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COVID-19 et séquelles psychiatriques

apparition de troubles anxieux et de troubles de l’humeur ?

Élyanthe Nord  |  2021-03-03

On ne survit pas toujours sans dommage à la COVID-19. Et parmi ses séquelles potentielles pourraient se trouver les troubles psychiatriques. Dans les semaines ou les mois qui suivent l’infection, un patient sur cinq pourrait recevoir un tel diagnostic, selon une étude récente. Un taux plus élevé qu’après une grippe ou une autre infection respiratoire.

Des chercheurs, Dr Maxime Taquet et ses collaborateurs, qui publient leurs résultats dans le Lancet Psychiatry, ont analysé les dossiers électroniques de 62 354 patients qui ont reçu un diagnostic de COVID-19 entre le 20 janvier et le 1er août 20201. Les sujets avaient été traités au sein d’un réseau de cinquante-quatre centres de soins américains.

Grâce à cette mine d’informations, les chercheurs ont calculé l’incidence des diagnostics de problèmes psychiatriques, mais aussi de démence et d’insomnie au cours des quatorze à quatre-vingt-dix jours qui ont suivi le diagnostic de COVID-19. Ils ont ensuite comparé les taux obtenus à ceux de patients appariés ayant eu d’autres problèmes de santé physique, tels que la grippe, des infections des voies respiratoires, une infection cutanée, une cholélithiase, une lithiase urinaire ou une fracture d’un grand os.

Deux fois plus de premiers diagnostics psychiatriques

Parmi les patients chez qui la COVID-19 a été détectée, 18 % ont ensuite reçu au cours des deux à treize semaines suivantes un diagnostic d’un trouble psychiatrique (tableau I). Chez 5,8 % d'entre eux, c’était la première fois qu’ils avaient tel diagnostic. Les problèmes les plus fréquents étaient les troubles anxieux (12,8 %), qui comprenaient surtout des troubles de l’adaptation et d’anxiété généralisée. Venaient ensuite les troubles de l’humeur (9,9 %), principalement constitués par la dépression.

Ces chiffres, indiquent les auteurs, constituent des estimations minimales. Parce que certains patients atteints de problèmes psychiatriques ont pu ne pas être diagnostiqués ou l'être dans un centre ne faisant pas partie de l’étude. En outre, depuis le début de la pandémie, le taux global de diagnostics, tant physiques que psychiatriques, au sein des établissements étudiés a baissé de quelque 30 %.

Qu’en est-il, par comparaison, du risque de troubles psychiatriques liés aux autres affections physiques ? La COVID-19 était associée à deux fois plus de problèmes psychiatriques diagnostiqués pour la première fois que la grippe, que les autres infections respiratoires, que la lithiase urinaire et que les fractures d’un grand os (tableau II). Ainsi, selon les chercheurs, « la COVID-19 a un effet sur la santé psychiatrique qui va au-delà de celui des autres problèmes de santé aigus. »

INSOMNIE ET DÉMENCE

Après l’infection à coronavirus, 1,9 % des sujets se sont mis à souffrir d’insomnie. Cela n’a été le cas que de 0,6 % des patients qui ont eu la grippe. « Le taux de diagnostic d’insomnie était substantiellement plus élevé, ce qui concorde avec l’hypothèse que des perturbations circadiennes suivent l’infection à la COVID-19 », indiquent le Dr Taquet et son équipe.

Les survivants de la COVID-19 étaient par ailleurs plus nombreux à recevoir un premier diagnostic de démence (0,44 %), surtout parmi les personnes de 65 ans et plus (1,6 %). En comparaison, chez les sujets qui ont eu la grippe, le taux de troubles cognitifs était de 0,11 % et de 0,66 % chez les plus âgés. « Cette augmentation de deux ou trois fois du risque de diagnostic de démence s’ajoute aux données des premières séries de cas et est préoccupante », affirment les chercheurs.

Antécédents psychiatriques et risque de COVID-19

Si un trouble psychiatrique peut survenir après la COVID-19, l’inverse serait également vrai, selon l’étude. Ainsi, le fait d’avoir reçu un diagnostic psychiatrique dans l’année précédente augmentait de 65 % le risque des patients d’être infectés par le coronavirus (P 0,0001).

