la colchicine non recommandée pour l’instant contre les complications de la COVID-19
La colchicine a suscité un moment beaucoup d’espoir dans la lutte contre la COVID-19. Elle a, dans l’étude COLCORONA, diminué significativement de 25 % le risque d’hospitalisation et de décès dans le sous-groupe des 4159 sujets ayant eu un résultat positif au test PCR1. Le nombre de participants ayant eu besoin de ventilation mécanique y était également plus bas, mais de manière non significative.
L’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) s’est penché sur ces résultats encore non publiés dans une revue scientifique. Verdict : « L’INESSS considère prématuré d’appuyer l’usage de la colchicine chez les personnes non hospitalisées avec un diagnostic de COVID-19 confirmé ou non par un test RT-PCR même si elles correspondent aux critères de sélection de l’étude2. »
L’étude COLCORONA, menée par le Dr Jean-Claude Tardif, directeur du Centre de recherche de l’Institut de Cardiologie de Montréal, comptait quelque 4 500 participants, dont environ 3000 venaient du Québec. Les autres avaient été recrutés au Canada anglais, aux États-Unis, au Brésil, en Grèce, en Espagne et en Afrique du Sud.
De mars à décembre 2020, les patients qui avaient reçu un diagnostic de COVID-19 au cours des 24 dernières heures pouvaient appeler à la ligne COLCORONA pour participer à l’essai clinique. Les sujets recrutés recevaient dans les quatre heures les médicaments chez eux.
Les participants devaient avoir au moins 40 ans et présenter un facteur de risque de complications liées à la COVID-19 : un âge avancé, le diabète, l’obésité, etc. (encadré).
Ils ont été répartis au hasard en deux groupes. Un premier a reçu un placebo et le second 0,5 mg de colchicine deux fois par jour pendant les trois premiers jours, puis une fois par jour pendant les vingt-sept jours suivants. Le suivi a été fait par téléphone quinze et trente jours après le recrutement. « Le plan d’étude est de bonne qualité méthodologique et le devis adéquat », souligne l’INESSS dans son rapport.
L’étude COLCORONA a été cessée prématurément. Les chercheurs ont connu des difficultés logistiques, mais ils voulaient aussi mettre rapidement leurs données, qu’ils jugeaient intéressantes, au service du système de santé. Ainsi, seulement 4488 des 6000 sujets initialement prévus ont été recrutés et suivis pendant trente jours. Cette décision a toutefois réduit la puissance statistique de l’essai clinique.
« Nous sommes retournés voir les deux grandes études sur la colchicine, COLCOT et LOCODO-2, qui comptaient 10 000 patients suivis pendant deux ans. Il n'y avait pas de différence significative dans le taux d’embolies pulmonaires. » – Dr Jean-Claude Tardif |
Le critère d’évaluation principal était le décès ou l’hospitalisation. Il est survenu chez 4,7 % des patients prenant de la colchicine et chez 5,8 % des sujets témoins. La baisse de 21 % n’est pas significative (intervalle de confiance à 95 % [IC 95] : 0,61–1,03, P 0,08).
Par contre, les résultats le sont chez les 4159 patients dont la COVID a été confirmée par un test PCR. Dans ce groupe, 4,6 % des patients prenant la colchicine et 6,0 % des sujets témoins ont été hospitalisés ou sont morts. Une diminution statistiquement significative de 25 % (IC 95 : 0,57–0,99, P 0,04).
La différence entre l’ensemble de l’échantillon et le sous-groupe ayant un résultat positif au test nasopharyngé vient des 329 premiers sujets recrutés. Leur diagnostic reposait sur des critères cliniques et éventuellement un lien épidémiologique. « Au début de la pandémie, il était difficile d'avoir des tests pour prouver la maladie. C'est pourquoi nous avons quelque 300 patients qui présentaient une COVID-19 possible. En rétrospective, je pense que certains n’étaient pas infectés », affirme le Dr Tardif.
