Faites-vous partie des nombreux médecins qui ont reçu une demande de la RAMQ pour produire l’ensemble des factures remises à des personnes assurées sur une période de trois mois, cette période étant spécifiée ? De plus en plus de médecins et de cliniques reçoivent de telles demandes. En comprenez-vous bien les enjeux ?
Le Dr Michel Desrosiers, omnipraticien et avocat, est directeur des Affaires professionnelles à la FMOQ. |
En ouvrant votre courrier, vous découvrez une lettre de la RAMQ, ce qui n’est pas toujours une bonne nouvelle. Vous ouvrez l’enveloppe et trouvez une lettre de deux pages accompagnée d’un formulaire de plusieurs pages. On vous informe que vous devez fournir une copie de la grille tarifaire affichée dans votre salle d’attente et la totalité des factures remises à des personnes assurées sur une période de trois mois spécifiée. Généralement, il s’agira d’une période assez récente. On vous précise la forme sous laquelle les documents doivent être transmis à la RAMQ et on vous indique que chaque facture doit comporter le numéro d’assurance maladie de la personne. On vous accorde un délai de trente jours pour répondre. La lettre précise que la RAMQ est consciente qu’en temps de COVID-19 vous pouvez être très sollicité et que, sur demande, elle pourra prolonger le délai. Du même coup, on vous rappelle qu’il est interdit d’entraver les activités d’un enquêteur ou d’un inspecteur dans l’exercice de ses fonctions, le montant possible de l’amende associée étant spécifié.
En ce qui a trait au délai, espérons que vous n’ouvrez pas votre courrier à une fréquence de deux ou trois semaines. Si vous n’allez pas souvent à la clinique par les temps qui courent, souhaitons que votre personnel fasse un tri du courrier reçu et vous avise en cas de documents importants ou pressants.
Alors que se passe-t-il ? Rassurez-vous, vous ne serez pas le seul de la clinique ainsi ciblé. L’ensemble des médecins de votre clinique recevront une demande identique. De plus, la clinique, comme entité de gestion, recevra également une lettre comparable, mais légèrement différente.
Vous croyez peut-être qu’il s’agit d’une démarche « éducative » dont vous avez déjà entendu parler. Détrompez-vous ! Selon vos réponses, la RAMQ pourra effectuer une récupération pécuniaire et imposer des sanctions administratives. En fonction du nombre et de la nature des infractions constatées, la RAMQ pourrait aussi décider de vérifier votre facturation sur une plus longue période ou de refaire un contrôle ultérieurement.
Sentez-vous bien aise de communiquer avec l’ACPM ou avec votre fédération afin de ne pas vous mettre les pieds dans les plats avant de transmettre votre réponse.
La RAMQ demande à certains médecins de lui transmettre une copie de leur grille tarifaire et de l’ensemble des factures qu’ils ont remises à des personnes assurées sur une période de trois mois. Il ne s’agit pas d’une démarche « éducative », mais bien d’un processus qui peut mener à une récupération pécuniaire et à des sanctions administratives. |
Mais d’abord, ressortez l’ensemble des factures ou reçus que vous avez remis à des personnes assurées pendant la période en cause. Si vous n’avez pas de registre des factures émises (une bonne idée à mettre en application !), c’est probablement l’étape qui vous demandera le plus de temps. Si vous n’indiquez pas normalement le numéro d’assurance maladie de la personne sur chaque reçu, vous devrez l’y ajouter, en vérifiant qu’il s’agit de la bonne personne. Si le patient ne possède pas de carte d’assurance maladie, vous devrez inscrire sa date de naissance.
Notez que la demande vise l’ensemble des factures remises à des personnes assurées, même celles pour des services non assurés (clinique santé voyage, services esthétiques, etc.). La RAMQ veut évaluer elle-même la conformité des frais réclamés.
Profitez de l’occasion pour vérifier que le libellé présentant le ou les services offerts sur chaque facture est clair. Souvent, les descriptions sont sommaires, car le patient connaît le service qu’il a reçu. Cependant, dans un tel processus, la RAMQ ne le sait pas. Un « billet d’absence » peut aussi bien être une note griffonnée sur un bloc d’ordonnance pendant une consultation qu’un formulaire officiel exigé par l’employeur pour justifier une absence. Si le service prodigué n’est pas clair, ne modifiez pas la facture. Précisez plutôt pour chaque patient, dans un document à part, la nature exacte du service. Une telle précaution peut vous éviter de nouvelles questions de la RAMQ à la suite de l’analyse de vos documents.
