période critique entre l’âge de 3 et de 6 mois
Une nouvelle étude vient de montrer que l’augmentation rapide de la masse grasse chez le bébé entre l’âge de 3 et de 6 mois est associée à l'embonpoint à 2 ans.
L’obésité se programmerait dans l’organisme dès le tout début de la vie*. Et l’une des fenêtres critiques résiderait dans les six premiers mois. Plus précisément entre l’âge de 3 et de 6 mois. Si une augmentation soudaine de la masse grasse se produit alors, ses effets se répercuteraient à l’âge de 2 ans, mais peut-être aussi dans la vie adulte.
Que se passe-t-il durant ce premier semestre de l’existence ? Aux Pays-Bas, la Dre Kirsten de Fluiter, de l’hôpital pour enfants Sophia, et son équipe se sont penchées sur la question. Les chercheurs ont découvert que l’accroissement de la masse adipeuse entre l’âge de 1 et de 6 mois est associé au pourcentage de graisse à 2 ans1. Plus intéressant encore : la rapidité de la hausse est déterminante. Ainsi, les bébés qui acquièrent rapidement de l’embonpoint deviennent plus corpulents tout au cours de leurs deux premières années de vie.
« On devrait s'inquiéter quand un bébé passe du 5e rang percentile au 50e en trois mois. Comme chez les enfants plus âgés, c'est le changement de rang percentile qui doit nous alarmer. Ce qui est dangereux dans l’augmentation rapide de la masse grasse, c’est que l’appétit de l’enfant se programme dans les premiers mois de vie », explique la Dre Julie St-Pierre, pédiatre spécialisée en obésité infantile au CIUSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
La prise de poids de ces jeunes enfants peut avoir des conséquences à long terme. « Un surplus de poids à 2 ans est lié à l’obésité à l'âge adulte. Il y a au moins 70 % de risque que l’indice de masse corporelle reste trop élevé », affirme la Dre St-Pierre, également professeure associée à l'Université McGill.
Pour mener leur étude, publiée dans JAMA Pediatrics, la Dre de Fluiter et ses collaborateurs ont recruté 401 bébés et pris différentes mesures jusqu’à l’âge de 2 ans. Ils voulaient découvrir le moment, durant la période postnatale, où une hausse de la masse grasse était associée à un embonpoint à 2 ans. Ils se sont alors aperçus que tout se jouait entre l’âge de 1 et de 6 mois, et plus précisément entre 3 et 6 mois.
Pour approfondir leur analyse, les chercheurs ont divisé les tout-petits en deux groupes. Le premier comprenait 246 enfants au développement normal. Le second était composé de 87 bambins dont la masse grasse avait augmenté rapidement entre 1 et 6 mois. La hausse dépassait un écart-type de 0,67, ce qui représente la largeur de la bande de percentile sur un graphique de croissance. « C’est beaucoup et même étonnant », note la Dre St-Pierre, qui estime l’étude néerlandaise bien faite.
Qu’avaient de particulier ces enfants à l’embonpoint trop rapide ? Leur poids à la naissance, tout en étant normal, était significativement plus faible que celui des autres bambins. Ensuite, durant leurs deux premières années, leur pourcentage de graisse et de masse grasse sous-cutanée abdominale est resté plus élevé. « Cette augmentation pourrait stimuler la prolifération des cellules progénitrices au début de la vie et, par conséquent, accroître le nombre d’adipocytes chez ces jeunes enfants », avancent la Dre de Fluiter et ses collaborateurs.
Les chercheurs avaient par ailleurs déjà montré dans l’étude PROGRAM les répercussions à 21 ans d’une hausse rapide du poids d'un écart-type de plus de 0,67 par rapport à l’âge pendant la première année de vie2 : tour de taille plus important, rapport cholestérol total/cholestérol HDL accru et taux de triglycérides haussé, mais aussi pourcentage plus élevé de la masse grasse et sensibilité réduite à l’insuline.
Comment repérer ces bébés qui grossissent trop vite ? « Comme médecins, on surveille de près les baisses de rang percentile, mais les augmentations rapides devraient aussi retenir notre attention. Il est important de détecter un changement rapide du rang percentile du poids et de le corréler avec la taille pour voir si la hausse est la même », indique la Dre St-Pierre.