Combien de sujets devraient prendre de la colchicine pour qu’une hospitalisation ou un décès soit évité ? Il faudrait traiter 71 malades, puisque la réduction du risque absolu est de 1,4 % chez les patients qui ont eu un résultat positif au test PCR. Toutefois, l’importance de l’effet du médicament sur les hospitalisations est difficile à apprécier selon les données disponibles, estime l’INESSS. L’organisme ne disposait pas d’informations sur les raisons ni la durée des séjours à l’hôpital.
La réduction en tant que telle du nombre d’hospitalisations et de morts peut sembler à priori intéressante au sein du groupe des 4159 participants ayant passé un test nasopharyngé. L’INESSS a fait analyser les données, notamment par un biostatisticien. « Bien que statistiquement significative dans le sous-groupe RT-PCR positif, l’efficacité est associée à une marge d’erreur ou incertitude qui rend le résultat fragile puisque le transfert d'un seul événement d'un groupe à l'autre le rendrait non significatif », indique le rapport. En outre, un certain nombre de patients n’ont pas terminé l’étude, ce qui en réduit la force statistique.
Et qu’en est-il du recours à un respirateur artificiel ou du taux de décès seul ? Dans le groupe ayant passé un test, la ventilation mécanique a été nécessaire chez 50 % moins de patients ayant pris de la colchicine, et il y a eu 44 % moins de décès, mais ces différences ne sont pas significatives.
Du côté des effets indésirables de la colchicine, les principaux ont été les troubles gastro-intestinaux, dont la diarrhée, qui ont touché 23,9 % des participants du groupe expérimental contre 14,8 % des sujets témoins (P 0,0001).
Les experts de l’INESSS sont par ailleurs préoccupés par le nombre statistiquement plus élevé d’embolies pulmonaires. Leur nombre était de 11 (0,5 %) dans le groupe traité contre 2 (0,1 %) dans le groupe témoin (P 0,01).
Le Dr Tardif s’est lui aussi penché sur cette donnée. « Selon nous, cette observation est vraisemblablement l'effet du hasard. Nous sommes retournés voir les deux grandes études sur la colchicine, COLCOT et LOCODO-2, qui comptaient 10 000 patients suivis pendant deux ans. Il n'y avait pas de différence significative dans le taux d’embolies pulmonaires. »
« Le clinicien qui considérerait néanmoins prescrire dès maintenant un traitement de colchicine à la suite de la demande d’un patient, devra faire preuve de prudence et bien lui expliquer la balance des risques et des bénéfices potentiels dans le contexte d’une décision partagée. » – Rapport de l’INESSS |
L’institut a finalement opté pour la prudence. Il rappelle n’avoir disposé que de données limitées de prépublication. « L’INESSS pourrait réviser sa position à la lumière d’informations complémentaires, notamment lorsque l’article sera publié dans un journal révisé par les pairs », reconnaît le rapport.
Un pays, la Grèce a, pour sa part, accordé une nouvelle indication à la colchicine à la suite de l’étude québécoise. La Colombie-Britannique, elle, recommande son utilisation au cas par cas, contrairement au Québec. « L’important est que les médecins ont le droit de prescrire la colchicine s’ils le jugent approprié pour leurs patients susceptibles de connaître des complications », estime le Dr Tardif, réagissant au document de l’INESSS.
L’institut recommande certaines précautions devant une telle éventualité. « Le clinicien qui considérerait néanmoins prescrire dès maintenant un traitement de colchicine à la suite de la demande d’un patient, devra faire preuve de prudence et bien lui expliquer la balance des risques et des bénéfices potentiels dans le contexte d’une décision partagée. Dans ces circonstances, le traitement ne pourrait être offert qu’aux patients de 40 ans et plus, sans contre-indications, avec un diagnostic de COVID-19 confirmé par RT-PCR, ayant au moins un facteur de risque de développer une complication liée à l’infection », indique le rapport. //
1. Le manuscrit préliminaire de l’étude a été prépublié sur la plateforme medRxiv le 27 janvier 2021 : bit.ly/3rX9PQE
2. INESSS. Position préliminaire suite à l’analyse de l’étude COLCORONA en prépublication. Québec : INESSS ; 2021. 25 pages. bit.ly/3jWRoZq