En ce qui a trait à la grille tarifaire, si vous utilisez celle de la FMOQ, vous aurez sans doute remarqué qu’elle a évolué dans le temps et que des mises à jour périodiques ont eu lieu depuis la production des affiches transmises avec Le Médecin du Québec ou par la poste. Vous pouvez télécharger une version en petit format de la nouvelle grille au http://bit.ly/grille-tarifaire. Espérons que vous avez remplacé vos affiches lorsque les changements visaient les services que vous offrez. La plus récente mise à jour et la distribution des affiches datent de la fin novembre 2020.
La plus récente mise à jour de la grille tarifaire grand format date de la fin novembre 2020. |
Votre attention se tournera par la suite sur le questionnaire joint à la demande. Vous devrez vous identifier, puis répondre à une série de questions :
Affichez-vous une grille tarifaire à la vue du public ?
h Combien d’affiches avez-vous installées et à quel endroit ? La loi exige qu’il y en ait une dans chacune de vos salles d’attente. Bien qu’une seule affiche grand format par salle d’attente suffit généralement, il pourrait être intéressant d’en apposer plus d’une dans une très grande salle d’attente.
h La grille tarifaire affichée contient-elle tous les frais pouvant être facturés aux personnes assurées ? Dans le cas contraire, précisez lesquels. La loi vous interdit de réclamer des frais pour des services qui n’apparaissent pas sur votre grille. C’est la raison de la mention « Autres formulaires » sur la grille avec la précision que les frais sont fonction du tarif horaire spécifié à la grille.
h Remettez-vous les factures des services prodigués aux personnes assurées ? (Trois choix de réponses : oui, non, sans objet.)
h Notez que si vous réclamez des frais, la loi vous oblige à remettre chaque fois une facture ou un reçu. Le document doit énoncer clairement la nature des frais ou le service visé et comporter un avis informant la personne du recours possible à la RAMQ pour en obtenir le remboursement si elle croit qu’il s’agit d’un service assuré. L’avis apparaissant sur la grille indicative de la Fédération a été modifié au printemps 2019. Alors, assurez-vous que votre avis est conforme. Si vous utilisez des reçus génériques, faites-vous faire une étampe avec le texte de l’avis et apposez-le sur chaque facture produite. Vous devez préciser votre situation comme suit : J’ai joint les factures. Je n’ai remis aucune facture durant la période indiquée. Je ne facture aucuns frais à des personnes assurées.
La RAMQ est d’avis que seules les attestations produites à la demande d’un employeur ou d’une école sur un formulaire préétabli par ces derniers peuvent être facturées aux personnes assurées. Il ne s’agit pas d’un formulaire « préétabli » créé par la clinique pour éviter au médecin de rédiger de tels billets, mais du formulaire de ces entités. |
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Depuis le 26 janvier 2017, avez-vous facturé, à des personnes assurées, la rédaction des documents suivants ? Si oui, mentionnez lesquels et le contexte ayant justifié ces frais.
h Certificats ou attestations sur formulaire préétabli ou billet écrit par le médecin ou la clinique
h Formulaires
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Lors de l’audition de la requête en jugement déclaratoire de la Fédération concernant la possibilité pour les médecins de facturer certains frais aux personnes assurées, la RAMQ a précisé que, selon elle, les billets d’état de santé, d’absence ou de retour au travail ou tout autre billet comparable produit par le médecin ou la clinique ne peuvent donner lieu à des frais. Dans les plus récents rapports d’enquête depuis l’inscription en appel du jugement déclaratoire de première instance, la RAMQ indique qu’elle attend que le litige soit tranché pour vous transmettre sa décision si vous facturez des frais pour de tels billets. Elle n’a pas modifié sa position pour autant.
La RAMQ reconnaît que de telles attestations, lorsqu’elles sont produites à l’aide d’un formulaire préétabli exigé par l’employeur, l’école, l’assureur ou l’entité administrative sont facturables aux personnes assurées. Notez bien qu’il ne s’agit pas ici d’un formulaire « préétabli » créé par la clinique pour éviter au médecin de rédiger de tels billets, mais bien du formulaire d’un tiers.
