La crise pandémique n’est pas encore terminée que le gouvernement canadien annonçait déjà, fin novembre, un déficit budgétaire frôlant les 400 milliards de dollars pour l’année fiscale 2020-2021. Cette somme représente 17,2 % du PIB, un record pour l’ère moderne. Nous ne sommes pas encore fixés sur l’importance de la seconde vague et de son effet sur les finances publiques, mais nous savons que le gouvernement fédéral projette entre 70 et 100 milliards de dollars en mesures de stimulation au cours des trois prochains exercices. Ces dépenses ne sont évidemment pas encore comptabilisées.
De son côté, la dette fédérale, qui était de 31,2 % du PIB pour l’exercice fiscal 2019-2020, augmentera pour atteindre 52,6 % du PIB en 2021-2022 selon le directeur parlementaire du budget. Rappelons-nous que la crise financière de 2008 avait déjà créé une brèche dans les finances du gouvernement fédéral.
Un portrait plus complet des finances publiques canadiennes se doit également d’inclure les déficits budgétaires provinciaux. De façon générale, l’endettement provincial s’est fortement dégradé lors de la crise de 2009 et n’a pu être maîtrisé par la suite (hormis peut-être au Québec). Le résultat de l’actuelle pandémie est que les emprunts provinciaux pour financer la hausse des dépenses en santé et compenser la baisse des recettes totaliseraient probablement un autre 100 milliards de dollars. Certaines provinces, dont Terre-Neuve-et-Labrador, sont vulnérables au point d’être tout près de devoir être renflouées par le gouvernement fédéral. De fait, la Banque du Canada s’est portée à la rescousse de certaines d’entre elles en achetant, et c’est une première, pour 10,5 milliards de dette provinciale dès le printemps 2020.
PCU, subvention salariale, programme d’aide aux entreprises, prêt sans intérêt, report des paiements hypothécaires, prestation de relance économique, tout ce soutien était nécessaire. La pandémie a fait mal et malgré le déploiement actuel du vaccin, nous sommes encore à plusieurs mois de déclarer victoire. Plusieurs s’interrogent, toutefois. Sommes-nous en mesure de soutenir raisonnablement des dépenses d’une telle envergure ? C’est la question à 500 milliards de dollars et plusieurs commentateurs sont inquiets.
L’encre rouge des décennies 1980-90 est encore trop fraîche. Durant cette sombre période, l’accumulation d’importants déficits a conduit le Canada, au milieu des années 1990, vers un pic d’endettement. L’érosion de la confiance des marchés financiers pour les obligations canadiennes a poussé les taux d’intérêt à la hausse au pays, amplifiant les coûts du service de la dette et, par conséquent, creusant davantage le déficit. Au sommet de la crise, c’est plus de 30 cents pour chaque dollar de revenu que le gouvernement fédéral engouffre dans le paiement d’intérêt sur la dette, incapacitant nos institutions à s’acquitter de leur mission première, servir le citoyen. Un cercle vicieux qu’il n’a été possible de rompre, au milieu des années 1990, qu’au prix de compressions rigoureuses des dépenses gouvernementales et de hausses d’impôts. Une situation désastreuse dont trop de Canadiennes et de Canadiens se souviennent encore.
Qu’en est-il cette fois-ci ? Allons-nous trop loin ? Sommes-nous contraints de revivre le douloureux épisode de la fin des années 1990 ? En réalité, la réponse simple à ces questions est : « ça dépend ».
Mais de quoi direz-vous ? La soutenabilité de la dette à long terme dépend principalement de deux facteurs : la croissance économique et le taux d’intérêt. En d’autres mots, la croissance économique sous-tend la capacité d’un État à rembourser sa dette. Plus l’activité économique est importante, plus l’assiette fiscale prend de l’ampleur et les revenus de l’État ne s’en portent que mieux. Or, si le gouvernement s’endette aujourd’hui c’est pour soutenir les ménages et les entreprises canadiennes. Si ce travail est bien fait, notre capacité courante et future à produire des biens et services sera préservée et avec elle notre aptitude à payer des taxes et des impôts. En d’autres termes, en s’endettant aujourd’hui, l’État protège ses revenus futurs.