« C’est très intéressant, affirme la Dre Jacynthe Rivest, médecin psychiatre au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Cette étude pose une hypothèse qui va devoir être approfondie : Est-ce que certains troubles psychiatriques accroissent le risque de contracter la COVID-19 et, le cas échéant, par quel mécanisme ? Est-ce à cause de la difficulté d’adhérer aux mesures sanitaires en raison des troubles de comportement ou des dysfonctionnements exécutifs associés ? Y a-t-il d’autres facteurs indépendants comme une vulnérabilité neurobiologique ou une déficience immunitaire jusqu’alors inconnue ? »

Forces et faiblesses

L’étude de Dr Taquet et de ses collaborateurs possède plusieurs forces. Il y a d’abord le nombre important de patients. Ensuite, souligne la Dre Rivest, les groupes témoins ont été soigneusement choisis sur le plan temporel : leurs diagnostics ont été établis pendant la même période que ceux des patients atteints de la COVID-19. « Ils ont donc été soumis aux mêmes stresseurs généraux associés à la pandémie, dont les facteurs de stress socio-économiques, les changements d’habitude de vie liés à la crise sanitaire, etc. »

Tableau I et Tableau II

L’une des faiblesses de l’étude, cependant, découle du fait qu’elle repose sur une banque de données et que l’on ne dispose pas de précisions sur les diagnostics psychiatriques. « On ignore dans quel contexte ces derniers ont été posés et, par exemple, s’ils l’ont été par un spécialiste en santé mentale. Viennent-ils d’autoquestionnaires ou de questionnaires psychométriques administrés par des cliniciens ? », s’interroge la psychiatre.

Autre limitation importante de l’étude : son aspect rétrospectif. « Les auteurs ont regardé les données après coup. C'est le premier pas pour détecter une association, mais d'autres recherches doivent confirmer les observations pour parler de lien de causalité ou même d’une augmentation d’incidence de troubles psychiatriques », estime la Dre Rivest, également responsable d'un groupe de travail à l'Association des médecins psychiatres du Québec qui s'intéresse à la santé mentale des patients ayant des affections comorbides médicochirurgicales.

Une période scientifiquement intéressante

En ce moment, estime la spécialiste, nous sommes dans une période intéressante sur le plan scientifique concernant la question des symptômes neuropsychiatriques et de la COVID-19. « Il va falloir se demander, si jamais l’association est confirmée, s'il y a un lien de causalité. Le virus provoque-t-il lui-même un nouveau trouble psychiatrique par un effet direct sur le système nerveux central ou indirect par une cascade inflammatoire ? On a vu, par exemple, des cas de COVID-19 se présenter sous forme de délirium parfois sans aucun autre symptôme associé2. Est-ce plutôt le fait d’être isolé de ses proches qui réactive un trouble antérieur ou met en lumière un problème déjà présent ? Ou est-ce le stress d'avoir une maladie physique importante qui amène un changement de rôle et une perte de repères ? On sait que les gens qui souffrent d’autres affections médicochirurgicales graves ou potentiellement mortelles présentent davantage d'anxiété ou de manifestations dépressives. Un seul de ces facteurs est-il suffisant ou est-ce multifactoriel ? », se demande la psychiatre spécialisée en cancérologie.

L’équipe de Dr Taquet, pour sa part, conclut qu’il faut considérer la possibilité d’offrir un suivi psychiatrique accru aux personnes infectées par le coronavirus. « Pour certaines mala­dies, comme le cancer, on recommande de dépister systématiquement la détresse chez les patients au cours de leur expérience de soins, dit la Dre Rivest. Ce n’est pas le cas pour toutes les affections. Ce sera donc intéressant de voir s’il y aura ou non de telles recommandations pour la COVID-19. Déjà, il me semble que l’on pourrait faire preuve d’une certaine vigilance concernant la détresse ou les symptômes psychologiques persistants des survivants de la COVID-19 lorsqu’on les rencontre en cabinet ou lors de suivis médicaux. » //

Bibliographie

1. Taquet M, Luciano S, Geddes J et coll. Bidirectional associations between COVID-19 and psychiatric disorder: retrospective cohort studies of 62 354 COVID-19 cases in the USA. Lancet Psychiatry 2021 ; 8 (2) : 130–140. DOI : 10.1016/S2215-0366(20)30462-4.

2. Kennedy M, Helfand B, Gou R et coll. Delirium in older patients with COVID-19 presenting to the emergency department. JAMA Netw Open 2020 ; 3 (11) : e2029540. DOI : 10.1001/jamanetworkopen.2020.29540.