Depuis le 26 janvier 2017, avez-vous facturé des frais directement aux personnes assurées pour remplir les documents suivants ? Si oui, précisez lesquels et dans quels contextes.
h Photocopie
h Télécopie
h Interurbain
h Service de messagerie
h Rédaction d’un résumé de dossier
h Transmission de copies ou documents
h Autre (précisez)
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La clinique des médecins visés reçoit aussi une demande et doit répondre à des questions additionnelles. Ainsi, elle doit préciser si elle facture des services qui ne sont pas rendus par un médecin (frais de copie de dossier ou autres services dans certaines cliniques) et si d’autres professionnels au sein de la clinique facturent des services à des personnes assurées. |
Vous devez ensuite signer et dater le formulaire qui contient une note précisant qu’à votre connaissance les renseignements sont véridiques, exacts et complets et que votre déclaration a la même force et le même effet qu’une déclaration faite sous serment.
Le formulaire transmis aux cliniques (comparativement à celui envoyé aux médecins) comporte quelques différences. Principalement, la clinique doit indiquer si elle facture des services qui ne sont pas rendus par un médecin (frais de copie de dossier ou autres services du même genre) et doit spécifier lesquels, le cas échéant. De plus, la RAMQ veut savoir si d’autres professionnels demandent des frais à des personnes assurées, quels sont ces frais et à qui ils sont facturés, le cas échéant. Par exemple, l’infirmière ou le psychothérapeute à son compte (non employé par la clinique) qui loue un bureau pour effectuer des prélèvements sanguins à des personnes assurées ou pour donner des consultations fait partie de ces professionnels.
Selon la position de la RAMQ, de tels professionnels peuvent facturer des frais à une personne assurée dans un tel contexte, tant qu’ils les perçoivent directement auprès de leur clientèle et qu’ils produisent des factures ou des reçus à leur nom, et non au nom de la clinique. Toujours selon la RAMQ, ces professionnels doivent être identifiés comme des professionnels qui exercent à la clinique, et une affichette sur la porte de leur bureau doit indiquer clairement aux patients qui les consultent que leurs activités sont distinctes de celles de la clinique et qu’elles ne sont pas assurées par la RAMQ.
Vous aurez compris que la mention spéficiant que votre réponse est comparable à une déclaration sous serment vous expose à un nouveau risque, soit celui de poursuite pour fausse déclaration en cas de mensonge, en plus du remboursement des frais qui n’étaient pas permis. Notez bien que l’avis précise « à ma connaissance » et ne constitue donc pas une garantie de son exactitude.
Vous aurez peut-être remarqué que certains frais que vous pouvez réclamer ne sont pas inscrits sur le formulaire, comme les frais pour le transport des échantillons. Si vous les réclamez (et les avez ajoutés à votre grille tarifaire), vous devriez le spécifier dans la section « Autre » de la question traitant des services offerts. N’oubliez pas qu’un règlement vous permet de réclamer de tels frais auprès de personnes assurées jusqu’à concurrence de 15 $ s’il y a un échantillon de sang ou de 5 $ en l’absence d’un tel échantillon. Ces frais ne peuvent être facturés qu’une seule fois par patient par transport, même s’il y a plusieurs échantillons. Si vous êtes tenu de percevoir les taxes de vente, ces sommes s’ajoutent au maximum autorisé, le cas échéant.
La RAMQ ne cible pas deux autres services qui faisaient l’objet de la requête en jugement déclaratoire, soit le formulaire de médicaments d’exception (autant pour la RAMQ que pour un assureur privé) et l’échographie de guidage pour prodiguer un service assuré. Ces services devraient apparaître sous la mention « Autre », le cas échéant. Dans les deux cas, la RAMQ est d’avis que le médecin ne peut pas réclamer de frais à une personne assurée pour ces services. Étant donné le jugement déclaratoire, la Fédération vous déconseille de le faire et vous propose plutôt, pour le guidage échographique, d’effectuer une injection sous guidage et de facturer ce service à la RAMQ conformément au mécanisme prévu pour des services non tarifés (voir les instructions relatives au code 09990).