De leur côté, les taux d’intérêt sont le reflet du fardeau assumé par les contribuables actuels vis-à-vis des emprunts antérieurs du gouvernement. Lorsque les taux d’intérêt sont inférieurs à la moyenne à long terme, comme c’est le cas actuellement, le fardeau sur les contribuables est alors plus facilement soutenable et les créanciers ont moins d’inquiétude concernant la viabilité budgétaire d’un gouvernement. Dans le cas contraire, où les taux d’intérêt sont élevés (comme c’était le cas au début des années 1990), le fardeau imposé aux contribuables s’intensifie, au même titre que les angoisses des créanciers. L’accès privilégié du gouvernement aux marchés financiers est alors compromis et le cercle vicieux est enclenché.
En fin de compte, si la capacité de rembourser la dette augmente plus rapidement que celle-ci, le fardeau du service de la dette sera de plus en plus tolérable au fil du temps. Une situation qui s’observe lorsque le taux de croissance de l’activité économique est supérieur au taux d’intérêt moyen sur la dette.
Sur la base des tendances récemment observées et dans la mesure où la pandémie ne met pas trop à mal la capacité productive, il est raisonnable de penser que la croissance annuelle de notre économie s’établira entre 3 % et 4 % (en dollars courants) durant la prochaine décennie. Sur cette période, le taux d’intérêt moyen que le gouvernement du Canada aura à assumer sur la dette encourue dépendra des politiques monétaires mises en œuvre par les banques centrales partout dans le monde. Plusieurs d’entre elles ayant déjà annoncé des politiques accommodantes, tout porte à croire que les taux d’intérêt resteront contenus dans une fourchette allant de 0,5 % à 2,5 %, soit le taux actuellement en vigueur sur les obligations gouvernementales à long terme et celui observé avant la crise. Dans la mesure où ce scénario se réalise, les paiements d’intérêt sur la dette fédérale n’atteindront que 10 cents pour chaque dollar de revenu du gouvernement vers 2024. Un niveau très soutenable qui est encore bien loin de ceux des années 1990.
Selon le FMI, le Canada affichera le pire déficit public de toutes les économies avancées en 2020. Ensemble, les gouvernements fédéral et provinciaux sont en voie d’emprunter plus de 500 milliards de dollars cette année pour soutenir l’économie et d’atteindre un ratio combiné dette/PIB d’approximativement 115 %. Malgré ses gargantuesques dépenses, le Canada se placera légèrement en dessous de la moyenne prévue pour le G7, à savoir 125 %. Il appert que les sacrifices consentis à la fin des années 1990 ont rapporté. Nous avons, pour ainsi dire, été capables de soutenir des programmes sociaux et économiques d’envergure parce que nous avions la capacité fiscale à le faire. Toutes les économies avancées ne peuvent pas en dire autant. Un point important à garder en mémoire.
Alors, comment éviter les affres du cercle vicieux de l’endettement ? Les gouvernements en place doivent d’abord se doter de cibles stratégiques de contrôle des dépenses pour réduire les emprunts à la source. Un exercice difficile, mais nécessaire, auquel le gouvernement Trudeau ne semble pas vouloir se plier pour le moment.
Il sera également de bon ton de mettre de l’avant, à moyen terme, une cible pour le ratio dette/PIB et pourquoi ne pas appuyer cette dernière, comme le suggère plusieurs experts, d’une cible budgétaire fondée sur le coût du service de la dette. En liant les futurs plans d’emprunt, de dépense et de recette fiscale sur la soutenabilité à long terme du service de la dette, nos gouvernements nous assurent, en toute transparence, de leur habilité à répondre à la prochaine crise. Les prêteurs et les contribuables n’en seront que plus rassurés. //
Note de la rédaction. Ce texte a été écrit, révisé et mis en pages par Conseil et Investissement Fonds FMOQ inc. et ses mandataires. Il n’engage que ses auteurs.