Il faut ensuite chercher la raison de la prise de poids. « Une augmentation peut être normale. Il est possible que les parents soient grands et que l’enfant se développe selon son patrimoine génétique. Il y a également des bébés qui possèdent des masses musculaires plus importantes en raison de leur origine ethnique. Il existe de grandes différences entre la masse musculaire d'une personne blanche, surtout d'un Européen, et celle d’un Noir-Américain, par exemple. »
L’origine ethnique des bébés est par ailleurs un facteur oublié de l'étude néerlandaise, souligne la pédiatre, qui n’a pas trouvé d’informations sur cette question dans l’article de la Dre de Fluiter. « Dans aucun pays, la population n’est totalement homogène. On ne sait ainsi pas si les conclusions des chercheurs s'appliquent à toutes les origines ethniques. Est-ce qu’elles peuvent être employées pour les bébés latino-américains ou afro-américains ? Je ne peux donc pas les utiliser demain matin à Montréal. »
L’une des causes fréquentes de l’apparition rapide de l’embonpoint : la suralimentation avec des laits commerciaux. « Un bébé de 1 mois ne devrait pas boire plus d'un litre (35 oz) de lait à la bouteille par jour. Il est censé prendre autour de 120 ml (4 oz) six fois par jour. Certains parents, cependant, donnent 600 ml (20 oz) de plus quotidiennement à leur enfant, ce qui fait exploser sa courbe de croissance du poids. Si la taille ne bouge pas, on peut se dire que le bébé est suralimenté », indique la Dre St-Pierre.
Comment intervenir ? « Ce n'est pas parce que le bébé pleure qu'il a faim. Il faut donc faire de l’enseignement auprès des parents. On va également limiter les boires et peut-être introduire plus rapidement les aliments solides. »
Le problème du surpoids se pose cependant beaucoup moins avec l’allaitement. « Il faut encourager les mères à allaiter au moins trois mois. Des études ont montré qu’un bébé qui n'est pas exclusivement nourri au sein pendant le premier trimestre risque davantage de devenir obèse et d'avoir une masse grasse plus élevée à l’âge adulte », affirme la spécialiste en obésité infantile.
Les bébés de petits poids devraient par ailleurs être suivis de près. Parce qu’ils sont susceptibles de grossir trop rapidement. « Peut-être que le médecin devrait les voir un peu plus tôt et faire plus d’enseignement aux parents. Je suis particulièrement inquiète quand un enfant a un gain de poids trop rapide parce que sa mère a cessé l’allaitement et le suralimente à la bouteille. On sait que l'allaitement chez les petits bébés régule mieux le développement de l'appétit que la bouteille. »
L’introduction des aliments solides est un moment clé. « Selon l'Association européenne d'allergie et de gastro-entérologie, il y a une fenêtre entre l’âge de 4 et de 7 mois où l’on doit commencer à offrir des aliments le moins modifiés et salés possible et surtout sans sucre ajouté3 », affirme la Dre St-Pierre. L’idéal est de recourir aux purées maison plutôt qu’aux versions industrielles. « Il faut y laisser des petits morceaux et des fibres qui seront digérées par l'enfant et lui procureront la satiété. On voit de plus en plus que c’est la meilleure façon d'alimenter nos tout-petits et qu’on peut le faire plus tôt qu'avant. »
Ainsi, dès l’âge de 4 mois, certains enfants sont prêts. « Un bébé allaité qui fait ses nuits, boit cinq ou six fois au sein au cours de la journée, suit sa courbe de croissance peut commencer à prendre des aliments solides à 5 ou à 6 mois sans problème. Toutefois, s’il boit continuellement, on doit introduire des solides pour calmer sa faim et ne pas nuire à la programmation future de son appétit liée à la leptine », dit la pédiatre et lipidologue.
Est-ce que tout se joue donc avant 6 mois ? La pédiatre ne le croit pas. « Je pense que la manière dont on nourrit nos enfants entre 1 et 2 ans est encore plus importante qu'entre 0 et 6 mois. Je le vois dans ma pratique. » La qualité de la nourriture est d’ailleurs cruciale à cette période : le moins possible d’aliments transformés, de sel, de sucre et une quantité limitée de gras.
Parallèlement, il faut surveiller tout changement de trajectoire dans la courbe du poids. « Que ce soit à 3 mois, à 6 mois, à 1 an, à 5 ans ou à 12 ans, une hausse du rang percentile est toujours inquiétante. Parce qu’il y a une reprogrammation qui se produit. Il faut alors être encore plus vigilant concernant l'environnement de l'enfant. On doit regarder son activité physique, mais surtout son alimentation », avertit la Dre St-Pierre. //
* Peut-être même durant la vie fœtale.
1. De Fluiter K, van Beijsterveldt I, Breij L et coll. Association between fat mass in early life and later fat mass trajectories. JAMA Pediatr 2020 ; 174 (12) : 1141-8. DOI : 10.1001/jamapediatrics.2020.2673.
2. Leunissen R, Kerkhof G, Stijnen T et coll. Timing and tempo of first-year rapid growth in relation to cardiovascular and metabolic risk profile in early adulthood. JAMA 2009 ; 301 (21) : 2234-42. DOI : 10.1001/jama.2009.761.
3. Fewtrell M, Bronsky J, Campoy C et coll. Complementary feeding: a position paper by the European Society for Paediatric Gastroenterology, Hepatology, and Nutrition (ESPGHAN) Committee on Nutrition. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2017 ; 64 (1) : 119-32.