Vous aurez peut-être aussi noté que deux des questions portent sur des services facturés depuis le 26 janvier 2017, soit bien au-delà de la période de trois mois précisée dans le reste du document. Comme la RAMQ peut retourner cinq ans en arrière pour réclamer des frais interdits et qu’elle peut le faire à la place des personnes visées, il est possible qu’elle entende procéder en deux temps pour les médecins ou les cliniques qui facturaient antérieurement des frais interdits en faisant une nouvelle demande pour la période qui n’est pas encore visée par la demande faisant l’objet de notre article.
Les dates indiquées remontent à moins de cinq ans, mais correspondent à la date d’adoption du Règlement abolissant les frais accessoires liés à la dispensation des services assurés et régissant les frais de transport des échantillons biologiques. On peut donc supposer qu’après le 26 janvier 2022, le formulaire indiquera simplement « au cours des cinq dernières années ».
En plus du risque financier de voir une réclamation modeste sur trois mois se transformer en une somme plus importante, les services que vous avez facturés pourraient avoir évolué depuis quatre ans à mesure que la RAMQ aura diffusé ou clarifié son interprétation. Cette réalité complique les réponses au formulaire, car on vous demande de préciser comment certaines réponses ont pu changer au fil du temps. C’est un exercice dont se passeraient bien des médecins.
Quelques médecins nous ont fait part du résultat de ces inspections. Si vous faites l’objet d’une telle inspection, nous vous saurions gré de nous informer du résultat pour que nous soyons au courant de l’évolution de la situation. Pour certains, l’inspection ne révèle aucune contravention. Quant à ceux qui avaient réclamé des frais « interdits » (infractions en nombre très limité), la RAMQ a exigé le remboursement des frais en fonction des infractions constatées. Elle y ajoute généralement une sanction administrative pécuniaire totalisant 15 % du montant réclamé. Pour l’instant, aucun médecin ne nous a indiqué avoir fait l’objet d’une réclamation pour une période antérieure à la suite de ses réponses. Néanmoins, il faut être conscient que les membres n’informent pas toujours la Fédération de ce genre d’événements.
La RAMQ prétend cibler les cliniques ou les médecins qui font l’objet de ces démarches selon des indications que ces milieux ne respectent pas la loi. |
Cette expérience très limitée diverge quelque peu de ce à quoi on s’attendrait. Devant les inconvénients que représente, pour un médecin, le fait de répondre à une demande aussi détaillée, la Fédération a exprimé à la RAMQ sa préoccupation quant au fait qu’elle se lance dans de telles « parties de pêche ». La RAMQ lui a alors répondu qu’elle choisissait les « cibles » de ces démarches en fonction des indications qu’elle recevait des milieux qui ne respectaient pas la loi. Soit l’échantillon des milieux ayant fait l’objet d’une inspection est pour l’instant trop petit, soit les « indicateurs » de la RAMQ sont trop sensibles.
Lorsque vous recevez le rapport de la RAMQ à la suite de ces vérifications, si vous avez des doutes sur la validité de la position de la RAMQ, informez-vous auprès de la Fédération ou de votre avocat. Si vous pensez refuser de payer les sommes réclamées, discutez-en d’abord avec l’avocat de l’ACPM ou avec la Fédération afin de connaître les enjeux d’un tel choix. Une fois la réclamation réduite à ce que dicte la loi, il sera généralement plus avantageux d’acquitter le montant réclamé que de laisser la RAMQ procéder à la récupération à même vos honoraires. Faites-vous conseiller.
Il n’est pas possible de modifier le passé. Toutefois, les démarches de la RAMQ soulignent l’importance de respecter le cadre légal prévu pour la facturation de frais à des personnes assurées, de garder à jour la grille tarifaire affichée et de rédiger le plus clairement possible les factures ou les reçus pour les frais réclamés en y indiquant les numéros d’assurance maladie afin de réduire votre travail en cas de contrôle de la RAMQ.
Vous avez des doutes sur la qualité de vos reçus ou sur le respect des règles par votre clinique ? Vous vous questionnez sur les pouvoirs de la RAMQ ? Plusieurs articles de notre chronique ont porté sur ces sujets et peuvent vous aider à vous mettre à jour : novembre 2018 sur la rédaction de libellés, septembre 2018 sur la distinction entre les enquêtes administratives et pénales, juillet, septembre et novembre 2017 ainsi que mars 2020 sur les « nouveaux » pouvoirs de la RAMQ.
Nous espérons que les précautions que vous prendrez réduiront le stress d’une éventuelle « rencontre » avec la RAMQ. À la prochaine ! //