service dans les soins aux personnes toxicomanes. « Environ 200 médecins au Québec s’occupent de cette clientèle, et il n’y en a pas dans toutes les communautés. L’offre est fragile. À plusieurs endroits, un seul médecin tient le service à bout de bras. S’il s’épuise, s’il tombe malade, s’il cesse sa pratique, il y a découverture. Avec la téléconsultation, des médecins des grands centres pourraient se rendre collectivement disponibles pour prodiguer les soins. » Une solution qui pourrait également être utile aux petites communautés éloignées qui n’ont pas de médecin, croit-elle.

Une bouée de secours pour la santé mentale

C’est par hasard que le Dr Mitchel Germain a découvert un intéressant avantage de la téléconsultation pour le suivi des patients souffrant d’anxiété, de troubles de l’humeur ou d’autres problèmes de santé mentale : la possibilité d’intervenir rapidement pour éviter une réaction fréquente, soit l’arrêt de la prise des médicaments.

« Pendant le confinement, j’ai vu que ces patients se décompensaient plus souvent à cause du stress lié à la COVID-19, raconte ce médecin de famille du GMF-R Polyclinique de Vaudreuil. J’ai donc pris l’initiative de les appeler quelques jours après leur rendez-vous pour savoir comment ils allaient. »

Dr Germain

Le Dr Germain se rend vite compte que ce suivi rapproché est bénéfique. « D’abord, cela me permet d’évaluer le respect du protocole thérapeutique. Ensuite, lorsqu’un patient a des effets indésirables légers, je peux le rassurer en lui disant qu’ils sont passagers. Et si les réactions indésirables sont importantes, je peux aussi modifier la dose du médicament ou changer ce dernier. »

Bref, un simple appel peut prévenir le risque que le patient cesse de prendre ses médicaments ou que son état se détériore, a pu constater l’omnipraticien qui compte poursuivre dans cette voie.

Un moyen naturel de communication

Haskins

Les jeunes de 12 à 24 ans forment une autre clientèle pour laquelle la téléconsultation constitue une formule gagnante. « On se demande pourquoi on ne faisait pas ça avant », lance la Dre Catherine Haskins, médecin de famille à la clinique jeunesse du CLSC du Lac-Saint-Louis, à Pointe-Claire. Les rendez-vous téléphoniques, dit-elle, sont particulièrement bien adaptés au style de vie et aux besoins de cette génération, née avec un cellulaire dans les mains.

« La plupart de nos jeunes patients ont une bonne santé physique. Ils consultent surtout pour des problèmes de santé mentale, des difficultés familiales, des besoins en contraception. Pour la plupart de ces visites, la téléconsultation fonctionne bien. »

Après la pandémie, la Dre Haskins souhaite donner aux patients le choix entre une consultation en personne ou au téléphone, lorsqu’un examen physique n’est pas requis. « C’est tellement plus flexible. Par exemple, j’ai des patients qui étudient à Ottawa ou au centre-ville de Montréal et pour qui c’est compliqué de se rendre au CLSC. » Elle estime également qu’une téléconsultation est plus facile à reporter qu’une rencontre au cabinet.

Bouger devant l’ordi

Au début du confinement, le CLSC-GMF de Saint-Donat a dû mettre fin aux séances d’exercice en groupe destinées aux personnes âgées et aux patients ayant une maladie chronique ou des douleurs persistantes. La kinésiologue qui faisait bouger tous ces gens s’inquiétait. Leur état allait-il se détériorer ? Le Dr Jean-Marc Hébert, qui pratique dans cette clinique, a alors eu une idée : recourir à la vidéoconférence.

« On ne pouvait pas laisser tomber ces patients, dit-il. Lorsqu’ils sont actifs physiquement, leur glycémie baisse, ils ont moins de douleurs et d’ankylose, leur équilibre s’améliore et leur humeur aussi, car l’activité physique fait office d’antidépres­seur. »

Résultat ? Les séances d’exercice virtuelles ont eu un succès monstre. Maintenant, ils sont parfois une cinquantaine à bouger devant un écran en suivant les instructions de la kinésiologue. Et après l’activité physique, les micros s’ouvrent pour un brin de conversation. « Les gens sont enchantés », se réjouit le Dr Hébert qui souligne que ces rencontres contribuent également à briser l’isolement.

Après la COVID-19, l’initiative devrait se poursuivre en mode hybride (en salle et à distance). « L’avantage de la visioconférence, c’est que nous ne sommes pas limités par l’espace. Davantage de personnes pourront profiter du programme. » Un écran géant a même été installé dans une résidence pour personnes âgées de la région !

Dre Guimont

Signes vitaux à l’auto

Depuis que la COVID-19 fait partie de nos vies, il est possible de se faire tester en restant bien assis derrière son volant. Pourquoi ne pas appliquer le même concept à la prise des signes vitaux ? C’est ce qu’a fait le GMF MAclinique médicale Lebourgneuf.

« Lors d’une téléconsultation, il arrive qu’il ne manque que les signes vitaux pour poser un diagnostic ou décider du traitement, explique la Dre Chantal Guimont, directrice du GMF. Dans ce cas, nous proposons au patient de se rendre près de la porte de la clinique où une infirmière peut prendre son rythme cardiaque, sa température et sa saturation. » Même chose pour le dépistage de la pharyngite à streptocoque qui peut aussi être fait au « service à l’auto ».

Instaurée pour réduire les risques de contamination dans le contexte de la pandémie, la formule peut également être utile dans d’autres situations, estime la Dre Guimont. « Par exemple, on pourrait y recourir lorsqu’on soupçonne une grippe ou une autre maladie contagieuse chez un patient, mais uniquement si un examen physique n’est pas requis. Le but est d’éviter de faire entrer une personne contagieuse dans la clinique quand il n’y a aucun avantage à le faire. »

Selon la médecin de famille, la COVID-19 a permis une prise de conscience collective de l’importance de la prévention des infections. « Je ne pense pas qu’on va revoir un jour des situations où des personnes contagieuses vont s’asseoir dans la salle d’attente avec les autres. Tout le monde voit davantage les risques de contamination. »

Même constat pour la Dre Odile Kowalski, du GMF L’Envolée. « Après la pandémie, les patients devront continuer à se désinfecter les mains en entrant dans la clinique. Et toute personne enrhumée ou fiévreuse devra porter un masque. Maintenant que les gens sont habitués aux mesures d’hygiène, je veux que ça reste. » //